TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Un ange à notre table-
Alexandre Chagnaud ~ Le chien du prince (extraits)
Suivis d'un petit entretien

 

Inédits d'auteurs que nous sollicitons

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Pour critiquer les gens il faut les connaître et pour les connaître il faut les aimer »

COLUCHE.

5 Le portable

Depuis une semaine il t’explique toutes les options de son portable. Il peut filmer. Alors il demande aux autres de faire le guignol et il te montre. Il peut prendre des photos. Alors il prend ceux qui dorment et ceux qui font des doigts et il te montre. Il peut aussi écouter de la musique. Alors il braille et il gueule ce qui lui sort des oreilles. Mais tu te demandes combien de fois cette semaine son téléphone a-t-il sonné avec quelqu’un au bout du fil qui ne soit pas une erreur quelqu’un qui prenne vraiment de ses nouvelles ?

 

11 Le boulot

Tu dis que si on te propose un boulot en Espagne tu iras. Tu iras aussi en Angleterre si on te le propose. En Allemagne aussi. Tu dis que tu es une fille ouverte. Enfin si on te propose en France ce serait quand même mieux. Pas trop loin si possible de chez tes parents.


 

13 Plus rien

Parfois tu aimerais n’être plus rien. Posé là comme un poteau une barrière. Un pavé du bitume. Une fenêtre un rideau. Une porte une lampe. Une feuille un arbre. Une plaque de rue un numéro d’immeuble. Un sens interdit une boîte aux lettres. Tu dis plus rien mais tout ça se nomme. Alors rien c’est quoi ?


 


15 L’embuscade

Tu le vois allongé par terre et tu crois qu’il fait quelques gymnastiques. Tu t’approches et tu sais qu’il est tombé. Il te demande de le relever. Tu lui demandes s’il a mal quelque part. En guise de réponse il te tend sa béquille. A l’intérieur dans l’emplacement du coude il y a un médaillon de cuir où est gravé « Offert par le régiment à un ancien combattant de guerre ». Tu lui demandes si la maison qui fait face c’est chez lui. Il te dit que sa belle mère habite en face. Tu lui demandes s’il a bu. Il sourit et réponds qu’il est tombé dans une embuscade. Sa femme arrive. Te remercie. Tu reprends ton chemin.


 


21 La mort du veau aveugle

Tu arrives haletant de la montagne. Tu arrives en nous disant que tu as fait une connerie. On s’inquiète pour toi et tu nous expliques que tu avais un veau aveugle. Que tu devais lui faire une piqure près des yeux. Comme il ne voulait pas se laisser faire tu l’as attaché par le cou à un arbre. Comme il se débattait toujours tu l’as attaché avec une deuxième corde à un autre arbre. Il s’est débattu jusqu’à s’étrangler. Paniqué tu as coupé les cordes et tu as jeté le veau du haut de la falaise. Quand les corbeaux sont venus tu as fui et tu es venu nous voir en nous disant que tu avais fait une connerie. Tu nous dis qu’après tout le veau était aveugle et qu’il a pu tomber de la montagne tout seul. Nous avons dit oui à ton histoire et tu es parti. Nous avons pris nos jumelles et sommes allés voir. Les rapaces étaient déjà là. En ordre. Un trou était fait dans la peau suffisant pour y glisser la tête. Chacun leur tour ils venaient manger l’intérieur du veau. A la fin quand il ne reste plus que les os c’est là qu’on peut apercevoir le gypaète barbu. L’oiseau rare des Pyrénées. Il récupère les os les jette du ciel et une fois éclatés sur la roche mange la moelle.




24 Les gars de la centrale

I 5 H 00

Il est devant sa télé et attend que le temps passe. 5H00. Il se lève. Eteint l’écran. Met sa veste. Sort par le garage. Tu le vois s’avancer. Il sourit mais éteint son regard pour le reste de la journée.

II L’ordinateur

C’est un ordinateur qui lui dit où prendre et où mettre la marchandise. Ceux qui ne peuvent supporter l’oreillette sont déclarés inaptes au travail et se retrouvent à un poste qui les feront démissionner d’ici peu. Il essaye de t’expliquer les rangées pair et impair les ordres donné d’une voix monocorde les allées et venues ceux qui deviennent fous et qui finissent par craquer. Au début il faisait des efforts aujourd’hui il n’en a plus envie.

III Retards

Cinq retards et moins de cinq minutes à chacun. Voilà à quoi se résume ton entretien annuel. C’est tout ce qu’ils ont dans ton dossier. Rien de ta motivation rien de ton travail. A peine s’ils savent à quel poste tu évolues. Tu ne cherche même pas à te justifier.


IV Vacances

Ils te préviennent : Pas de vacances en juin ni juillet ou août. Non plus en septembre. Pas en décembre ni janvier et pas en mai car il y a trop de ponts. Ils te préviennent aussi que les RTT ne peuvent être prises les quinze derniers jours de l’année calendaire. Alors tu leurs dis qu’au bout d’un moment leurs histoires ça va cinq minutes.

V La centrale

Les actionnaires n’entendent que ça : La rentabilité. Mais ils ne savent pas comme ça vous uses. Vous les gars de la centrale. Si vous êtes solidaire c’est pour ne pas « casser le boulot ». Il vous faut donc vous surveiller. Si l’un en fait plus c’est tous les autres qui devront en faire autant.


D'où t'es venue l’idée de ces textes, de ces petits portraits ?

Par l’intermédiaire de mon travail, je rencontre beaucoup de monde et puisque j’ai le temps de les former, j’ai le temps de les écouter. Je prends toujours quelques petites notes ensuite pour ne pas oublier leurs histoires. Ces petites notes je les ais cumulées jusqu’à l’idée de ce recueil.

Comment as-tu travaillé la concision ? D’abord de plus long textes que tu as coupé ensuite, ou cette écriture t’est-elle venue naturellement, donc sans trop de coupures ?

Dans un premier temps je pensais écrire quelques nouvelles à partir de ces fragments d’histoires mais en rassemblant tous ces textes j’ai vu que ce n’était pas nécessaire. Ces petites touches avaient toute leur force, leur intensité, leur émotion. J’ai donc gardé la concision. Pour m’aider dans l’écriture d’une forme je me suis inspiré d’un poète que j’aime particulièrement Georges L.-Godeau et avec un recueil Votre vie m’intéresse édité au Dé bleu. J’ai trouvé dans ce livre les mots simples pour dire ce que les gens me racontaient. Par conséquent il y a eu peu de coupures dans les textes. Je suis resté au plus près de mes notes.

Avais-tu en tête, à chaque fois, la chute/la fin des textes ?

La chute ou fin des textes est quelque chose que je travaille particulièrement. Quand il m’arrive de raconter mes rencontres (et même si je raconte mal les histoires !) j’aime surprendre par la chute ou donner à voir ou percevoir les personnages. La chute ou le contraste entre ce qui est dit et ce qui devrait être me vient presque toujours en premier. Je démarre puis vient la chute et je plonge dans l’écriture pour réunir les deux.

Ce travail change t-il quelque chose aujourd’hui dans ton écriture ? Est-ce une étape ? Envisages-tu de poursuivre ce travail ?

Oui. Pour la première fois j’écris quelque chose qui ne parle pas de moi, qui n’est pas mon vécu. J’ai réussi à me tourner vers les autres, à les écouter et à rendre compte de leur vie. C’est un pas gigantesque pour moi et qui m’ouvre beaucoup de portes et de projets. J’ai trouvé un style, une forme qui me plait et qui me donne envie de continuer. Déjà plusieurs textes se sont ajoutés.

Biographie Alexandre Chagnaud
Je suis né le 09 octobre 1974 à Angers, j’ai vécu longtemps dans le sud-est avant de revenir. Je vis actuellement dans la région de Nantes et travaille dans un centre de formation pour adultes.

 
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