Inédits d'auteurs
que nous sollicitons
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le monde est trop plein, ma poitrine en déborde
il faut bien commencer par quelque chose
par le monde,
pourquoi pas ?
le monde est plein de douleurs
que les peintres écartèlent,
les poètes, les musiciens aussi
- mettez donc un bémol à mon sang,
jaugez si vous pouvez : tout déborde,
à commencer par la langue
qui est elle-même au commencement
si cela est audible
le monde est plein d’incidents,
d’art pompier, de feux follets
que rien n’apprivoise
ô quoi
bancal et idéal
tordu serait
mais plus pur que le rien,
plus infini que la ligne droite
des choses et encore des choses :
une chaise, un concept,
l’absence de bruit ou son contraire,
la lumière
j’avais écrit :
à quoi bon les phrases
plus à une contradiction près
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soi, réflexif,
ce peu
qu’on scrute, qu’on n’aime guère
dangereuse pénombre
contre laquelle on y va
de fausses invectives, de courage simulé
faire bonne figure, s’accommoder
d’infinitifs qui ont le style
d’une serpillière
je suis fatigué
comme tout le monde
tout le monde trop plein
de trop de choses
voilà que c’est novembre
comme d’habitude
je veux dire : ça revient
le mois noir, disent les Bretons
ça revient, balancier,
la sale gueule grise du ciel,
les syllabes alignées, le cri
qui ne franchira jamais
qui ne franchira pas |
plaintes déliées
sans autre aventure de langue
ou de respiration – dégueulasserie
sors sans payer !
les draps
comment est-ce possible d’être resté
soudain coi, pétrifié, à cause de ces deux
mots arrivés d’on ne sait où – les draps
; pourquoi ai-je traversé ces heures, jusqu’au lendemain
avec ce mot d’ordre définitif, les draps ; j’en
suis là, avec eux que je ne peux effacer, avec lesquels
je repars en écriture : les draps !
draps froissés : presque une sculpture
de silence
ça que j’avais écrit, il y
a plus de dix ans,
avec Roberto Juarroz, en moi, qui offrait :
« Le monde est le second terme
d’une métaphore incomplète,
une comparaison
dont le premier élément s’est perdu. »
draps froissés, existence froissée,
plis abritant avec générosité un peu d’ombre,
pas de dictionnaires pour déchiffrer ce fatras ; j’affirme
en somme ma solitude consentie, ma stature d’homme debout,
éphémère image de pistolero dans l’attente
sans attente |
mais plus pur que le rien
pourquoi en voudrais-je
de cette baudruche
pureté brûle, viole,
met des fils de fer barbelés
bran ! rien ricanant
- je le vois tel –
mon souhait, ma peur et mon sosie
bran ! bran ! et bran !
je ne vais pas continuer à écrire
« les vaches se tiennent debout sous la pluie »
par exemple
je ne vais pas non plus
sortir sous la pluie
ni me taire ni mourir tout de suite
comme tout cela manque de chair !
RIEN
se débrouille pour me dissoudre
juste un peu |
lécher le nom dans la bouche, goûter
sa saveur ronde toujours, et le cracher que ce soit RIEN,
Istanbul ou fourbu
c'est-à-dire qu’il arrive, sans prévenir,
le mot à mâchouiller, qu’il s’agit de
le laisser coloniser, de l’accepter dans l’intime
de ses fibres, l’éprouver avant d’en faire
des éclaboussures d’écrit
explosion (écris donc quelque onomatopée
en lieu et place du mot
ou déchiquette
X PLLLLLLLL OoooZ
ne referme pas la parenthèse, je sais tu
l’as déjà fait, eh bien, encore !
des morceaux de vie, de nappes qui sèchent
sur l’étendage, carnets et papiers épars,
tes mains, tes propres mains te sont comme étrangères
et les vieilles breloques alphabétiques se couvrent de
poussière : laisse faire
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je lèche ma plaie :
j’écris mon sentiment, je plie, je froisse
tout est trop crû
les aveux sans torture
la parole
politique, poétique, amoureuse, sociétale, philosophique,
saignante
quelle sale bidoche de phrases
quelle moche combine
je lèche ma plaie
j’écris avec ma langue
et pas de pioche encore
pour les briques du mur
mais ça viendra
ça va casser futur proche
ça s’éboulera langue et sourire
boomerang
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D’où vient l’écriture
pour toi ?
Pour faire simple et le plus juste possible, je crois que l’écriture
vient, pour ce qui me concerne, d’un désir de liberté.
Pas de glose interminable : je m’en tiendrai là.
Comment travailles-tu tes écrits ?
L’écriture a sa part de mystère que je lui laisse.
Beaucoup de silence autour, laisser reposer, accepter les « accidents
», le hasard, triturer en apprenti sorcier parfois, rater, raturer,
se laisser accrocher par ce qui semble hameçons de vérité.
Souvent, tout plaquer, jusqu’à être aimanté
de nouveau.
Quelle est ta bibliothèque idéale ?
Pas d’idéal en rien… Pour ce qui serait d’une
bibliothèque, peut-être un lieu tout d’abord : la
grande pièce d’un manoir lugubre, aux murs couverts de
hautes boiseries ; tapisseries vieilles, bureau encombré de papiers,
encriers, guéridon, théière, profond fauteuil,
vaste cheminée pour un feu titanesque. Les volumes serrés
sur les rayonnages me seraient tous inconnus et supposeraient de ma
part une curiosité telle que je souhaite emplir le reste de ma
vie à les découvrir ou alors claquer la porte une bonne
fois pour toutes au nez de ces chimères, sortir à la rencontre
des autres hommes et finir par mourir sans avoir rien compris, comme
il se doit.
Jean-Christophe Belleveaux est le produit de racines
nivernaises et polonaises.
Né en 1958 à Nevers, il fait des études de Lettres
à Dijon et apprend la langue Thaï à l’Institut
National des Langues et Civilisations Orientales à Paris.
Grand voyageur, notamment en Asie où il répète
des dizaines de séjours de deux semaines à 6 mois, il
s’est éloigné de l’enseignement et s’essaie
à une plus grande disponibilité pour une existence en
poésie : écriture, lectures publiques, rencontres-débats,
résidences d’écrivain…
De nombreuses publications en revues et éditions
parmi lesquelles :
- le compas brisé (Pays d’Herbes ; 1999)
épuisé
- dans l’espace étroit du monde (Wigwam
; 1999) épuisé
- poussière des longitudes, terminus (Rafael
de Surtis ; 2000)
- Nouvelle approche de la fin (Gros Textes ; 2000)
- Caillou (Gros Textes ; 2003) épuisé
- soudures, etc. (Polder / Décharge ; 2005)
- La quadrature du cercle (Carnets du Dessert
de Lune. Belgique ; 2006)
- La fragilité des pivoines (Les arêtes
; 2008)
- machine gun (potentille ; 2009)
- CHS (contre-allées ; 2010)
- Episode premier (Rafael de Surtis ; 2011)
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