Inédits d'auteurs
que nous sollicitons
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Je m’étonne souvent d’être moi-même
une fenêtre ouverte m’occupe des journées entières
j’ai peur de trop aimer puisque tout nous quitte
J’aimerais connaître le fin mot de l’histoire
(si seulement les aimés nous attendaient au sommet
des falaises de Bonifacio, attendant la bourrasque
de lumière, nos envergures déployées)
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Et ces nombres ânonnés dans le rêve ne délimitent
rien
Le territoire du cœur déroule sa pente
Je connais cet ami, si je mords cette bouche
(chaque automne la terre du causse
exhibe ses rouges : merveille de lumières rasantes
quand l’incandescence s’enivre de surenchère
)
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Merci à toi dont la respiration à mes côtés
est la plus douce des musiques. Toi dont je touche, j’effleure
la jambe et m’apaise aussitôt, c’est le miracle
d’une femme assoupie dans la dérive de ses continents
dehors la voûte des étoiles est prise d’un
vertige
(je sais aussi que tu luttes contre l’amertume
de la mémoire au fond de la gorge)
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Nuit de peu de nuit, encore
Comme rendez-vous tacite avec les songes désertés
Quelle prière prononcer
pour goûter huit heures d’inconscience
Je pose des pierres blanches autour d’un frêne
j’invite chacun à prendre la part du songe
à laisser celle du mort
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Quelques livres apaisent, ceux dont je connais
chaque signe, dont je murmure chaque nom
c’est la joie la délectation de connaître une
leçon
sur le bout des lèvres, de dire Hypolaïs Polyglotte
Fauvette à la silhouette légèrement plus
brune dessus
que l’Hypolaïs Ictérine et d’aimer cette
précision invérifiable
puisque l’Hypolaïs Ictérine n’apparaît
pas dans le livre
(quatre doigts serrent la diagonale d’un roseau)
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Mais surtout la leçon récitée, l’assurance
d’avoir
le bon mot , de donner la juste forme, la saveur exacte
d’un groupe de syllabes qui s’enroulent
autour d’une image d’oiseau
(je déploie de grands filets noirs
pour tenir la panique d’un chanteur dans ma paume
et lui chuchote son nom jusqu’aux bruissements d’ailes)
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Une sentence se prépare lentement,
les murmures
nous cernent, tendons un peu l’oreille, nous saurons
quelle saveur a la terre, si le ciel aime ses oiseaux
si les morts le traversent, cela serait si beau cette élévation
ce chapelet de métamorphoses vers l’absolu
(ce matin les tronçonneuses décapitent la Foi)
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Ce serait comme un vêtement trop lourd
tombe aux chevilles
avant le bain émeraude d’une résurgence nommée
la gourgue
(entendez-vous la lente plongée du regard
voyez-vous les grillages enjambés pour plonger sa main
à la recherche d’une truite capricieuse
qui nage entre les ruines et les sons d’un monastère
englouti
On se demande bien parfois à quoi bon écrire des
poèmes
puisqu’il suffit de tendre l’oreille et de recueillir
les rêves de bergers assoupis
Sous la voûte de buis une moiteur troublante
persiste après l’orage)
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Dans le rouge de toutes les déchirures,
mots
plantés dedans (couteaux dans la plaie, langue
projetée vers le gouffre, comme caméléon)
Guérir non merci et de toute façon le bonheur
me blesse aussi dans sa promesse de disparaître
bientôt avec les oiseaux migrateurs, avec les fruits
tombant sans qu’on les cueille guérir non
je ne veux me départir de ce paquet de larmes
de ces dents acérées qui mordent sa hanche
ni de cette peau perméable aux autres et au monde
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Parfois je me dis poète et cela me
fait rire
ce gros mot pour expliquer, apprivoiser cet élan
cette manière d’habiter l’inhabitable d’une
saison
de voir son visage dans les pierres trouées
non poète c’est une étiquette posée
pour vendre
de la tripes de la colère délicieuse (le miracle
du mot
qui extirpe et métamorphose les pays de la nuit
où l’amour et la mort s’embrassent goulûment)
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Nuit de la pluie attendue qu’exauce
le désordre de ses cheveux
cherché et reconnu dans le labyrinthe des heures blanches
(demain nous agrandirons le verger, les fruits
de notre amour auront été épargnés
par le gel)
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Sa respiration à mes côtés
comme pouls régulier
de la nuit qui poursuit la ligne d’horizon
la masse brune de ses cheveux que je cherche
du bout des doigts pour apaiser la course folle
d’un esprit rompu à l’art de l’impertinence
Ces images d’eaux en crue frappent contre
la fixité du regard noir de l’enfant, apprendre
à tenir debout, à jeter ses filets d’ombre,
à parcourir
les mots d’amour et de morts de Charles, d’Arthur
(c’est curieux Cédric ça sonne moins bien)
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D’où vient l’écriture
pour toi ?
Elle vient d’une double nécessité, qui s’est
affirmée très tôt, vers l’âge de treize
ans. Face à la beauté des paysages et du monde, j’ai
ressenti le besoin de dire cette beauté, comme s’il fallait
passer par la parole pour être bien sûr que les moments
de grâce avaient bel et bien été vécus. Cette
forme d’élan qui me traverse encore souvent s’est
affirmé et affermi peu à peu : j’ai la conviction
que notre conscience dépend de notre manière personnelle
d’habiter la langue pour la transformer en parole, et que cette
parole est le prisme à travers lequel la réalité
nous est révélée. Changer un mot, moduler une syntaxe,
ajouter une épithète contribue à nous faire découvrir
une nouvelle réalité restée jusque-là tacite,
secrète. Dès lors, l’écriture est indissociable
de la lecture du monde et des autres poètes qui nous offrent
leur propre regard. La seconde nécessité qui me porte
à la page est à la fois plus brutale et plus obscure,
j’aime en ce sens parler de source noire. Elle est liée
aux blessures que chacun peut avoir connues dans son enfance, et sourd
comme un cri qu’il me faut juguler, moduler, voire circonscrire.
Cette source noire vient de l’inconscient où se meuvent
les questions irrésolues, les souvenirs qui nous travaillent,
les rêves qui nous disent à notre insu. Cette parole donne
la parole à ce qui parle en nous, et essaie d’en préserver
la part de mystère. Enfin, je me rends compte que mon écriture
inclut un questionnement plus métaphysique ces derniers temps,
même si j’ai quelques scrupules à employer de tels
« gros mots »… L’écriture est ainsi liée
aux grandes questions auxquelles nous sommes confrontés puisque
nous sommes là, au monde, et que cette vérité est
à la fois dérisoire et troublante.
Comment travailles-tu tes écrits ?
Une fois le texte écrit d’un
trait, je le laisse tranquille pendant quelques semaines, quelques mois,
voire quelques années. Je le laisse « décanter ».
Puis vont se succéder de nombreuses lectures et relectures et
autant de retouches, qui consistent pour la plupart en un élagage,
pour densifier la parole : chaque mot, chaque virgule doit être
à sa place et répondre à une nécessité.
J’ai peur du bavardage. Je me sers aussi d’une lecture à
voix haute, qui permet de vérifier l’euphonie de chaque
vers, même lorsqu’il s’agit de faire entendre une
dissonance, le rythme bancal d’un poème qui hésite
à se déployer. Ensuite, chaque texte doit avoir sa propre
autonomie et s’intégrer dans un ensemble cohérent
: le « projet », « l’émotion »,
« l’intuition » qui insufflent une direction à
la quête.
Quels liens le voyage et l’écriture
ont-ils pour toi ?
Je sens bien que tu me poses cette question par rapport
à mon dernier recueil Adolescence Florentine, paru chez Tarabuste,
mais je ne suis pas un grand voyageur, je suis plutôt un contemplatif
: je peux passer des heures et des heures devant un même paysage,
attentif à la moindre variation. J’ai eu la chance, à
18 ans, lors d’un voyage scolaire, de rentrer dans le couvent
San Marco et de découvrir les fresques réalisées
par Fra Angelico dans les cellules des moines dominicains du premier
étage. Alors que j’étais dans l’état
d’esprit d’un adolescent qui songe plus à s’amuser
et à séduire les filles qu’à contempler une
œuvre d’art, je me suis senti directement concerné,
interpellé même, par un moine florentin du XVème
siècle ! J’ai alors su que je devais écrire cette
rencontre improbable, mais cela fut long, très long, et ce n’est
que grâce à l’hospitalité d’un ami qui
vivait là-bas que j’ai pu m’y rendre à cinq
reprises, jusqu’à ce que le déclic ait lieu. Entre
le premier voyage et l’achèvement du recueil, il s’est
écoulé douze ans ! Je suis passé par l’intermédiaire
de Michel Ange et de ses sculptures des esclaves, exposées dans
la galerie de l’académie. Les dire m’a permis de
débloquer ma parole, et de me consacrer dans un second temps
au couvent San Marco, enfin.
Quelle est ta bibliothèque idéale ?
Ma bibliothèque idéale est petite, trois
murs sont couverts de livres, rangés dans un savant désordre
qui permet de flâner d’un ouvrage à l’autre,
de glaner quelques mots, de marauder quelques phrases, entre deux siestes…Le
quatrième comprend une grande fenêtre, toujours grande
ouverte, sur un champ de hautes herbes, pour que mots et graminées
se mêlent et germent dans nos regards.
Cédric Le Penven est né en 1980.
Après des études de Lettres à Toulouse et notamment
une maîtrise sur l’œuvre poétique de Thierry
Metz, il devient professeur. Il est en quête d'une parole qui
soit une incarnation privilégiée du vivre: incertaine
et résolue. Il vit et enseigne dans le Sud-Ouest de la France.
Il a publié à ce jour :
- Lieux de corps : lieux de mots, éditions Blanches, ouvrage
collectif, 1998
- Orage, Prix de poésie de la ville de Béziers, éditions
Editinter, 2000
- Elle, le givre, Prix Voronca 2004, éditions Jacques Brémond,
2005
- Ile de Cythère, à l’aube, Encres Vives, 2005
- L’Immobile serti de griffes, Encres Vives, 2008
- Menus Travaux, éditions Tarabuste, 2009
- Elégies Barbares, éditions Rafaël de Surtis, 2010
- Permettez que ma voix, Contre-Allées, 2011
- Adolescence Florentine, éditions Tarabuste 2012
Certains de ses poèmes ont paru dans les revues Poésie
Première, Décharge, Arpa, Souffles, Friches, Rétroviseur,
Jointure, Coup de Soleil, Lieux d’Etre, Froissart, Jardin d’Essai,
Contre-Allées.
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