Chaque année, les étudiants de l'Université d'Avignon
et des Pays de Vaucluse des trois années de licence doivent choisir
les UEO (Unité d'Enseignement d'Ouverture) qu'ils vont suivre.
Ces UEO entrent dans leur cursus d'études et devront être
validées pour passer leur diplôme. Parmi la diversité
des UEO, la Mission Culture propose un Atelier poésie, que j'anime
depuis 2007.
Ainsi, chaque semestre, en fonction de leurs intérêts
et sensibilité, des étudiants (25 maximum) s'inscrivent
pour s'initier à l'écriture poétique ou approfondir
leur pratique. Nous avons 12 séances d'1H30 ensemble, sous forme
d'ateliers. Au semestre suivant, les étudiants peuvent reconduire
leur participation, ou bien aller découvrir une autre UEO.
J'ai donc des étudiants des trois années
de licence et de toutes spécialités confondues (espagnol,
histoire, droit, etc…) qui se rencontrent une fois par semaine,
entre 12H30 et 14H. C'est comme une traversée ensemble entre
le moment où nous nous rencontrons au début du semestre
et celui où se termine l'atelier. Une heure et demie par semaine
en poésie, loin des tensions inhérentes aux études.
Toujours sous forme d'atelier, j'amène d'abord
les étudiants à prendre en compte les fondamentaux de
l'écriture poétique (matière du langage, son et
sens, rythmes, etc.). Puis, à chaque séance, je leur donne
des propositions d'écriture. Elles sont basées sur des
poèmes existants, contemporains souvent, parfois en traduction
française, dont je tire une forme d'écriture originale
mise en œuvre par le poète, qui servira de base à
l'écriture de nouveaux poèmes, selon les images et les
idées de chacun des étudiants.
La phase d'écriture se fait sur place, et peut
être poursuivie durant la semaine, puisque c'est à la séance
suivante que nous faisons le partage oral : chacun tour à tour
lit le poème qu'il a écrit sur cette proposition d'écriture.
Toujours dans le respect, j'incite les étudiants à affiner
leur écoute. J'envoie un écho vers chacun des poèmes,
je souligne les outils d'écriture, les améliorations possibles.
Et je sollicite les échos des étudiants eux-mêmes.
Ainsi, peu à peu, ils s'aventurent à donner
leur avis critique sur les poèmes nés dans cet atelier.
Il s'agit pour eux d'être à la fois tout à fait
eux-mêmes en écriture, et de maintenir -à l'écoute-
la distanciation entre l'écrivant et son poème.
De séance en séance, les étudiants
découvrent des poètes, des poèmes, des formes poétiques.
Ils s'affrontent à des propositions qui leur demandent d'écrire
"là où ils n'auraient pas écrit spontanément".
Mon but est d'éveiller leur curiosité
à lire de la poésie, française et étrangère,
d'ouvrir des recueils d'auteurs dont ils ignorent les noms, de chercher
ce qui les concerne dans la poésie, de découvrir et de
s'exprimer avec rigueur dans toutes les possibilités de cette
forme d'écriture.
Je prépare les ateliers avec une grande diversité
de thèmes et de styles pour que chacun puisse trouver sa façon
d'être en écriture, sa voix.
Chaque année, j'ai le bonheur d'observer ces
jeunes se détourner de la quête existentielle adolescente,
oser des contenus, mûrir, aller vers des audaces formelles. Ils
essaient, réécrivent, tentent et partagent avec justesse.
J'admire les avancées, soutiens les découragements, avec
souvent la sensation d'être un chef d'orchestre devant des intelligences
sensibles.
Voici quelques poèmes que m'ont confiés
les étudiants pour figurer comme exemples à l'issue de
cet article. Ce ne sont pas "les meilleurs". Il y en aurait
bien d'autres encore. Des poèmes très différents
les uns des autres, autant que le sont ceux et celles qui les ont écrits.
Ils correspondent à des propositions que nous pouvons oublier
une fois que le poème a pris son existence. Ils sont offerts
à votre lecture par de très jeunes poètes.
J'écoute Prague
les yeux fermés.
Je sens la douceur éphémère de la pluie
caressant ses trottoirs, ses toits et mes souvenirs.
J'écoute Prague
les yeux fermés
en marchant dans le vieux quartier.
J'écoute Prague dont le cœur brûle.
J'écoute Prague, son passé résonne
dans les siècles qui coulent.
J'écoute Prague
les yeux fermés
vêtue d'une symphonie de Smetana
et pourtant toute nue dès l'hiver jusqu'au printemps.
Abandonnée mélancolique
sa gloire dort sous la nappe de Vltava.
J'écoute Prague
les yeux fermés.
Prague d'hier et de son demain
mais aujourd'hui... je n'entends rien.
Il ne reste qu'une feuille
morte
de l'automne doré,
mon billet de retour,
le cœur mendiant,
et par terre une gravure.
Jana PODORSKA
LA FEE DE FER
Alléluia, il l'a fait ! Il l'a fait pour moi.
Bats les pattes, il l'a fait pour mon bien.
Il l'a fait c'était une broutille.
Comment il a fait ? Il l'a fait comme un grand,
Il l'a fait comme un chant, ça allait comme un gant.
Il l'a fait, il n'avait pas le choix. Il l'a fait pour moi.
Devant des individus, il l'a fait.
Il a fait débat
On se demandait comment un dingue avait fait ça.
Derrière des idéaux de fer, il l'a fait.
Il l'a fait pour moi, par dépit.
Energiquement, il l'a fait.
Il a fait de moi une Elle de plus.
Il l'a fait, évidemment, il l'a fait.
A tue-tête on l'entend crier
Qu'il l'a fait sans qu'on l'ait forcé. Il a fait l'Exil,
Il a fait l'Exode.
Deborah LEMOINE
Je voudrais t'écrire
la douceur d'un verre
qui
éclate et vole en éclats
l'angoisse d'un os
qui
craque et se brise
le crissement d'une craie sur un tableau
ces bruits de pas dans le couloir
cette porte qui claque
ces oiseaux qui chantent
ce robinet qui fuit
ou encore le son de ta voix
je voudrais t'écrire
l'harmonie qui sépare
ton
silence et le mien
le silence qui sépare
ton agonie de
la mienne
je voudrais t'écrire la douceur
de ce vers
que tu n'entendras pas
PHAN Le Tuan
Je voudrais t’écrire
une lettre, froissée par les mirages
Dont on pourrait tourner les pages
Où le silence parle, de tout, de rien, et des rivages
Trêve de mots, raisonné
Son grain ne pense pas, il passe par la peau
Son parfum crie tout bas, englouti par les eaux
Rêves à chaud, regards, resteront-ils si sucrés
?
Je voudrais t’écrire une lettre comme on balaye la plage
Clarisse BERNIER
Toi diseur, You liar
Qu'a-t-il à dire, What are you going to say
Qu'a-t-il à dire, what are you going to say
Y pourvoit la tête de l'hippotrague, entraîne la guerre
Y pourvoit le chasse-mouche, fait écrouler des montagnes.
Toi diseur, you hater
Qu'a-t-il à dire, what for now
Qu'a-t-il à dire, what for now
la vie à transmettre, la haine à disperser
la force à repartir, l'amour à briser
et ce fleuve de chenilles, si mystérieux lorsqu'on ne sait pas
ce qu'il s'y cache
Toilahati BAHEDJA
LA FUGUE
Cher London,
En partant hier matin,
j'ai oublié de remplir tes croquettes.
J'espère que tu ne m'en veux pas.
Un chat rusé comme toi
doit pouvoir trouver des lézards.
Je suis à Harrow
et je me dirige vers Oxford,
vers le Nord.
J'espère atteindre le pôle d'ici quelques jours.
Pour ne pas mourir de faim,
j'ai préparé un sac de réglisse.
Il devrait me tenir jusqu'à la mer.
Passé ce cap, j'improviserai.
Cette nuit, je me suis perdue.
J'étais terrorisée...
Heureusement, j'ai rencontré des oiseaux
qui m'ont guidée à travers les bois.
Comme tu le sais, je boite
depuis que papa m'a broyé les orteils.
C'est une des raisons pour lesquelles je suis partie.
Il doit être en colère...
Je vais te faire une confidence :
juste avant mon départ,
pour l'empêcher de me poursuivre,
et aussi pour le punir
d'avoir frappé maman,
je lui ai scié les pieds.
Affectueusement, ton amie Maelys
PS : Ne creuse pas du côté
des rosiers.
Germain TRAMIER
Tour, soldat,
Elan, proie,
Sauvage, nuit.
Tour, soldat,
Un élan, une lutte, une proie,
Un feu sauvage, une nuit sans eau
Tour, soldat,
Seul, il protège un peuple sans nom,
Un élan, une lutte, une proie
Périple pénible,
Un feu sauvage, une nuit sans eau.
Du haut d'une tour, un soldat,
Seul, il protège un peuple sans nom
Un élan, une lutte, une proie,
Un périple pénible s'abat,
Un feu sauvage, une nuit sans eau.
Virgile ROSA
TRANSITION
J'ai écrit pour devenir gloire,
Peut-être que c'est pour cela qu'il n'y a plus d'étoiles,
Mon humble linceul a recraché sa mélancolie
Sur de minces murailles peut-être l'éclat d'un soupir,
Chaque instant vilipende mon âme,
Peut-être ces merveilleux gouffres philosophiques,
Peut-être que les marches vers le ciel ont chu
Telles Méphisto, nul homme ne les accordées,
Ils ne voient en elles peut-être que sarcasme divin,
Les ombres macèrent dans la poussière bleue
Parchemin de pluie ! Peut-être le cerf aux pieds d'argent,
Viendra s'abreuver dans la mare de saphirs.
Jaïs DORIAC
DONNER FORME AU MONDE EPHEMERE
Les rues et les autoroutes sont une nouvelle forme d'art
Enchevêtrements de géométries bizarres
Tout est carré
Réglé
Feux rouges ou verts, même des passages cloutés
Où les piétons-fakirs en uniformes
Hésitent entre respirer ou crier.
«S'il te plait, aime-moi» dit la chipie
Que puis-je faire ? Je l'adore.
Nuit, île tendre
Promesse d'une grève
«Ailleurs»
Promesse d'une fièvre
Qui brillera encore.
Le vert argent brille lui aussi
C'est le soleil là-bas
Manger les vents solaires
Se saouler des aurores boréales.
J'ai embrassé un loup à pleine bouche.
Jeune folle, ma sœur
Ne m'accompagne pas si tu n'as pas la force de m'aimer
Reste ici et dis-moi
Que tu ne m'attendras pas
D'un mouvement de main
L'oiseau m'a répondu.
Un film de nos nuits passées
Se déroule sous le plafond abimé du monde
L'éclairage d'étoile est raté
Seul le son de l'orage donne le ton exact.
Croisé des chemins
Nord Sud Est Océan
Tu t'impatientes en regardant la fenêtre
«On arrive quand ?»
Le temps rongé par l'acide n'est plus certain
«Sûrement demain, nous avons de l'avance sur le présent
À présent.»
Anthony MILANS