Je pose mes mains sur une tourmaline
Un granit
Un coquillart Tu te défais de ta
robe
Fais glisser le collier de pierres
Sur ta jambe
Agrandis la patience
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La nudité
Son parfum se révèle au frottement du regard
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Tu me montres les mots qu’on peut réparer
Les yeux fermés
Nous modifions un instant la géographie du poème
Un geste
Taillé à la mesure du désir
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Tu as posé quelques poivrons rouges
Dans une assiette jaune en carton
Pour que la rougeur qui affleure sur tes seins
Reste dans la pièce
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Dos à la porte
Tu me dis qu’il n’y a pas sur terre
De départ heureux
Au même instant
Un arbre jette une pomme
Dans la paume ouverte et chantante
D’un buisson
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Ouverture
Dans l’ombre qui se cherche :
Une pivoine
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L’ombre
Que le ressort de la fleur
Maintient au sol
(Le vent fait bouger le ressort)
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Le vol d’un papillon
Il me faut une épingle
Pour mon regard
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Le ciel irrite les arbres qui se répandent
En cris d’oiseaux
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Les pas du cygne que font ses ailes
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Ton absence fendille chaque mot
Que je risque hors de moi
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Tu glisses dans la mémoire sans être prononcé
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Le reflet des huitres
Sur la carafe à tête de singe
Des points de couleur
Sur les olives de la coupelle
Des noix
Cassées
Et sous ta langue
Le poème
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On sent dans ces poèmes l’influence
des choses du quotidien, la mémoire, l’observation du monde
et beaucoup d’autres choses… Qu’est-ce qui te pousse
à écrire ?
Je crois que l'impulsion de l'écriture n'est
que le prolongement, comme la modulation palpable d'une impulsion de
regard et d'écoute. Il s'agit tout d'abord pour moi d'être
face en monde dans une posture telle que je sois à même
d'être sensible, sensible dans le sens d'une plaque photographique.
Les poèmes apparaissant comme autant de tirages de ce que j'ai
ressenti, de ce que j'ai vu avec les yeux de l'émotion, d'une
émotion également travaillée par mes lectures,
mais aussi par les films que je vois (je ne cesse d'aller à l'Accatone,
aussi souvent que je le peux), par les expositions au sein desquelles
je vis une vie de regard, d'un regard qui soit corps sans aucun manque
d'être.
Mais, d'un autre côté, j'écris aussi, moins consciemment,
pour savoir qui je suis, pour savoir ce que j'écrirai en l'écrivant.
Car l'élément de la surprise est prépondérant
dans toute forme artistique. L'on écrit pour être surpris
par soi, pour découvrir en soi des choses inavouées, pour
mettre le doigt sur ce qui était dissimulé, et toujours
en se comportant avec sa langue comme s'il s'agissait d'une langue étrangère,
c'est à dire en ne prenant aucune construction syntaxique comme
allant de soi, en cherchant en somme et pour le dire un peu vite à
réinventer une langue à chaque fois que l'on s'attache
à fabriquer un poème, réinventer une langue qui
nous permette de nous réinventer nous et de mettre l'accent sur
ce qui, en nous, est vraiment singulier. Il y a pour moi ainsi un double
mouvement de l'être qui se construit et se reconnaît là
où il ne pouvait initialement se reconnaître par le biais
de l'écriture.
Quels sont tes maitres ? Que lis-tu en ce moment
?
Il y a énormément d'auteurs dont je me
sens proche. Je suis un véritable boulimique de lecture. Dès
que j'ai du temps, je lis. Tout le temps. Dans les transports, dans
les trains, en attendant quelqu'un dans un café, au cinéma,
même en marchant. Je lis pour vivre. Le mouvement de la lecture,
c'est-à-à dire ce mouvement par quoi l'on fait vivre son
imaginaire en le déployant, et où l'on permet à
sa sensibilité de vibrer de tous ses feux, la laissant libre
de vivre sa vie (enfin !), se confond pour moi avec celui de la respiration.
Parmi les auteurs contemporains, je ne cesse en ce moment de relire
Ariane Dreyfus (dont le très beau La terre voudrait recommencer
vient de sortir chez Flammarion) et Stéphane Bouquet, deux auteurs
que je trouve absolument formidables dans la façon qu'ils ont
de dire le corps jamais singulier mais indéfectiblement multiple
(c'est à dire toujours en rapport : en rapport avec le monde,
avec un autre, aimé, avec un autre qui peut être, comme
c'est le cas chez Bouquet, plusieurs autres), de dire l'être comme
étant toujours en danse avec l'autre, dans un rapport très
étroit et très doux, fondé sur l'imaginaire et
le réel, et dans la façon qu'ils ont de réinventer
la langue pour que leur(s) voix soient portées avec toute la
justesse possible, une justesse qui soit une justesse de l'être.
Parle-moi un peu de ton recueil sur le Rwanda.
J'ai écrit un texte de présentation en
ce qui concerne mon projet à destination de Florence Trocmé
pour son site Poezibao. Il a été publié ici : http://poezibao.typepad.com/poezibao/2010/03/ecrire-un-recueil-de-poèmes-à-propos-dun-génocide-cela-atil-un-sens-par-matthieu-gosztola.html.
Il explique quelle fut ma visée car écrire un recueil
de poèmes sur un génocide, cela peut sembler vraiment
inapproprié.
Je me suis immergé dans tous les témoignages de rescapés
des massacres à l'occasion de ce long travail d'écriture
qui a pris toute mon attention, mais aussi toutes mes nuits, tout mon
souffle, et a placé en mon corps et en ma mémoire un sentiment
qui est de l'ordre du cri étouffé (car comment réagir
autrement face à cet ineffable de la souffrance, face à
la multiplicité des atrocités, face à ce dont les
hommes sont capables). Cela a été une véritable
traversée des enfers dont je me remets tout doucement.
Quels sont tes projets ?
Pour le moment, il me faut venir à bout de projets
universitaires (une thèse, une édition critique avec une
équipe éditoriale de Paris IV, des articles...) mais l'écriture
poétique, parce qu'elle est vitale, continue de me requérir
à chaque instant. Un recueil d'aphorismes poétiques sur
la jouissance qu'il y a à exister en accord avec soi et avec
le monde (dans un accord qui soit le même accord) va paraître
aux Editions de l'Atlantique. Il s'intitulera Un seul coup d'ailes
dans le bleu. Et j'ai aussi sous les doigts plusieurs autres projets,
dont un recueil sur la Shoah, sujet qui s'est imposé en moi depuis
de très nombreuses années déjà. Car il s'agit
encore pour moi, il s'agit toujours pour moi d'essayer de donner corps
par le langage à l'inexprimable, ainsi que de faire exister,
inlassablement, les silences de ces martyrs, si plein de sens, en même
temps que de pousser les lecteurs à réfléchir aux
atrocités qu'ont pu commettre les hommes pour que jamais (en
tout cas peut-on le souhaiter de tout son être) ils ne soient
amenés à retrouver ces gestes de la souffrance.