TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Un ange à notre table-
Hervé Martin ~ Extraits de ce qui ne revient plus
Suivis d'un petit entretien avec Cécile Guivarch

 

Inédits d'auteurs que nous sollicitons

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Je voudrais revenir
comme le font les poètes
leurs vers Revenir
en chemin de mémoire
dans le sobre des bouches
dépouillement des mots
Revenir comme il se doit
le cœur qu’on doit discret
durant l’émotion vive
l’éprouvé de ce sang
qui cogne mes artères
Et pulse dans le flux
la remémoration brève
de premiers souvenirs
embellis d’une aura
qui consacre Cela
qui ne reviendra plus

 

 
Puis-je trouver un souffle
dans ce refluement là
Quels mots de ce rythme
éveilleront dans mes vers
les miens Ceux qui marchèrent
à mes cotés
et croisèrent mes pas
Souffles dans la clarté d’un air
qui ne reviendra pas

 

 


Et mon père d’abord
qu’il se trouve debout
dans le flux tous les mots
Droit les pieds tapant de son souffle
le sol la voix tonitruante
qui apaise et qui parle
pour me dire la main
sur mon épaule
l’accolade sincère
contre lui toute étreinte


 



Ils furent près de moi
Ensemble ils font corps
Mon souvenir est l’écho
de leurs voix et leurs visages
uniques sont mêlés en moi-même
en un magma qui bat
au rythme de mes veines
Je les cherche et me trouve
puis je les interroge Muets
ils ne savent de moi
que ce que ma mémoire glane
au profond d’elle-même
Et ce qu’ils détiennent
c’est moi qui le détient


 


CG : « je voudrais revenir / comme le font les poètes / leurs vers Revenir / en chemin de mémoire », ainsi débute ton texte ce qui ne revient plus, on pressent dès le titre, les premiers vers, un effort de mémoire, un retour en arrière et cette incapacité à y parvenir vraiment. Qu’est-ce que tu entends par « comme le font les poètes » ? À quels poètes tu penses ? Penses-tu qu’eux aussi y parviennent vraiment à revenir ?

HM :
Peut-être faut-il commencer par l’élément déclencheur de ce texte qui est la lecture de poèmes de Serge Gavronsky dans la revue Action Poétique. De mémoire, ces poèmes partageaient des souvenirs de l’enfance. Serge Gavronsky témoignait des siens dans des poèmes qui m’ont touché. Ils portaient une émotion retenue et une rythmique récurrente de l’écriture. C’est à cette rythmique, comme à un fil d’Ariane, que j’ai tenté de m’arrimer pour écrire ces poèmes dans l’espoir de retrouver peut-être – pour les miens – cette beauté dont j’éprouvais les effets à la lecture. Mais cette expérience qui me confronte à la beauté de poèmes et à l’émotion qu’elle déclenche m’a mise par l’enjeu d’y rivaliser, face à une possible incapacité d’y parvenir.

Ce premier vers, Je voudrais revenir / comme le font les poètes… fait référence aux poètes et à la poésie en général. Il s’agit de rendre un hommage aux miens en trouvant un rythme à l’écriture qui rende cela possible. Un rythme lié à l’émotion, alors ravivée aux réminiscences. Un rythme lié au corps et à ses tensions qui abolirait - dans l’absolu - et par l’émotion recréée un temps passé. L’ensemble Ce qui ne revient plus est d’ailleurs sous titré : Sous le rythme du poème. Et pour répondre au dernier volet de ta question, je ne sais pas dire si les poètes pensent en ce terme de retour l’introspection de la mémoire mais si des poèmes portent une émotion et que celle-ci est transmise au lecteur, alors oui, ce retour à la mémoire serait réussi.

CG :
Le thème de l’enfance t’est donc cher à ce que je vois, est-ce que ce thème est moteur dans ton écriture ?

HM :
Le monde de l’enfance est celui des racines. C’est la période où les êtres en devenir sont le plus perméables aux perceptions du monde qui les entoure et c’est durant cette même période qu’ils éprouvent leurs premières émotions et enregistrent leurs premiers souvenirs. C’est une source d’écriture première pour moi. J’avais besoin d’écrire à partir du lieu de cette enfance. D’autres thèmes ont motivé mon écriture, comme l’écriture elle-même, le travail, la mort et reliant tous ces thèmes, la mémoire en filigrane et la fidélité qu’on entretien avec elle. C’est d’ailleurs cela au fond qui hante mes textes, avec une écriture qui voudrait témoigner d’une fidélité par-delà la disparition.

CG :
Écriture de mémoire donc avant tout, si je comprends bien. Et pour terminer avec ce mini-entretien, te faut-il être dans des conditions particulières pour que cette écriture surgisse, ce rythme, cette mémoire, etc. ?

Oui, une écriture de la mémoire et de la fidélité à celle-ci. Quelle est l’essence d’une relation au regard de la disparition et à l’épreuve du temps ? Que valent les mots, nos engagements face à la vie qui déroule ses jours ? Il y a beaucoup de questions pour moi dans tout cela…

Il existe des conditions, diverses, subtiles, imprévisibles qui peuvent occasionner la naissance d’un poème ou d’un nouvel ensemble. C’est parfois un retour sur le lieu de l’enfance, un souvenir, une odeur… Ce fut en l’occurrence la lecture de poèmes et leur rythme, qui déclencha les premiers vers de Ce qui ne revient plus. Le rythme est important en poésie. Un rythme sorti d’une cadence régulière, pour un autre, qui serait propre au sujet parlant-écrivant son expérience au monde et qui agencerait par son phrasé, la lecture-écriture du poème.

 


 
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