TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Un ange à notre table-
Jean-Christophe Belleveaux~ extraits de Démolition
suivi d'un mini entretien par Cécile Guivarch

 

Inédits d'auteurs que nous sollicitons

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


le monde est trop plein, ma poitrine en déborde
il faut bien commencer par quelque chose
par le monde,
pourquoi pas ?
le monde est plein de douleurs
que les peintres écartèlent,
les poètes, les musiciens aussi
- mettez donc un bémol à mon sang,
jaugez si vous pouvez : tout déborde,
à commencer par la langue
qui est elle-même au commencement
si cela est audible

le monde est plein d’incidents,
d’art pompier, de feux follets
que rien n’apprivoise
ô quoi
bancal et idéal
tordu serait
mais plus pur que le rien,
plus infini que la ligne droite

des choses et encore des choses :
une chaise, un concept,
l’absence de bruit ou son contraire,
la lumière

j’avais écrit :
à quoi bon les phrases
plus à une contradiction près

 


soi, réflexif,
ce peu
qu’on scrute, qu’on n’aime guère
dangereuse pénombre
contre laquelle on y va
de fausses invectives, de courage simulé

faire bonne figure, s’accommoder
d’infinitifs qui ont le style
d’une serpillière
je suis fatigué

comme tout le monde

tout le monde trop plein
de trop de choses

voilà que c’est novembre
comme d’habitude
je veux dire : ça revient
le mois noir, disent les Bretons
ça revient, balancier,
la sale gueule grise du ciel,
les syllabes alignées, le cri
qui ne franchira jamais
qui ne franchira pas

 


plaintes déliées
sans autre aventure de langue
ou de respiration – dégueulasserie
sors sans payer !

les draps

comment est-ce possible d’être resté soudain coi, pétrifié, à cause de ces deux mots arrivés d’on ne sait où – les draps ; pourquoi ai-je traversé ces heures, jusqu’au lendemain avec ce mot d’ordre définitif, les draps ; j’en suis là, avec eux que je ne peux effacer, avec lesquels je repars en écriture : les draps !

draps froissés : presque une sculpture de silence

ça que j’avais écrit, il y a plus de dix ans,
avec Roberto Juarroz, en moi, qui offrait :
« Le monde est le second terme
d’une métaphore incomplète,
une comparaison
dont le premier élément s’est perdu. »

draps froissés, existence froissée, plis abritant avec générosité un peu d’ombre, pas de dictionnaires pour déchiffrer ce fatras ; j’affirme en somme ma solitude consentie, ma stature d’homme debout, éphémère image de pistolero dans l’attente sans attente  

 


mais plus pur que le rien

pourquoi en voudrais-je
de cette baudruche

pureté brûle, viole,
met des fils de fer barbelés

bran ! rien ricanant
- je le vois tel –
mon souhait, ma peur et mon sosie
bran ! bran ! et bran !

je ne vais pas continuer à écrire
« les vaches se tiennent debout sous la pluie »
par exemple

je ne vais pas non plus
sortir sous la pluie
ni me taire ni mourir tout de suite

comme tout cela manque de chair !
RIEN
se débrouille pour me dissoudre

juste un peu

 

lécher le nom dans la bouche, goûter sa saveur ronde toujours, et le cracher que ce soit RIEN, Istanbul ou fourbu
c'est-à-dire qu’il arrive, sans prévenir, le mot à mâchouiller, qu’il s’agit de le laisser coloniser, de l’accepter dans l’intime de ses fibres, l’éprouver avant d’en faire des éclaboussures d’écrit

explosion (écris donc quelque onomatopée en lieu et place du mot
ou déchiquette
X PLLLLLLLL OoooZ

ne referme pas la parenthèse, je sais tu l’as déjà fait, eh bien, encore !

des morceaux de vie, de nappes qui sèchent sur l’étendage, carnets et papiers épars, tes mains, tes propres mains te sont comme étrangères et les vieilles breloques alphabétiques se couvrent de poussière : laisse faire

 

 


je lèche ma plaie :
j’écris mon sentiment, je plie, je froisse

tout est trop crû
les aveux sans torture
la parole
politique, poétique, amoureuse, sociétale, philosophique, saignante
quelle sale bidoche de phrases
quelle moche combine

je lèche ma plaie
j’écris avec ma langue

et pas de pioche encore
pour les briques du mur
mais ça viendra
ça va casser futur proche
ça s’éboulera langue et sourire
boomerang

 

D’où vient l’écriture pour toi ?

Pour faire simple et le plus juste possible, je crois que l’écriture vient, pour ce qui me concerne, d’un désir de liberté. Pas de glose interminable : je m’en tiendrai là.

Comment travailles-tu tes écrits ?

L’écriture a sa part de mystère que je lui laisse. Beaucoup de silence autour, laisser reposer, accepter les « accidents », le hasard, triturer en apprenti sorcier parfois, rater, raturer, se laisser accrocher par ce qui semble hameçons de vérité. Souvent, tout plaquer, jusqu’à être aimanté de nouveau.

Quelle est ta bibliothèque idéale ?

Pas d’idéal en rien… Pour ce qui serait d’une bibliothèque, peut-être un lieu tout d’abord : la grande pièce d’un manoir lugubre, aux murs couverts de hautes boiseries ; tapisseries vieilles, bureau encombré de papiers, encriers, guéridon, théière, profond fauteuil, vaste cheminée pour un feu titanesque. Les volumes serrés sur les rayonnages me seraient tous inconnus et supposeraient de ma part une curiosité telle que je souhaite emplir le reste de ma vie à les découvrir ou alors claquer la porte une bonne fois pour toutes au nez de ces chimères, sortir à la rencontre des autres hommes et finir par mourir sans avoir rien compris, comme il se doit.

Jean-Christophe Belleveaux est le produit de racines nivernaises et polonaises.
Né en 1958 à Nevers, il fait des études de Lettres à Dijon et apprend la langue Thaï à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales à Paris.
Grand voyageur, notamment en Asie où il répète des dizaines de séjours de deux semaines à 6 mois, il s’est éloigné de l’enseignement et s’essaie à une plus grande disponibilité pour une existence en poésie : écriture, lectures publiques, rencontres-débats, résidences d’écrivain…

De nombreuses publications en revues et éditions parmi lesquelles :

- le compas brisé (Pays d’Herbes ; 1999) épuisé
- dans l’espace étroit du monde (Wigwam ; 1999) épuisé
- poussière des longitudes, terminus (Rafael de Surtis ; 2000)
- Nouvelle approche de la fin (Gros Textes ; 2000)
- Caillou (Gros Textes ; 2003) épuisé
- soudures, etc. (Polder / Décharge ; 2005)
- La quadrature du cercle (Carnets du Dessert de Lune. Belgique ; 2006)
- La fragilité des pivoines (Les arêtes ; 2008)
- machine gun (potentille ; 2009)
- CHS (contre-allées ; 2010)
- Episode premier (Rafael de Surtis ; 2011)

 


 
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