TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Un ange à notre table-
Frédéric Eymeri ~ Extraits de Reflets de l’insignifiant (inédit)
Suivis d'un petit entretien avec Sabine Chagnaud

 

Inédits d'auteurs que nous sollicitons

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Rien n’accompagne l’avancée de ma barque dans l’eau, sinon l’imperceptible déchirement
qu’elle ouvre à la rivière. Les feuilles éparses de quelques peupliers applaudissent au passage du vent. Au loin, un oiseau s’y accorde.
Une vache soudain
Aspire à la rivière
L’eau colorée de ciel
Le tintement froid
De métaux qui s’entrechoquent
C’est tout ce qui paraît du travail de l’homme.
Trois corbeaux crient.
Je les vois qui s’envolent.
Lourdes querelles noires.


 


SI HUMBLE BONTÉ

En fin de soirée
Mes doigts fatigués
Pèlent un navet.
Oh ! Tant de bonté retenue
Puisée – depuis quand et comment ? - en lourde terre noire
Relâchée sans retour
Dans le chant âcre du légume si blanc.

 


D’UN CHÂTAIGNIER MORT

Blanc opaque, densité sans matière comme
Un coton que l’on respirerait
Et qui laisse à proximité
Apparaître pour mieux l’isoler
Les immenses ramures torturées
D’un châtaignier mort,
Nervures d’un poumon renversé dans le ciel.
Milles serpents s’enfuient sans bouger
Eclair soudain fossilisé
Bataille de plomb.
Mouvement étonné dans l’immobile
D’un végétal éteint et si intense.
Cent ans que l’œil étreint dans l’instant
Ce sont toutes les pages d’un livre
Ouvertes à la fois
Que je lis sans comprendre.

 

 


D’UN CHÂTAIGNIER

Dans le ciel de janvier
– Le froid attisé par le vent l’essuie
Et pour si peu il serait bleu -
Le grand châtaignier
Est tombé.
Quelques branches poursuivent
Le dessin si léger de leur poids.
L'on dirait les bois d'un cerf chimérique
Géant abattu le corps caché dans l'herbe
Dont la royauté malgré lui
- Et à l’heure où il disparaît -
S’inscrit en lettres sylves dans le ciel.
Fuyante beauté
Endeuille mon horizon ;
Plus que le temps, t’efface
Ce corbeau qui te prend pour perchoir


 


LE PAYS DES MAUGES

Mauges de terre plus que d’air
De moins de ciel
De si peu de lui
Tant elle, de chaque côté des bosquets, tout autour des taillis, donnant matière aux ronciers
de mûres et à toute sortes de végétaux qui portent épines, aux bois jaunes des saules sauvages,
aux noisetiers, aux racines des aulnes tranchés, la terre, la sombre, la chargée, la grasse ; est
partout !
Nourricière des buissonneux à baies, des bois d’eaux, des arbrisseaux à boue, d’épaisses graminées
aimant ce liant lourd et noir qui avale la pierre et voit naître l’ortie,
Tout s’offre à cette molle lourde qui porte dans un même effort et l’homme et la vache et
l’herbe.
Terre si présente que le pas en est lourd et tout empli de peine,
Labeur d’être,
Tant même que nous tient cette presque vase, ce sol qui colle à l’âme et qui touche tout, qui
avale la vue, cette terre dont le fruit est issu,
La poussière entre jusque dans nos églises ;
Et il est dur de se frayer un chemin dans les airs, de respirer un peu de ciel, de se savoir léger,
de monter, de s’arracher à l’enlisement.
Bleu éteint où les oiseaux semblent sans ailes - mis à part les corbeaux, peut-être, dont le vol
noir se confond au labour -
Ciel ! Front pâle où perce la sueur.




EN REGARDANT MOURIR L’HIVER

Des mouettes s’amusent et devant ma fenêtre
Dans le vent des labours de mars
Touche à sa fin la blanche saison.
Ensemble elle fond de gris
La terre, le ciel et ma peau
Puis, lisse comme d’un coup d’éponge
L’humide horizon plat et sa dentelle d’arbre.


***

- Si opaque est l’eau de la rivière
Et dépossédée du chant de ses berges –
Balaye le ciel
La légère branche du saule,
C’est un seul frisson dans l’air
Qui fissure la longue saison.



Ces textes semblent issus d'un même mouvement d'attention à ce qui vient, ils portent en même temps quelque chose de tendu, comme une attente. Peux-tu dire ce qui fut à l'origine de cet ensemble et comment tu as procédé pour l'écrire ?


C'est l'amitié avec un autre poète, Denis Cardinaux, qui a mûri en moi la conscience du "devoir de poésie" (ce "devoir" s'exprime dans une grande liberté et gratuité). La décision prise, j’entrais en poésie comme l’on entre en religion ! Mon premier pas serait de seulement me laisser faire, et davantage même que d’observer, je voulais simplement écouter, entrer peu à peu dans l’épaisseur de ce qui est, prendre le temps de désapprendre ce qu’il me semblait connaître pour le découvrir véritablement et ne pas me contenter de le décrire. Une « mystérieuse main » me poussait en ce sens. Je mis à l’eau une petite barque et prenais – avec l’accord de ma chère épouse – des dispositions dans mon travail (quitte à gagner moins d’argent) pour passer au moins deux jours par semaine dans les bras de la petite rivière. Après quelques temps, j’osais porter avec moi un petit carnet sur lequel je notais quelques impressions...


Je sais l'importance qu'a eu pour toi la découverte de la poésie de Philippe Jaccottet. Peux-tu nous en dire quelques mots ?


A la lecture des oeuvres de Philippe Jaccottet, j'ai éprouvé une profonde correspondance entre ses textes et les aspirations de mon cœur. Il me semblait me reconnaître dans la voix d’un autre, sa voix. Pour dire simplement et avant toute analyse, une joie si grande m’envahissait, une clé inattendue était en train d’ouvrir le dernier verrou qui me séparait de la poésie. Ce visage, qui m’a été présenté par mon ami Denis, s’est approché avec la discrète intensité d’un Ange et l’intimité distante de l’ami pour m’attester à peu près ceci : "Tu vois, tu n’est pas seul... Tes préoccupations sont celles du poète, ne t’en inquiète pas. A cette intuition profonde, bien que fugitive, donne crédit en tes choix plus qu’à l’agitation qui agace la terre en sa superficie... Sans craindre les voix contraires tiens-toi silencieux devant tout ce qui est, écoute, interroge, supplie, et laisse faire toujours la main qui t’enfonce dans l’épaisseur du réel ; ne met pas de frein au chant qui s’en échappe."

A part celle des œuvres de Philippe Jaccottet, quelles sont les lectures, les expériences qui te nourrissent ?


Je crois pouvoir dire que toute expérience m'est nourriture. J'essaye de ne pas saucissonner la réalité, mais de tout épouser : ce qui est agréable et porteur d'un sens évident autant que ce qui est douloureux, obscur, révoltant. Je ne lis finalement que très peut, sinon peut être la Bible; des ouvrages de philosophie et de théologie. Je connais très mal les poètes, et j'avoue que le plus souvent ils m'ennuient. Je préfère la compagnie des peintres, ( Corot, Rembrand, Chaggall, Turner, Morandi, Millet, Michel Ciry) et les occupations qui me laissent l'esprit libre, qui engendrent une écoute, une proximité avec cette mystérieuse présence qui habite le silence. M'occuper de mon jardin, des fleurs mais aussi des poivrons, des tomates... Cela me nourrit à double titre...

Petite biographie :

Je suis né voilà presque 42 ans sur le bassin d’Arcachon, suis mari et papa de deux - encore jeunes - enfants : Paul et Noël. Je suis, depuis quelques années (moins de dix), domicilié dans un petit village des Mauges, entre Angers et Cholet, pays de terre lourde et de peu de ciel. Je n’ai pas véritablement de visage social, - j’ai exercé trop de choses différentes pour que mes proches puissent dire : « il est menuisier, il est éducateur ou, par exemple, professeur. » Depuis quelques années, je donne ponctuellement des cours dans un institut qui forme de futurs responsables en action humanitaire et sociale. Je propose une approche réaliste de la personne humaine, m’appuyant sur une expérience conséquente de vie partagée avec les plus souffrants (cette expérience d’amitié avec les plus pauvres est conciliée dans un livre édité aux Presses de la Renaissance sous le titre Instants de grâce ), et des études de philosophie. De ce qui est lucratif, l’enseignement et l'éducation est sûrement ce que je fais de moins mal, aussi je cherche à persévérer dans ce secteur d’activité.


 
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