On ne reste jamais longtemps
devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen
Présentation
Tomas Tranströmer est un
auteur suédois né à Stockholm en 1931. Il est
l'un des poètes les plus considéré en Suède
et a reçu de nombreux prix. Traduit en cinquante-cinq langues,
il est un l'un des rares auteurs suédois à avoir joué
un rôle dans la littérature mondiale. Il est cependant
découvert en France qu'à la fin des années
80. Maître de la métaphore, Ksell Espmark en dit :
"Je voudrais même dire que le secret de cette poésie
réside dans l'union inatendue de la vision élargie
et de l'exactitude sensorielle". L'image chez Tomas Tranströmer
est d'une précision et transmet une émotion à
la portée des lecteurs. Il est capable de "provoquer
l'admiration générale".
extrait de Baltique
COHESION
Voyez cet arbre gris. Le ciel a pénétré
par ses fibres jusque dans le sol -
il ne reste qu'un nuage ridé quand
la terre a fini de boire. L'espace dérobé
se tord dans les tresses des racines, s'entortille
en verdure. - De courts instants
de liberté viennent éclore dans nos corps, tourbillonnent
dans le sang des Parques et plus loin encore.
Tomas Tranströmer, Baltique,
éditions poésie / Gallimard, page 3
Extraits de la
Grande Enigme - haïkus
Sur une saillie rocheuse
on voit la fissure du mur des trolls.
Le rêve, un iceberg.
På en klippavsats
syns sprickan i trollväggen.
Drömmen ett isberg.)
et je retrouve la même impression.
Les pensées sont à l'arrêt
comme les carreaux de faïence
de la cour du palais.
Tankar står stilla
som mosaikplattorna
i palatsgården.
Extrait de Baltique
(2)
A deux heures du matin : clair de lune. Le train
s’est arrêté
au milieu de la plaine. Au loin, les points de lumière d’une
ville
qui scintillent froidement aux confins du regard.
C’est comme quand un homme va si loin dans
le rêve
qu’il n’arrive à se souvenir qu’il y a
demeuré
lorsqu’il retourne dans sa chambre.
Et comme quand quelqu’un va si loin dans la
maladie
que l’essence des jours se mue en étincelles, essaim
insignifiant et froid aux confins du regard.
Le train est parfaitement immobile.
Deux heures : un clair de lune intense. Et de rares étoiles.
Tomas Tranströmer, Baltiques, Œuvres complètes
1954-2004, Poésie/Gallimard n° 397, 2004, p. 65