TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Un ange à notre table-
Romain Fustier

 

Inédits d'auteurs que nous sollicitons

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

nous arrivons dans deux heures et quart nous arrivons – répondant à sa question à l’arrière je me réponds – l’escarpement calcaire que nous avons laissé derrière nous sa falaise au-dessus des vignes – les éboulis rocheux nous aboutissons au parking – midi mangerons ici – imaginerons des hordes d’animaux je n’ai aperçu que des vaches – rêvant de chevaux sauvages ce chemin – entre la les – elles qui gambadant – je les nous serons tranquilles – avant que nous reprenions la route la chaleur est si


 

 


parce que la neige autoroute blanche – c’est probable il les découvre – d’en bas où nous roulons les cimes –– il ses sept ans – lui et son regard voyageant sur les reliefs – prise de ticket tunnels – je ne lui expose pas tout je lui explique – d’une vallée à l’autre les cols pour y passer – les franchir sinon faire demi-tour – tandis que nous continuons à droite nous arrêterons sur la prochaine aire de repos – les alpinistes repartant à chacun de leurs retours convoitant ce qu’il admire – ils les sommets ils les sommets

 

on sent que ça elle remarque – au bas du versant sud le long de la rive droite – se rafraîchit elle s’aperçoit que – elle constate elle constate – comme si tout se désaltérait le ravin – le petit bois que nous avons traversé les enfants qui boivent au goulot de la bouteille d’eau minérale – nous en retournant par le même itinéraire l’air semble s’être renouvelé – le bord du lac au bout son liquide – ses vertus bienfaisantes le longeant tu suggères – tournant retournant – rocher d’escalade la promenade qui s’achève



 

ou la vue qui a changé allo – elle m’appelle nous sommes au signal – à plus de mille mètres d’altitude au-dessus de moi la montée en lacets – allons descendre je tente de me souvenir de cette grande pente jadis pour rejoindre l’hôtel – la gare du train qu’elle permet de rallier du sentier panoramique qu’ils ont emprunté ce matin – et tout se mêle une bifurcation – ses mots au téléphone les images qu’il me reste – continuer en franchissant le torrent à l’horizontale que je rembobine – le bas des moraines partir à dr.

 

de la terrasse du refuge-hôtel j’accède à la haute montagne – un verre à la main croirais escalader les cimes – voué à la contemplation des aiguilles du panorama depuis l’arrivée du train à crémaillère – qui m’a conduit jusqu’ici grand balcon nord – m’a permis cette rêverie salle des guides – restaurant douches – gardé en juillet et août places en dortoir où je ne dormirai pas – revenant dans la vallée avec cette vision nos bouteilles de jus de fruits vides laissées sur une table – cet autre moi je n’en suis pas revenu

 

sa question d’enfant comment est-ce qu’on voit que c’est la frontière – approchant du poste de douane nous passons à l’étranger – ça l’intrigue comment qu’on voit est-ce que c’est – les secondes qui suivent lui apportant une réponse permis national à trois volets – carte grise carte internationale d’assurance pour le véhicule – je ralentis personne – alors il comprend peut-être cela que les frontières invitent à être franchies – les limitations de vitesse le réseau courant – nous sommes ailleurs chez nous partout est ailleurs

 


tu as aimé visiter cette ville tu demandes – toi aussi dans ta robe fleurie je pense tout bas – le lac parmi les montagnes les montagnes parmi le lac – ses bords la rade – tes jambes se promenant sur la rive droite ta nuque le long du quai – ces perspectives lointaines qui s’offraient au regard le point de vue sur tes seins – le jet d’eau dans le jet d’eau de tes bras leur fraîcheur dans la chaleur qui fusait – du blanc au milieu du blanc les embarcations que nous fixions – j’ai fait le plein de soleil là-bas avec toi le plein s’est fait d’amour

 


ma petite fille me fait savoir je veux tremper mes mains dans l’eau – et elle accomplit ce qu’elle annonçait plongeant ses doigts dans cette métaphore – ce lac qui est forcément un miroir elle agite sa surface de cliché – toute entière à la gaieté de cette immersion à sa fabrique de frais – dans cet endroit boisé près du rocher d’escalade elle a observé les alpinistes qui s’entraînaient – contourné la masse liquide son inévitable transparence – y est revenue traversant la route – fêlant de ces phalanges cette image ce reflet trop poli

 


quand le temps change à la montagne ça change l’ambiance – tu avances tu considères – engagée dans le monde tes sensations – sortir traverser – des verbes à l’infinitif ils disent que tu es là – ta présence les aiguilles – cette forêt elle s’efface – et tu t’effaces avec elle ce bloc erratique – la centrale souterraine qui turbine l’eau tu me réapparais portant les yeux sur les remous – que je considère à mon tour notant les mots que j’ai vus – le torrent l’héliport de secours en montagne – le bois la voie ferrée – nous prendre à g.

Mini entretien par Cécile Guivarch

D’où vient l’écriture pour toi ?
Je dirais : d’une volonté d’approfondir le réel, de m’approprier la langue et de m’appréhender moi-même. Du croisement d’une forme et d’une émotion. D’un vécu qui vit encore. D’un maintenant qui dure. D’un passé qui se projette dans le futur. De l’assurance d’ignorer où me conduiront les mots et de l’envie d’y aller quand même. De ma voix où percent d’autres voix. D’un mouvement permanent vers l’avant. D’un désir d’expérimenter sans faire table rase. De l’espoir de me surprendre et d’être surpris. D’une volonté farouche d’échapper au chaos en concrétisant ma vie par des poèmes. D’exister pour de bon à travers ça.

Comment travailles-tu tes écrits ?
Je pars de presque rien. Une sensation, une impression, une émotion. Parfois quelques notes sur tel ou tel motif, un enchaînement de mots qui catalyse la pensée, fait naître un rythme.
Puis, pour chaque ensemble de textes, je coule l’écriture dans une forme préétablie, marinée à l’intérieur de ma tête durant de longs mois avant que ne s’écrive, un jour, un premier poème qui donnera le cadre à ceux qui suivront pendant une période donnée. Ce processus de macération est assez mystérieux, et la forme de mes poèmes à venir m’apparaît progressivement comme émergeant d’une brume, jusqu’au moment où j’ai l’intuition qu’elle coïncide parfaitement avec ma cadence intérieure. C’est en général à cet instant que je commence un nouveau projet, que j’achèverai dès que j’aurai conscience que cette forme-émotion ne sera plus à même de traduire mon rythme propre ou mes mouvements intimes, mais qu’elle deviendra un automatisme, ne suscitant plus rien de nouveau. Une autre forme-émotion prendra alors le relais, presque naturellement, poursuivant la trajectoire de la précédente, tout en déviant légèrement, ce qui m’obligera à une remise à plat, à oublier le peu de certitudes acquises au fil de l’écriture de l’année qui vient de s’écouler.
J’écris vite et sans trop barrer. Sans trop peiner, je dois l’avouer. Je recopie le poème obtenu et je le laisse reposer. Il m’arrive de mettre de côté mes carnets des mois, parfois des années.
Je réécris très peu. Je ne pense pas qu’un poème moyen puisse, en le retravaillant, devenir un bon poème. Alors je trie, j’arrange, je réarrange, comme on parle d’arrangements à l’issue de l’enregistrement des morceaux d’un disque. Avec l’aide du traitement de texte, je donne naissance à des ensembles, regroupant les poèmes qui s’aimantent entre eux. Ces ensembles n’étaient pas prévus initialement, entendu que je ne sais pas vers quoi – vers quels grands thèmes s’attirant les uns les autres ou au contraire se repoussant, divisant les textes composés durant une période donnée en plusieurs livres ou livrets ¬– m’emmène l’écriture lorsqu’une nouvelle série démarre.

Quelle est ta bibliothèque idéale ?
Une bibliothèque où seraient rangés tous les livres qui ont fait que je suis ce que je suis, dans une sorte d’ordre désordonné comme l’est toute poésie qui accepte ses contradictions, comme tout un chacun. Une bibliothèque où je rejoindrais le vaste monde sous chaque couverture, où je me l’approprierais davantage à chaque page. Une bibliothèque qui m’inviterait à me détacher d’elle pour mieux m’inviter à y revenir. Une bibliothèque avec les livres des autres que j’aurais voulu écrire.

 

Fiche de poète de Romain Fustier sur terre à ciel

 
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