Je voudrais revenir
comme le font les poètes
leurs vers Revenir
en chemin de mémoire
dans le sobre des bouches
dépouillement des mots
Revenir comme il se doit
le cœur qu’on doit discret
durant l’émotion vive
l’éprouvé de ce sang
qui cogne mes artères
Et pulse dans le flux
la remémoration brève
de premiers souvenirs
embellis d’une aura
qui consacre Cela
qui ne reviendra plus
|
Puis-je trouver un souffle
dans ce refluement là
Quels mots de ce rythme
éveilleront dans mes vers
les miens Ceux qui marchèrent
à mes cotés
et croisèrent mes pas
Souffles dans la clarté d’un air
qui ne reviendra pas |
Et mon père d’abord
qu’il se trouve debout
dans le flux tous les mots
Droit les pieds tapant de son souffle
le sol la voix tonitruante
qui apaise et qui parle
pour me dire la main
sur mon épaule
l’accolade sincère
contre lui toute étreinte
|
Ils furent près de moi
Ensemble ils font corps
Mon souvenir est l’écho
de leurs voix et leurs visages
uniques sont mêlés en moi-même
en un magma qui bat
au rythme de mes veines
Je les cherche et me trouve
puis je les interroge Muets
ils ne savent de moi
que ce que ma mémoire glane
au profond d’elle-même
Et ce qu’ils détiennent
c’est moi qui le détient
|
CG : « je voudrais revenir / comme le font les poètes
/ leurs vers Revenir / en chemin de mémoire », ainsi débute
ton texte ce qui ne revient plus, on pressent dès le titre, les
premiers vers, un effort de mémoire, un retour en arrière
et cette incapacité à y parvenir vraiment. Qu’est-ce
que tu entends par « comme le font les poètes » ?
À quels poètes tu penses ? Penses-tu qu’eux aussi
y parviennent vraiment à revenir ?
HM :
Peut-être faut-il commencer par l’élément
déclencheur de ce texte qui est la lecture de poèmes de
Serge Gavronsky dans la revue Action Poétique. De mémoire,
ces poèmes partageaient des souvenirs de l’enfance. Serge
Gavronsky témoignait des siens dans des poèmes qui m’ont
touché. Ils portaient une émotion retenue et une rythmique
récurrente de l’écriture. C’est à cette
rythmique, comme à un fil d’Ariane, que j’ai tenté
de m’arrimer pour écrire ces poèmes dans l’espoir
de retrouver peut-être – pour les miens – cette beauté
dont j’éprouvais les effets à la lecture. Mais cette
expérience qui me confronte à la beauté de poèmes
et à l’émotion qu’elle déclenche m’a
mise par l’enjeu d’y rivaliser, face à une possible
incapacité d’y parvenir.
Ce premier vers, Je voudrais revenir / comme le font
les poètes… fait référence aux poètes
et à la poésie en général. Il s’agit
de rendre un hommage aux miens en trouvant un rythme à l’écriture
qui rende cela possible. Un rythme lié à l’émotion,
alors ravivée aux réminiscences. Un rythme lié
au corps et à ses tensions qui abolirait - dans l’absolu
- et par l’émotion recréée un temps passé.
L’ensemble Ce qui ne revient plus est d’ailleurs sous titré
: Sous le rythme du poème. Et pour répondre au dernier
volet de ta question, je ne sais pas dire si les poètes pensent
en ce terme de retour l’introspection de la mémoire mais
si des poèmes portent une émotion et que celle-ci est
transmise au lecteur, alors oui, ce retour à la mémoire
serait réussi.
CG :
Le thème de l’enfance t’est donc cher à ce
que je vois, est-ce que ce thème est moteur dans ton écriture
?
HM :
Le monde de l’enfance est celui des racines. C’est la période
où les êtres en devenir sont le plus perméables
aux perceptions du monde qui les entoure et c’est durant cette
même période qu’ils éprouvent leurs premières
émotions et enregistrent leurs premiers souvenirs. C’est
une source d’écriture première pour moi. J’avais
besoin d’écrire à partir du lieu de cette enfance.
D’autres thèmes ont motivé mon écriture,
comme l’écriture elle-même, le travail, la mort et
reliant tous ces thèmes, la mémoire en filigrane et la
fidélité qu’on entretien avec elle. C’est
d’ailleurs cela au fond qui hante mes textes, avec une écriture
qui voudrait témoigner d’une fidélité par-delà
la disparition.
CG :
Écriture de mémoire donc avant tout, si je comprends bien.
Et pour terminer avec ce mini-entretien, te faut-il être dans
des conditions particulières pour que cette écriture surgisse,
ce rythme, cette mémoire, etc. ?
Oui, une écriture de la mémoire et de
la fidélité à celle-ci. Quelle est l’essence
d’une relation au regard de la disparition et à l’épreuve
du temps ? Que valent les mots, nos engagements face à la vie
qui déroule ses jours ? Il y a beaucoup de questions pour moi
dans tout cela…
Il existe des conditions, diverses, subtiles, imprévisibles
qui peuvent occasionner la naissance d’un poème ou d’un
nouvel ensemble. C’est parfois un retour sur le lieu de l’enfance,
un souvenir, une odeur… Ce fut en l’occurrence la lecture
de poèmes et leur rythme, qui déclencha les premiers vers
de Ce qui ne revient plus. Le rythme est important en poésie.
Un rythme sorti d’une cadence régulière, pour un
autre, qui serait propre au sujet parlant-écrivant son expérience
au monde et qui agencerait par son phrasé, la lecture-écriture
du poème.