TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Un ange à notre table-
Matthieu Gosztola - suivi d'une entrevue avec Cécile Guivarch

 

Inédits d'auteurs que nous sollicitons

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Je pose mes mains sur une tourmaline
Un granit
Un coquillart

Tu te défais de ta robe
Fais glisser le collier de pierres
Sur ta jambe

Agrandis la patience

 



La nudité
Son parfum se révèle au frottement du regard

 


Tu me montres les mots qu’on peut réparer

Les yeux fermés
Nous modifions un instant la géographie du poème

Un geste
Taillé à la mesure du désir

 

 


Tu as posé quelques poivrons rouges
Dans une assiette jaune en carton
Pour que la rougeur qui affleure sur tes seins
Reste dans la pièce


 



Dos à la porte
Tu me dis qu’il n’y a pas sur terre
De départ heureux

Au même instant
Un arbre jette une pomme
Dans la paume ouverte et chantante
D’un buisson



Ouverture
Dans l’ombre qui se cherche :

Une pivoine




L’ombre
Que le ressort de la fleur
Maintient au sol

(Le vent fait bouger le ressort)


 


Le vol d’un papillon

Il me faut une épingle
Pour mon regard


 



Le ciel irrite les arbres qui se répandent
En cris d’oiseaux

 

Les pas du cygne que font ses ailes

 


Ton absence fendille chaque mot
Que je risque hors de moi


 


Tu glisses dans la mémoire sans être prononcé


 


Le reflet des huitres
Sur la carafe à tête de singe

Des points de couleur
Sur les olives de la coupelle

Des noix
Cassées
Et sous ta langue

Le poème


 

 

On sent dans ces poèmes l’influence des choses du quotidien, la mémoire, l’observation du monde et beaucoup d’autres choses… Qu’est-ce qui te pousse à écrire ?

Je crois que l'impulsion de l'écriture n'est que le prolongement, comme la modulation palpable d'une impulsion de regard et d'écoute. Il s'agit tout d'abord pour moi d'être face en monde dans une posture telle que je sois à même d'être sensible, sensible dans le sens d'une plaque photographique. Les poèmes apparaissant comme autant de tirages de ce que j'ai ressenti, de ce que j'ai vu avec les yeux de l'émotion, d'une émotion également travaillée par mes lectures, mais aussi par les films que je vois (je ne cesse d'aller à l'Accatone, aussi souvent que je le peux), par les expositions au sein desquelles je vis une vie de regard, d'un regard qui soit corps sans aucun manque d'être.
Mais, d'un autre côté, j'écris aussi, moins consciemment, pour savoir qui je suis, pour savoir ce que j'écrirai en l'écrivant. Car l'élément de la surprise est prépondérant dans toute forme artistique. L'on écrit pour être surpris par soi, pour découvrir en soi des choses inavouées, pour mettre le doigt sur ce qui était dissimulé, et toujours en se comportant avec sa langue comme s'il s'agissait d'une langue étrangère, c'est à dire en ne prenant aucune construction syntaxique comme allant de soi, en cherchant en somme et pour le dire un peu vite à réinventer une langue à chaque fois que l'on s'attache à fabriquer un poème, réinventer une langue qui nous permette de nous réinventer nous et de mettre l'accent sur ce qui, en nous, est vraiment singulier. Il y a pour moi ainsi un double mouvement de l'être qui se construit et se reconnaît là où il ne pouvait initialement se reconnaître par le biais de l'écriture.

Quels sont tes maitres ? Que lis-tu en ce moment ?

Il y a énormément d'auteurs dont je me sens proche. Je suis un véritable boulimique de lecture. Dès que j'ai du temps, je lis. Tout le temps. Dans les transports, dans les trains, en attendant quelqu'un dans un café, au cinéma, même en marchant. Je lis pour vivre. Le mouvement de la lecture, c'est-à-à dire ce mouvement par quoi l'on fait vivre son imaginaire en le déployant, et où l'on permet à sa sensibilité de vibrer de tous ses feux, la laissant libre de vivre sa vie (enfin !), se confond pour moi avec celui de la respiration. Parmi les auteurs contemporains, je ne cesse en ce moment de relire Ariane Dreyfus (dont le très beau La terre voudrait recommencer vient de sortir chez Flammarion) et Stéphane Bouquet, deux auteurs que je trouve absolument formidables dans la façon qu'ils ont de dire le corps jamais singulier mais indéfectiblement multiple (c'est à dire toujours en rapport : en rapport avec le monde, avec un autre, aimé, avec un autre qui peut être, comme c'est le cas chez Bouquet, plusieurs autres), de dire l'être comme étant toujours en danse avec l'autre, dans un rapport très étroit et très doux, fondé sur l'imaginaire et le réel, et dans la façon qu'ils ont de réinventer la langue pour que leur(s) voix soient portées avec toute la justesse possible, une justesse qui soit une justesse de l'être.

Parle-moi un peu de ton recueil sur le Rwanda.

J'ai écrit un texte de présentation en ce qui concerne mon projet à destination de Florence Trocmé pour son site Poezibao. Il a été publié ici : http://poezibao.typepad.com/poezibao/2010/03/ecrire-un-recueil-de-poèmes-à-propos-dun-génocide-cela-atil-un-sens-par-matthieu-gosztola.html. Il explique quelle fut ma visée car écrire un recueil de poèmes sur un génocide, cela peut sembler vraiment inapproprié.
Je me suis immergé dans tous les témoignages de rescapés des massacres à l'occasion de ce long travail d'écriture qui a pris toute mon attention, mais aussi toutes mes nuits, tout mon souffle, et a placé en mon corps et en ma mémoire un sentiment qui est de l'ordre du cri étouffé (car comment réagir autrement face à cet ineffable de la souffrance, face à la multiplicité des atrocités, face à ce dont les hommes sont capables). Cela a été une véritable traversée des enfers dont je me remets tout doucement.


Quels sont tes projets ?

Pour le moment, il me faut venir à bout de projets universitaires (une thèse, une édition critique avec une équipe éditoriale de Paris IV, des articles...) mais l'écriture poétique, parce qu'elle est vitale, continue de me requérir à chaque instant. Un recueil d'aphorismes poétiques sur la jouissance qu'il y a à exister en accord avec soi et avec le monde (dans un accord qui soit le même accord) va paraître aux Editions de l'Atlantique. Il s'intitulera Un seul coup d'ailes dans le bleu. Et j'ai aussi sous les doigts plusieurs autres projets, dont un recueil sur la Shoah, sujet qui s'est imposé en moi depuis de très nombreuses années déjà. Car il s'agit encore pour moi, il s'agit toujours pour moi d'essayer de donner corps par le langage à l'inexprimable, ainsi que de faire exister, inlassablement, les silences de ces martyrs, si plein de sens, en même temps que de pousser les lecteurs à réfléchir aux atrocités qu'ont pu commettre les hommes pour que jamais (en tout cas peut-on le souhaiter de tout son être) ils ne soient amenés à retrouver ces gestes de la souffrance.

 



 
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