sur le pré
enneigé une pelote de laine déroule un mince filet
de sang
*
je
laisse les mots tra
verser mon corps s’
échapper dire ce qu’ils ont à dire mon corps
tra
versé par les mots tracer l’
instant l’
interminable l’
éternel instant de ma
présence
*
car
je suis
là
depuis toujours je continue sans arrêt le temps passe sans
passer les mots ne disent que
ce
moment
ce
mot ment
*
car
les mots mentent et
disent
le vrai du mensonge
le réel de l’être écartelé bâti
sur des fosses où s’
engloutissent les images déchirées
ce
qui défaille sans fin en
taille la blessure invisible introuvable intouchable
qui ne veut pas guérir
dictant de son tracé souterrain la courbe intime d’un
chemin dont on ignore l’
origine
et ( ce
qu’il faut porter)
*
mais
vivre avec
ce
qui ne veut pas guérir
perdu dans un repli que la mémoire ne peut situer
qu’aucune main de chair
la blessure blessante à jamais étrange étrangère
même au corps intouché
dans le cœur la mémoire l’oubli hors du corps
peut-être dans l’
ombre qu’
il projette l’air qu’
il déplace la ligne d’horizon que ses yeux emprisonnent
peut-être dans l’
éclaboussure rouge d’un soleil é
gorgé
*
mais
être enfin
le
corps touchant
touché par une main donnant
de l’
amour sur le versant et qui n’a de cesse comme
la mer
*
mais
être le corps touché de l’amour
présent pressant pressé la peau les bras les cuisses
et ce qui bat le sang la salive et les lèvres
donnés
totalement comme le désespoir
à l’autre
qui me prend me comprend ouverte
découverte
pour qu’il touche qu’il accède qu’
il décèle
la bouche muette de mon origine qu’
il trouve
la lettre du début cachée dans le tréfonds
dictant dans le mutique instant du retour
l’imprononcé
*
car
je suis née
car je suis née d’une femme
je viens du ventre
je sors du sexe
d’une femme enfantée femme enfant enfantant une enfant
femme fendue fondue confondue re
pliée
dans l’antre d’une autre lovée dé
lovée
*
car
j’ai été l’hôte
l’otage d’un corps autre
enserrée par les eaux op
pressée par le sang
sans voix
*
car
je viens
des confins d’un corps pénétré par
un
autre
longtemps sans
forme sans
force j’ai erré pour re
venir
*
là
où s’abolit l’oubli dans le regard qui ne voit
plus
là
où la déchirure comble
là
où la blessure qui ne veut pas guérir offre
enfin un passage à l’instant
fulgurant
où s’engloutit la perte
là
où je suis le corps é
prouvant
*
( si
tu veux me connaître prends moi sans histoires ni questions
dis-moi seulement les mots simples
qui me font défaut
ceux qui manquent à mon vocabulaire rejoins le centre obscur
d’où je viens rejoue
le début fais-moi basculer dans la nuit claire où
j’
oublie qui
je suis )
*
mais
le cœur n’a pas de
poids
sur la pierre rouge la trace indécise d’un souffle
quand il battait
*
alors
dans le recoin obscur j’
écorche
contre la pierre mon corps mes yeux
essuient la nuit
et le drap de survie étend à perte la longue plaine
neigeuse où glissent les silhouettes
*
parfois
un rire d’
enfant se colle à mon visage mes mains inventent la promesse
des collines je tire vers moi la trace de mon passage le
paysage s’
effondre au loin
le poids de mon cœur rouge s’enroule dans le grand
drap neigeux où glissent les regards
*
alors
pour rien je donne je me donne à tous
( comme elle auréolée
avec ses yeux de lacs engloutissant la noirceur avec ses gestes
de musique silencieuse guérissant sans toucher les plaies)
|
Christine Bloyet vit à Nantes où
elle anime des ateliers d’écriture. Étreinte publié
aux Éditions Henry-Écrits du nord 2008. Poèmes
publiés en revue : N4728, Verso.
Comment travailles-tu tes écrits ?
J’ai un cahier, qui est une sorte de journal,
très brouillon, dans lequel j’accumule des notes. Dans
ce cahier s’esquisse ce qui sera peut-être un poème.
C’est un fatras, une matière informe, mais cela constitue
la matière première dans laquelle je puise. J’ai
aussi un carnet dans lequel je griffonne quand je marche, car le mouvement
de la marche son rythme, sa pulsation a quelque chose à voir
pour moi avec l’écriture.
Mais le travail d’écriture véritable
se fait dans un second temps sur l’ordinateur.
Là je passe beaucoup de temps à mettre en forme et à
retravailler un même texte. Un peu comme un sculpteur, je façonne,
je taille, j’élague, j’épure…
D’où vient l’écriture
pour toi ?
je ne sais d’où vient l’écriture,
cela reste mystérieux, mais j’ai éprouvé
assez jeune, à la lecture des poètes, que ce qui se disait
là, dans le poème, ne pouvait se dire ailleurs.
L’impact, la force de la parole poétique a été
une révélation et a motivé mon désir d’écrire.
Mais l’écriture est pour moi, une lutte contre ma tendance
au mutisme, peut-être le poème en est il le prolongement
ou son autre face. J’ai le sentiment en tout cas que le poème
s’écrit ou s’inscrit sur le vide ou le silence précédent
toute parole ou discours.
Les mots, j’ai parfois le sentiment de les tirer, de les arracher
d’un fond obscur.Je vis l’écriture comme une recherche
dont l’objet, s’il demeure, incertain ou indéterminé,
s’il échappe sans cesse, permet de dessiner un chemin…et
c’est cela finalement qui m’importe, le chemin que je trace
avec les mots.
Quelle est ta bibliothèque idéale ?
Ma bibliothèque idéale serait composée
en grande partie (au moins 80%) de poètes de tous les temps et
de nombreux pays. Certains y auraient une place de choix pour le rôle
important qu’ils ont eu et continue d’avoir dans ma vie
: Whitman, Apollinaire, Dickinson Pessoa, Celan, Paz, Juarroz, Valente…
mais aussi beaucoup de poètes contemporains. Pour le reste, quelques
auteurs essentiels qui ont contribué à mon éveil
littéraire et dont les oeuvres recèlent intensité
et force poétique : Proust, Dostoïevsky, Colette, Duras
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