On ne reste jamais longtemps
devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen
Présentation
Yves
ughes s’est arrangé pour naître à Nice,
en 1951. Il y grandit dans un quartier de saveurs, au sein d’une
famille d’origine italienne. Il découvre au Collège
la force de la poésie, cette onde de choc le porte encore.
Il suit des cours lumineux à la faculté des Lettres
de Nice, notamment ceux de Michel Butor, et devient professeur de
Lettres Modernes. L’Education Nationale lui apprend à
voyager : nomination au Havre, à Port de Bouc, Castellane.
Installation définitive à Grasse en 1986.
Yves ughes pousse alors la porte de l’Association Podio, qui
travaille pour la Défense et l’Illustration de la Poésie
sur le pays de Grasse. Avec elle il explore les domaines de la poésie
contemporaine. Dès 1992, il prend une part active dans cette
association, se fixant un rythme régulier de conférences.
Les auteurs abordés témoignent d’un ancrage
méditerranéen qui n’échappe pourtant
pas à l’influence américaine : Pavese, Montale,
Audiberti, Reverdy, Franck Venaille, Marie-Claire Bancquart, Kerouac,
se succèdent dans cette exploration du panorama poétique.
Il propose ensuite ses textes aux Editions de l’Amourier qui
publient, coup sur coup, Décapole, en 2002, et par les ratures
du corps, en 2005.
Avec les éditions tac-motifs et le photographe David Giordanengo,
yves ughes publie un recueil associant textes et images sur Notre
Dame de Vie, lieu de culte de Mougins.
Participe régulièrement à la revue Friches
et à divers sites d’action littéraire (L’Amourier.com,
Francopolis..), chronique régulière dans Le Basilic.
Multiplie les lectures publiques, avec appétit.
Anime tous les quinze jours une émission littéraire
sur les ondes de Radio-Agora. (Grasse, 04 Mghz)
Impulse un atelier d’écriture à la Maison d’Arrêt
de Grasse.
Et s’impose un tenace devoir d’optimisme.
Yves Ughes-
extrait de Par les ratures du corps
on m'a désentravé/on m'a donné un plateau verre
élémentaire et couverts j'ai un numéro nous
sommes en files un surveillant dirige le silence/mes jambes tiennent
mon ventre
la porte claque se ferme comme une face de cyclope l'oeilleton lâche
ma dépouille et l'abandonne à l'obscurité
la prison se situe à flanc de colline sur une couche île
calcaire chicot couronné obéissant je descends dans
la racine des montagnes tout tracé me dépasse
je devine les cellules dans la masse sombre les cris sont autant
de lumières ils dessinent les visages dans la nuit figures
hâves des wagons faces écrasées aux barreaux
des fenêtres la bête entière la bête aux
750 alvéoles réagit à la nuit de quelque part
monte un refrain comme..a brick in the wall le gémissement
de celui qui n'a pas pu avoir un parloir avec sa petite fille et
qui en rêve il bourre les murs scandant le prénom l'autre
largué par son pote libérable libéré
transféré va savoir il est fatigué de mettre
ses chaussures il rumine le nom du salaud qui lui a laissé
ces nu-pieds mal foutus et sa femme il sait qu’ il est insupportable
humain trop humain trop faible fort et hargneux avec un corps lourd
mais tout de même le sein nu l'épaule accueillante
s'effacent même en rêve la tendresse méconnue
beugle un hélicoptère viendra braquer son projecteur
sur cette détresse calcaire les miradors sont faits pour
la caillasse crie aussi
celui qui s'en est revenu du centre scolaire un problème
de maths collé au cerveau il le résoudra son intelligence
pour percer la paroi qui résiste/il sait qu'il peut et que
la vie cédera qu'il sortira détaché et exsangue
et libéré peut-être
la clameur monte en vrille rien en ville n'indique la maison d'arrêt
aucun panneau la honte d'une dent défaite plombée
qui domine la cité en bas on dort enroulé autour de
sa femme comme Une mèche à son bigoudi on se rassure
tout est propre sur le périphé¬rique du songe
5 millions d'exclus du sommeil pourtant & 12 millions de sommeils
précaires et déshérités et l'on enferme
très vite et de plus en plus longtemps et l'on voudrait plus
de douleurs une expiation publique en règle
tu laisses à ta droite le centre d'éducation la maison
de retraite à gauche le centre de détention la maison
aux arrêts à l'adret tu montes vers le matin lumineux
tu pars heureux et audacieux Andromaque t'admire Priam soupire face
au téléachat tu as déjà gavé
Cassandre
ici ça crie la guerre a lieu toutes les nuits
Ulysse ouvre le cheval de bois et ses guerriers de malheurs commencent
ils percent les premiers sommeils et réveillent les douleurs
les malheurs les peurs/Odysseus bête désormais à
susciter le remords çrre dans un monde qu'il ne comprend
plus
Par les ratures du corps, édition
de L'amourier
Yves Ughes - extrait
de Par les ratures du corps
cheveux raides et délaissés de cette femme la caresse
vocale et le regard dévoilaient le désarroi causé
par les maternités données livrées ouvertes
sur les risques de ce monde hérissé
la femme je l'appellerai Ariana
elle avait eu ce besoin d'enfant elle était venue se débarrasser
de son odeur d'hôpital droite face à moi figée
elle m'avait appelé par mon nom mon prénom mains unies
avec tous les siens nous avons passé les portes des quartiers
traînant avec nous les formes molles des bran¬cards et
des chariots de supermarchés passés en force certaines
civières étaient tendues de mousseline l'apatride
y sommeillait presque en sécurité Ariana répétait
appliquée et convaincue que nous sommes ions toujours rattrapés
par notre passé
l'analphabétisme des trottoirs perdus l'avait neutralisée
elle revenait de là où le lavage d'estomac est supposé
remède aux flétrissures elle en revenait remuée
dans ses entrailles comme une bête provoquée par le
déchi¬rement du fruit
un spirito soave pien d'amore, mâchant la misère elle
avait évolué parmi des clowns qui avançaient
la machette masquée pour mieux crever les poches de sang
les transfusions flamboyantes ne sont qu'impuretés
che va dicendo a l'anima :Sospira.
je la prends dans mes bras et la marche reprend à| travers
la ville
son regard se met en condition de vagues sur les pro¬menades
d'été
le port contourné nous avançons vers les ongles
incarnés de la ville les jardins interdits recroquevillés
abandonnés désormais dans la nuit sur le chemin s'en¬
tendent des coïts isolés la brume fera le reste , ^
pour accéder à la plage il nous faut traverser un
tunnel qui sent l'urine et les appâts de pêche écrasés
ce boyau est la seule entrée menant à la corniche
on le franchit en pensant à autre chose à la fraîcheur
des balcons offerts sur la mer
la grève s'est ouverte sur l'épidémie des rochers
aux algues moelleuses et le chemin taillé dans le roc serpente
entre les architectures complexes que la nuit et le jour bâtissent
tour à tour
un pont jeté sur une crique nous mène au bunker
le pain sous la cuisson de l'ail recompose le goût de la tomate
écrasée
préservant le soleil de tout naufrage l'huile mêlée
au sel des olives tapisse les fonds de cale
sous la plénitude des arches les criques sont faites de chairs
généreuses
il lamento d'Ariana le passé est faisandé sur place
pourtant la malédiction recule
Par les ratures du corps, édition de L'amourier
Yves Ughes - extraits
de Décapole
voici ce qui pourrait être un décor le nôtre'des
convois ferroviaires errant de nouveau vers ces quatre tours de
com¬merces faillis
les visages s'en vont scruter leur statue d'inquiétude les
talons d'un mannequin sans doute dépouillé claquent
sur les trottoirs du ciel
de la fenêtre de notre chambre tu te penches et tu écoutes
les aboiements du vide
je crains qu'il n'y ait plus jamais de beaux jours quand la vie
tombe ainsi de nos corps comme vêtements sales
Décapole, édition
de L'amourier
Yves
Ughes - extrait de Dans le froid des temps
ses jambes étaient posées fuseaux de la nuit
offertes en horaires
agissant de la sorte sur le temps sur les actions possibles à
portée de mains
et Elle allait dans la répulsion et dans la vie pourtant
Elle comme proposition obscure des vagues et l’action dès
lors
comme advenue
et Elle dans la scansion des faits divers et la perception des instants
convenus comme chaussures bien cirées
et cette voiture qu’Elle
conduisait soudainement saisie dans le code barre des artères
corrosives et celui des années impulsives
Elle comme course scandée devenue rythme sous le déchirement
de la voix
dans la nausée des mots il fallait bien que
le fiel passe et que la baie soit médicamentée pour
que les ferries accostent
un rire soudainement fut donné au-dessus
des corps comme action de connivence et blotties dans l’instant
simple de l’accord ces diphtongues par la nuit murmurée
comme pour Elle établies
épaule livrée abandonnée au-dehors
la vie est chantier grues dont la rouille est poivrée raclant
les fonds de gorge pour Elle encore et il en sera ainsi pour longtemps
car les sentiments sont boulevards rues avenues sortes de frôlements
d’épidermes et de goudrons
chavirements près de la vitesse réglementée
pourtant ce qui se noue ici
et là
se renverse et l’attachement se fait vérité
bloquant le temps
martèlements suaves des morts qui se demandent pourquoi dire
et néanmoins te poussent et t’incitent à prendre
sur toi bras ouverts la présence amie aveuglément
et puis la nuit sera Elle offerte en sourire de
femme adolescente arborescente uniforme à la chair balbutiée
et puis Elle sur des jardins penchée marchant
lisant et donnant une veste pour supporter le froid des temps
yves ughes
Grasse, le 26 décembre 2004
Dans le froid des temps, Pour Alain Freixe. Publié
dans le « Lézard Amoureux »
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Si noble et si chaste apparaît
ma dame lorsqu’elle salue
que toute langue en tremblant devient muette
et que les yeux n’osent la regarder.
elle va, s’entendant louer,
benignement d’humilité vêtue,
et on dirait chose venue
du ciel sur terre pour miracle montrer.
tant de plaisantes grâces elle offre a qui l’admire
qu’elle infuse au cœur, par les yeux, une douceur
que nul ne peut connaître s’il ne l’a goûtée.
de son visage semble s’envoler
un esprit suave plein d’amour
qui va disant au cœur : soupire.
Dante, Vita Nuova.
Poésie/Gallimard, Traduction de Louis-Paul Guigues.
Par les ratures du corps, éditions de
l'Amourier - 2005
Notre Dame de Vie, éditions tac-motifs
Capharnaüm, douze stations avant Judas, Editions de l'Amourier
-2010
Livres d'artiste :
avec Gérard Serée : Constantes du Corps oblique. atelier
Gestes et Traces.
avec Gino Gini, Fernanda Fedi et Alain Freixe : Convergences/Divergences.Le
jeu des quatre. Les cahiers du Museur.