nous arrivons dans deux heures
et quart nous arrivons – répondant à sa question
à l’arrière je me réponds – l’escarpement
calcaire que nous avons laissé derrière nous sa
falaise au-dessus des vignes – les éboulis rocheux
nous aboutissons au parking – midi mangerons ici –
imaginerons des hordes d’animaux je n’ai aperçu
que des vaches – rêvant de chevaux sauvages ce chemin
– entre la les – elles qui gambadant – je les
nous serons tranquilles – avant que nous reprenions la route
la chaleur est si
|
parce que la neige autoroute blanche – c’est probable
il les découvre – d’en bas où nous roulons
les cimes –– il ses sept ans – lui et son regard
voyageant sur les reliefs – prise de ticket tunnels –
je ne lui expose pas tout je lui explique – d’une
vallée à l’autre les cols pour y passer –
les franchir sinon faire demi-tour – tandis que nous continuons
à droite nous arrêterons sur la prochaine aire de
repos – les alpinistes repartant à chacun de leurs
retours convoitant ce qu’il admire – ils les sommets
ils les sommets
|
on sent que ça elle remarque –
au bas du versant sud le long de la rive droite – se rafraîchit
elle s’aperçoit que – elle constate elle constate
– comme si tout se désaltérait le ravin –
le petit bois que nous avons traversé les enfants qui boivent
au goulot de la bouteille d’eau minérale –
nous en retournant par le même itinéraire l’air
semble s’être renouvelé – le bord du
lac au bout son liquide – ses vertus bienfaisantes le longeant
tu suggères – tournant retournant – rocher
d’escalade la promenade qui s’achève
|
ou la vue qui a changé allo – elle
m’appelle nous sommes au signal – à plus de
mille mètres d’altitude au-dessus de moi la montée
en lacets – allons descendre je tente de me souvenir de
cette grande pente jadis pour rejoindre l’hôtel –
la gare du train qu’elle permet de rallier du sentier panoramique
qu’ils ont emprunté ce matin – et tout se mêle
une bifurcation – ses mots au téléphone les
images qu’il me reste – continuer en franchissant
le torrent à l’horizontale que je rembobine –
le bas des moraines partir à dr.
|
de la terrasse du refuge-hôtel j’accède
à la haute montagne – un verre à la main croirais
escalader les cimes – voué à la contemplation
des aiguilles du panorama depuis l’arrivée du train
à crémaillère – qui m’a conduit
jusqu’ici grand balcon nord – m’a permis cette
rêverie salle des guides – restaurant douches –
gardé en juillet et août places en dortoir où
je ne dormirai pas – revenant dans la vallée avec cette
vision nos bouteilles de jus de fruits vides laissées sur
une table – cet autre moi je n’en suis pas revenu |
sa question d’enfant comment est-ce qu’on
voit que c’est la frontière – approchant du
poste de douane nous passons à l’étranger
– ça l’intrigue comment qu’on voit est-ce
que c’est – les secondes qui suivent lui apportant
une réponse permis national à trois volets –
carte grise carte internationale d’assurance pour le véhicule
– je ralentis personne – alors il comprend peut-être
cela que les frontières invitent à être franchies
– les limitations de vitesse le réseau courant –
nous sommes ailleurs chez nous partout est ailleurs
|
tu as aimé visiter cette ville tu demandes – toi
aussi dans ta robe fleurie je pense tout bas – le lac parmi
les montagnes les montagnes parmi le lac – ses bords la
rade – tes jambes se promenant sur la rive droite ta nuque
le long du quai – ces perspectives lointaines qui s’offraient
au regard le point de vue sur tes seins – le jet d’eau
dans le jet d’eau de tes bras leur fraîcheur dans
la chaleur qui fusait – du blanc au milieu du blanc les
embarcations que nous fixions – j’ai fait le plein
de soleil là-bas avec toi le plein s’est fait d’amour
|
ma petite fille me fait savoir je veux tremper mes mains dans
l’eau – et elle accomplit ce qu’elle annonçait
plongeant ses doigts dans cette métaphore – ce lac
qui est forcément un miroir elle agite sa surface de cliché
– toute entière à la gaieté de cette
immersion à sa fabrique de frais – dans cet endroit
boisé près du rocher d’escalade elle a observé
les alpinistes qui s’entraînaient – contourné
la masse liquide son inévitable transparence – y
est revenue traversant la route – fêlant de ces phalanges
cette image ce reflet trop poli
|
quand le temps change à la montagne ça change l’ambiance
– tu avances tu considères – engagée
dans le monde tes sensations – sortir traverser –
des verbes à l’infinitif ils disent que tu es là
– ta présence les aiguilles – cette forêt
elle s’efface – et tu t’effaces avec elle ce
bloc erratique – la centrale souterraine qui turbine l’eau
tu me réapparais portant les yeux sur les remous –
que je considère à mon tour notant les mots que
j’ai vus – le torrent l’héliport de secours
en montagne – le bois la voie ferrée – nous
prendre à g.
|
Mini entretien par Cécile Guivarch
D’où vient l’écriture
pour toi ?
Je dirais : d’une volonté d’approfondir le réel,
de m’approprier la langue et de m’appréhender moi-même.
Du croisement d’une forme et d’une émotion. D’un
vécu qui vit encore. D’un maintenant qui dure. D’un
passé qui se projette dans le futur. De l’assurance d’ignorer
où me conduiront les mots et de l’envie d’y aller
quand même. De ma voix où percent d’autres voix.
D’un mouvement permanent vers l’avant. D’un désir
d’expérimenter sans faire table rase. De l’espoir
de me surprendre et d’être surpris. D’une volonté
farouche d’échapper au chaos en concrétisant ma
vie par des poèmes. D’exister pour de bon à travers
ça.
Comment travailles-tu tes écrits ?
Je pars de presque rien. Une sensation, une impression, une émotion.
Parfois quelques notes sur tel ou tel motif, un enchaînement de
mots qui catalyse la pensée, fait naître un rythme.
Puis, pour chaque ensemble de textes, je coule l’écriture
dans une forme préétablie, marinée à l’intérieur
de ma tête durant de longs mois avant que ne s’écrive,
un jour, un premier poème qui donnera le cadre à ceux
qui suivront pendant une période donnée. Ce processus
de macération est assez mystérieux, et la forme de mes
poèmes à venir m’apparaît progressivement
comme émergeant d’une brume, jusqu’au moment où
j’ai l’intuition qu’elle coïncide parfaitement
avec ma cadence intérieure. C’est en général
à cet instant que je commence un nouveau projet, que j’achèverai
dès que j’aurai conscience que cette forme-émotion
ne sera plus à même de traduire mon rythme propre ou mes
mouvements intimes, mais qu’elle deviendra un automatisme, ne
suscitant plus rien de nouveau. Une autre forme-émotion prendra
alors le relais, presque naturellement, poursuivant la trajectoire de
la précédente, tout en déviant légèrement,
ce qui m’obligera à une remise à plat, à
oublier le peu de certitudes acquises au fil de l’écriture
de l’année qui vient de s’écouler.
J’écris vite et sans trop barrer. Sans trop peiner, je
dois l’avouer. Je recopie le poème obtenu et je le laisse
reposer. Il m’arrive de mettre de côté mes carnets
des mois, parfois des années.
Je réécris très peu. Je ne pense pas qu’un
poème moyen puisse, en le retravaillant, devenir un bon poème.
Alors je trie, j’arrange, je réarrange, comme on parle
d’arrangements à l’issue de l’enregistrement
des morceaux d’un disque. Avec l’aide du traitement de texte,
je donne naissance à des ensembles, regroupant les poèmes
qui s’aimantent entre eux. Ces ensembles n’étaient
pas prévus initialement, entendu que je ne sais pas vers quoi
– vers quels grands thèmes s’attirant les uns les
autres ou au contraire se repoussant, divisant les textes composés
durant une période donnée en plusieurs livres ou livrets
¬– m’emmène l’écriture lorsqu’une
nouvelle série démarre.
Quelle est ta bibliothèque idéale
?
Une bibliothèque où seraient rangés tous les livres
qui ont fait que je suis ce que je suis, dans une sorte d’ordre
désordonné comme l’est toute poésie qui accepte
ses contradictions, comme tout un chacun. Une bibliothèque où
je rejoindrais le vaste monde sous chaque couverture, où je me
l’approprierais davantage à chaque page. Une bibliothèque
qui m’inviterait à me détacher d’elle pour
mieux m’inviter à y revenir. Une bibliothèque avec
les livres des autres que j’aurais voulu écrire.
Fiche de poète de Romain
Fustier sur terre à ciel