TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Un ange à notre table-
François-Xavier Farine ~ extraits ~ Suivis d'un mini entretien par Cécile Guivarch

 

Inédits d'auteurs que nous sollicitons

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Trinquons à la « Beauté perdue » !

Daniel Biga avait raison (qui disait) :

j’ai vu disparaître les rivières leurs sources et
   des fleuves même
rivages quais parcs profonds et tant de jardins
    subtils
allées promenades hameaux villages
          quartiers entiers
j’ai vu se bétonner des plaines des collines
    rasées (…) *

je ne peux dire mieux
tout mon être saigne avec lui
et j’entends un silence grondant en moi
comme un fracas
accompagner cette défaite
cette chronique d’une mort annoncée
où l’humanité des pelleteuses
a tout crevé tout dévasté
comment se taire ?
réfréner sa révolte ?
l’étouffer sous la neige qui bientôt n’existera plus
- peut-être - ?
on lorgne aussi parfois vers les berges de l’aquoibonisme
ou l’on s’efforce de rire de tout, de prendre la vie qui va
du bon côté de l’espérance
en secret
on ne laisse apparaître finalement du monde que son poids de légèreté
car tout cela depuis a-t-il vraiment un sens ?

‘reusement j’aime mes amis ma famille ma compagne mon chien
peupliers bouleaux et marronniers des chemins vicinaux
et les poètes de la trempe de Daniel Biga
dont la lucidité désarme mais aide à vivre
sans accroître pourtant notre désespoir rampant
le tenant à distance
tout en gardant toujours éveillée notre capacité à nous émouvoir

(mais) je te rassure
même dans le désert noué par l’écriture
tu n’es pas seul Daniel Biga

La lucidité est la blessure la plus rapprochée
du soleil

René Char n’a pas écrit que des conneries

tu vois


*in Stations du chemin, p.60, le dé bleu, 1990.

 

Inventaire

Ce qu’il faut laisser derrière soi
claquemurer derrière la porte
avant d’écrire un poème…
ou quelque chose qui y ressemble

Et Les poèmes sont comme
des arcs-en-ciel :
ils vous échappent vite

dit le poète Langston Hughes

Et que faut-il écrire ?
Ou garder d’ailleurs ?
- Seul ce qui reste
dure ou qui ruisselle -
parmi les éboulis de la journée

Quelques fulgurances :

Deux ou trois mots d’orage
le fusil de l’aube
la pépite en joue
ou le caillou qui flambe
au milieu de la nuée

avant le grand cadavre blanc de l’hiver
qui viendra tout recouvrer

même l’innocence bleue
de quelques poèmes
qui surnagent de toute éternité.

(2007).

 


Cinérarium

J'ai parfois l'impression
que nos vies ressemblent
à un mauvais film
de Cronenberg
où des tueurs à gages
viendraient tout saccager
de l'intérieur
faire place nette
et hop, fini la grande foutraque
universelle
On reprogrammerait
la machine
Adam et rÊve année zéro
Trop de drames
désagrègent
le cœur échevelé des mots
qui saigne
sur les strapontins éventrés.



 


ambre et lumière

cette fille qui m'a dit
pas plus tard
qu'hier
toi, tu devais être un sacré dragueur...
quand je m'évertuais
à ne plus y penser
Que voulait-elle
me dire
au juste ?

 

Rimb' 2010

Si tu savais rimbaud
ce qu'ils ont dit de toi
aucun pourtant
ne t'avait lu
sinon ce vieux crabe de verlaine
tu as dû te frotter au désert
des solitudes
et des trafiquants d'armes
sans scrupules
ils ont jeté là-bas
ta jeunesse éperdue
et ta jambe rognée jusqu'à l'os
et s'ils avaient pu
ils t'auraient dit :
le désert c'est bon pour les rêveurs
qui n'ont plus soif...
Les salauds !

(2010).

 


Rayon Poche(s)

En cherchant
des polars dans ma bibliothèque
grimpé sur un tabouret
brinqueballant
je me suis cassé la gueule
& en voulant me rattraper à une étagère
j'ai reçu
coup sur coup
sur la tête
Téléphone rose
de Pierre Bourgeade
Seraïl killers
de Lahkdar Belaïd
La position du tireur couché
de J-P Manchette
Le chien jaune de Georges Simenon
et La mort des bois
de Brigitte Aubert
un choix a posteriori
pas si mal du tout !

(2011).


François-Xavier Farine est né en 1971 à Lille. Bibliothécaire, il vit dans le Nord. Avant d'être poète, il était fana de sport. Alors, lorsqu'il n'écrit pas, il court ou fait du vélo.
Il a publié quelques textes, interviews, dossiers en revues (Lieux d’Être, Décharge, Poésie/première, Comme en poésie...) et sur internet (Poezibao, Texture).
Un premier recueil, D'infinis petits riens, (écrit en 2002) paraît prochainement aux éditions Gros Textes. Voilà pourquoi il se considère (non sans boutade) comme « le plus vieux des jeunes poètes ».
En novembre dernier, il a participé au n°51 « Humour & Poésie d'Aujourd'hui » de la revue Poésie/première. Depuis décembre 2010, il anime le blog Poebzine.


D’où vient l'écriture pour toi ?
Si je n'écris pas, je me sens amputé d'une partie de moi-même. Il faut que je garde trace des événements, des émotions qui me dépassent, me traversent ou m'ont bouleversé. La poésie, en ce qui me concerne, est de l'ordre de la fulgurance et du sensible. Elle naît aussi parfois d'une rage face à un monde qui piétine l'Homme ou l'annihile. L'écriture, c'est mon moi dépollué de tout ce qu'on veut nous faire avaler au jour le jour. C'est ma révolte. Ma planche de salut. Pour sortir la tête de l'eau et de la boue. Du sale glacis des jours. En tant que poète, et qu'individu même, je crois que je suis un gentil en perpétuelle insurrection. C'est Balzac qui a écrit quelque part : « La résignation est un suicide quotidien. »
J'ai un rapport étrange à l'écriture (amour-haine). Comme deux poètes que je lis souvent : Lucien Becker et Alain Borne. Des fois, j'ai envie de tout envoyer bouler car je suis assez insatisfait de ce que j'écris quand je confronte ma petite musique aux grands poètes d'hier et d'aujourd'hui. En plus, je produis peu et suis toujours étonné par la capacité qu'ont certains auteurs d'écrire quantités de recueils quand, pour ma part, j'ai bien du mal à en composer un... même si je suis en voie de guérison.

Comment travailles-tu tes écrits ?
Dès que je rentre du travail, j'écris. Mais je suis un laborieux. Comme je prends les transports en commun (bus, métro), il m'arrive d'y commencer des bribes de poèmes sur une feuille pliée en 4 ou sur mon téléphone portable. Ensuite, je m'empresse de taper le tout sur ordi dès que je rentre chez moi. Textes que je peaufine, coupe, corrige au fur et à mesure que je tape à l'ordinateur. Il y a des textes qui resteront à l'état de tâtonnement, inachevés. Beaucoup de déchets dont je peux sauver une ou deux images. D'autres qui survivent quand même, heureusement. Par le passé, il m'est arrivé de connaître de longues périodes de silence. Des mois, même des années, sans écrire, excepté des articles, dossiers ou notes de lecture sur la poésie contemporaine. Cela tient certainement du fait que je ne veux pas réécrire les mêmes textes. Ça m'embêterait d'être un poète du ressassement. En ce moment, j'écris des haïkus. Comme celui-ci, par exemple : « La tronçonneuse d'à côté / découpe même / mes haïkus en tranches. »
Quand je suis en panne (de poèmes), j'accumule des aphorismes, également des petits textes qui ressuscitent l'enfance et l'adolescence. J'ai par ailleurs un projet au long cours qui est de raconter toutes mes histoires de filles, de la première à la dernière, sous forme brève. « Comme Women de Bukowski ou Haute fidélité de Nick Hornby... » m'a lancé un ami. On verra bien...
Depuis un an, je crée aussi des poèmes Cut-up à partir de titres de journaux : ça a un côté « défouloir » et donne des trucs tout à fait insolites.

Quelle est ta bibliothèque idéale ? (qui doit être bien fournie d'après ces livres qui te tombent sur la tête)
Je n'ai pas de bibliothèque « idéale » mais plusieurs bibliothèques. Les livres m'ont toujours accompagné, depuis l'adolescence, avec le sport. Je me souviens qu'en 1995, j'étais parti de Montluçon pour un périple cycliste de
3 000 km à travers la France avec deux livres dans ma sacoche-avant dont Hélène ou le Règne Végétal de René Guy Cadou. Ce qui avait fait bondir mon paternel. En milieu de parcours, je me suis aperçu que ma sacoche était trouée, car la roue frottait régulièrement contre celle-ci, à cause du poids des livres. Maintenant mon livre (favori) de Cadou sent le pneu !
J'ai peur d'en oublier - mais j'ai d'abord dévoré des romanciers : Camus, Saint-Ex, Vian, Kundera, Gary, Modiano, Ernaux et Labro, même les carnets & les entretiens. Ensuite des Américains : Richard Ford, Nelson Algren, Saul Bellow, Kerouac et Bukowski surtout.
En poésie, à vingt ans, de nombreux auteurs - que j'aime toujours - m'ont mis de sacrées claques : Daniel Biga, André Laude, Pierre Tilman, Yves Martin, Abdellatif Laâbi, Jean Breton, Paul Vincensini, Jean L'Anselme, François de Cornière... Maintenant, j'en découvre d'autres, surtout la nouvelle génération. « Marre » des vieux ! Quand on parcourt les anthologies, ce sont souvent les mêmes noms qui reviennent cycliquement. J'aimerais voir fleurir une anthologie des 20-40 ans. Chez un éditeur culotté. Les nouvelles voix n'ont rien à envier aux aînés : Thomas Vinau, Marlène Tissot, Sophie G. Lucas, Amandine Marembert, Albane Gellé, Jean-Marc Flahaut, David Dumortier, Guillaume Siaudeau... Longue vie, très longue vie à eux ! Maintenant je ne lis donc principalement plus que de la poésie. Les romans, ça me tombe des mains. Faute de temps aussi ? Grâce à mon travail de bibliothécaire, je peux découvrir une bonne partie de la production actuelle. Et il y a des poètes pour chaque minute, chaque heure et chaque saison...


 
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