gréement et cendre
lampe et corde
lueur à tes doigts
ton cercle ta chevelure
l'air qui désordonne admirablement
bat
l'ouvert le poumon
le chien oxygène
ébrouer dissimule
la meute ma voix
|
le soleil creuse à l'oblique
dans les peupliers
une humidité du regard
l'herbe a couché le temps
et jauni la promesse
un homme avance emmêlant son pas
longue sa peur
comme soulever l'attente
s'en aller réchauffe
j'aime la perte du chemin
|
un chien
son pelage sur la neige
la glace dans l'aboiement
les dents et les cristaux
la croûte sur le fleuve
les flots frappent au-dessous
la lumière est blanche
ta pâleur dans mon souvenir
derrière la vitre de l'œil
la mort veille mais laquelle
|
le puits
hélice au vertige
la main fouille l'air
l'entonnoir de lumière
dès la margelle
dès la descente
la meute odorante
et proliférante
les voix perdues
la paume retournée
|
la nuit ouvre
les jambes les racines
le regard sangle la main
la ruche des ors
retourne la terre
là où la cendre
là où nos pas
réunissent
nous échangeons
l'une qui vient |
Comment travailles-tu tes écrits
?
Le travail de mes écrits... ce travail se fait comme on dit d'un
bois qu'il travaille mais le travail vient en second. Il y a d'abord
un surgissement de langue, comme une impérative montée
de sève, un irrépressible désir. Là, j'écris
sur n'importe quel support si je n'ai pas mon carnet dans une poche
(ce qui est assez rare). Parfois c'est un vers donné qui connaîtra
(ou pas) un prolongement, parfois c'est une musique intérieure,
parfois c'est quelque chose d'assez énigmatique qui m'impose
de cesser toute activité car le corps réclame un dire
mais celui-ci peut parfois rester muet. Puis tout doit reposer quelques
jours. Ensuite, il faut tailler, émonder, soustraire comme cela
se fait pour essayer de donner de la force à l'arbre. Ce travail
d'émondage peut prendre du temps. « Hâtez-vous lentement,
et sans perdre courage, / Vingt fois sur le métier remettez votre
ouvrage, / Polissez-le sans cesse, et le repolissez, / Ajoutez quelquefois,
et souvent effacez. » Ces vers de Boileau sont essentiels.
D’où vient l’écriture
pour toi ?
Répondre à cette question est d'autant plus difficile
que je connais la réponse d'écrivains que j'admire ; et
il serait présomptueux d'inscrire mes pas dans les leurs. Je
vais donc m'en tenir ici à ce que je peux exprimer mais je le
fais du bout des lèvres et très timidement. L'écriture
est pour moi un surgissement. Une survenue. La source est peut-être
dans l'inconscient, dans son jaillissement. Elle est assurément
dans un rythme, un son, une respiration à un moment singulier
qui prend le corps, le déleste du poids du temps, l'inscrit tout
entier dans la matière de la langue. Ne pas identifier le lieu
de la source est garant de la continuation d'écrire. Je me rends
bien compte que je ne sais dire exactement d'où vient l'écriture.
Je sais seulement qu'écrire m'est indispensable.
Quelle est ta bibliothèque idéale
?
Vaste question. Délicate aussi. Ma bibliothèque idéale
? Eh bien disons que s'il s'agit de mentionner quelques livres qui comptent
pour moi, ce seraient d'abord tous les livres d'Henry Bauchau. L'œuvre
d'Henry Bauchau est une œuvre essentielle à mes yeux car
elle parle aux couches profondes de l'être. Lire et relire Henry
Bauchau est un plaisir double : d'abord pour l'histoire qu'il raconte
ou ce que dit le poème, ensuite pour la langue nue, simple et
profonde. Dans le poème, celui qui dit « travailler [son]
existence / dans l'atelier spirituel » aime « le sacré
dans la langue » ; dans la prose, il aime « la langue dans
son corps ». Ce qu'il nomme « le lent poème corporel
dans la matière de la neige » possède un lien profond
avec la danse, l'inconnu du corps dansé.
Certains livres m'ont ému plus que d'autres, comme cela arrive
à chacun d'entre nous. J'aime l'œuvre de Lorand Gaspar,
en particulier Patmos et autres poèmes et son essai
sur la poésie intitulé Approche de la parole.
Les poèmes de Lorand Gaspar ont ceci d'essentiel qu'ils me procurent
une émotion sans cesse renouvelée. J'aime sa langue, j'aime
dans son poème ce qu'il nomme « l'abrupt d'une évidence
sans nom ». Le poète ne prétend pas apporter de
réponse à une interrogation de l'homme et du monde, le
mouvement de son poème est tout entier dans un questionnement
sans réponse où « seul l'exercice vertical de la
langue maintient le mouvement ». Ce que cherche sa parole est
« la dénudation d'une lueur imprenable », elle est
toute « mémoire balbutiante de ce qui n'a pas de mémoire
».
Le livre de la neige de François Jacqmin fait partie
de ces livres dont l'énigme creuse la relecture. Dans cet ensemble
de poèmes, le poète s'emploie « à réduire
l'écart entre la blancheur et la blancheur » et n'a «
que le verbe pour [se] déclarer démuni ».
Mais déjà je sens que ma réponse à ta question
sera trop longue, je citerai donc quelques auteurs. Outre les très
chers Charles Baudelaire et Arthur Rimbaud, j'aime également
l'œuvre de Julien Gracq, dont les poèmes en prose réunis
dans Liberté Grande. Puis il faut encore compter avec
Paul Verlaine. Et plus proches de nous : Pierre Jean Jouve, Louis-René
des Forêts, Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy, Antoine Emaz, Salah
Stétié, Bernard Vargaftig, Christian Hubin, Jacques Brault...
je ne peux qu'en oublier... J'en citerai encore un, malheureusement
assez peu connu et dont une partie de l'œuvre attend encore d'être
publiée ; il s'agit du poète et peintre Roger Van Rogger,
dont « L'art poétique » dit la chose suivante :
il faut écrire en son absence
par osmose et par miettes
il ne faut pas brûler la langue
ni pourvoir l'anonyme prison
mais réclamer un juste partage
entre la vague et le hauban
Régis Lefort a publié des poèmes dans les revues
Nu(e), Arpa, N4728 et dans la revue des éditions de
L'Atelier de l'Agneau. Un livre réunissant un ensemble
de poèmes sous le titre des matins fous d'étendue
de désert et de mer devrait bientôt voir le jour.
Il est l'auteur d'un essai sur l'œuvre d'Henry Bauchau, L'originel
dans l'œuvre d'Henry Bauchau, publié chez Honoré
Champion en 2007. Il est également l'auteur de plusieurs articles
critiques sur la poésie contemporaine.
Entretien avec Régis Lefort par
Cécile Guivarch