Pétrole (extrait)
ardente sur tes mollets la mer
mesure les distances parcourues
les frontières
invisibles
d’ici au delta du Niger
lorsque les hommes tournent le dos
au pipeline troué en grand
avalent des poissons pour mourir
regardent ailleurs
dans les rues propres des villes de France
des étals aux poissons
sous vide
d’ici aux champs de Bolobo
forés au ciel
les puits de plus personne
pour raccommoder les
sourires des jeux des enfants
quand roule la canette sur le sol
du chantier oublié
d’un disait-on
nouvel hôpital
d’ici aux hauteurs de l’atlas
des Aurès de la Nememcha
étendues de montagnes
aux trop plein de
dollars
ne brandit pas le drapeau blanc
des populations pauvres
dans la magie du
précipice
d’ici au Congo Kinshasa
les tricycles des poliomyélites
Roger Jimmy Ricky
leur blues en rumba congolaise
se danse imaginaire
tribale autour du feu brûlant
des barils de
pétrole
sauvage sur tes mollets la mer
déverse le vacarme
des maux du monde
et tu entends alors
devant les rivages francs
de ceux qui ont souffert
ceux qui souffrent encore
ton combat
se prolonge
résiste
et si tes jambes
aujourd’hui
ne te portent
plus
ton âme
entre en
révolution
|
Vinca Minor
(livre pauvre avec Lou Raoul)
La terre ailleurs est nue
aux lisières de la cour gelée
mais devant la laiterie
ces roses
n’en finissent pas de fleurir
dans la cave
près du tas de bois
elle a suspendu
des piments
tête en bas
une guirlande
***
cinq ou six carrés de sucre
posés là immobiles
elle ne distingue plus
l’immense
du pas très grand
elle
on est pas grand chose
des fois
pas même
une robe
blanche
un peu rafistolée
c’est dire
***
elle fait comme si
la vie
et ses effondrements
- la distance incertaine
du bec de l’oiseau
au rebord de la fenêtre -
tête
poumons
foie
amour
le son rouge écarlate
de la date de départ
***
elle demande
tu restes
puisque c’est elle qui part
une pervenche et la neige
aux matins des beaux jours
|
Mini entretien avec Cécile Guivarch
D’où viens l’écriture
pour toi ?
L'écriture est liée à la vie, au quotidien, aux
petits riens qui pourraient passer inaperçus mais qui retiennent
l'attention pour peu qu'on leur accorde de l'importance.
Elle est aussi charnelle, dans le geste, elle porte un souffle, un rythme,
un tempo.
Presque musicale.
Elle est indispensable, rassurante, vitale.
Elle vient d'une longue tradition d'histoires orales qui ressemble à
cette citation d'Yves Lavandier dans "La Dramaturgie":
"On peut vivre sans faire de sport, sans voir du pays, sans faire
d'enfant...on ne peut pas vivre sans histoires.
Le récit, qu'on l'adresse a soi-même ou aux autres est
aussi vital à notre psychisme que l'oxygène à notre
organisme."
Comment travailles-tu tes écrits ?
Comme beaucoup d'autres j'ai des dizaines de petits carnets qui me suivent
partout, truffés de feuilles volantes, de papiers déchirés
sur lesquelles je note, je consigne, des idées, des phrases entendues,
des extraits de lectures, des réflexions... Certains tombent
dans l'oubli ou sont placés "en attente". D'autres
deviennent le point de départ de l'écriture, qui prend
forme ensuite sur l'ordinateur. J'essaie de consacrer une journée
par semaine à ce travail de déchiffrage de notes, puis
d'écriture. A l'issue de quoi les textes sont imprimés
puis retravaillés sur papier, ré-imprimés et ainsi
de suite.
Quelle est ta bibliothèque idéale ?
C'est une bibliothèque qui voyage, qui circule de mains en mains.
Avec des livres de toutes sortes, poésie, roman, récits
de voyage et beaucoup d'illustrés.
Ce sont des livres que l'on se prête, que l'on s'échange,
avec des coins de page cornés par des mains connues ou inconnues.
Avec des mots glissés dans les marges ou en début de livres.
Avec des marque page-enveloppes en provenance de pays lointains et de
vieilles photographes en noir et blanc.
Avec des livres dont on parle, qu'on abandonne sur le bord de la route
en espérant qu'un autre le trouve.
Avec des livres qu'on ne retrouve plus parce qu'on les a donnés,
troqués, expédiés.
Une bibliothèque vivante et habitée!
une bio biblio,
Gwénola Morizur est née au bout du monde, dans le Finistère,
en 1981. Elle vit et travaille à Rennes, en poésie.
Elle passe beaucoup de temps sur un fil à quelques
mètres du sol ou à boussoler tout autour du monde.
Des extraits de ses recueils sont parus depuis 2009
dans les revues Coxerfly, Contre-allées, N4728, Dans la lune,
Décharge et Comme en poésie.
Elle a publié Déraciner les impatiences,
aux éditions Donner à voir (avec la peintre Elice Meng,
collection Tango, 2010),Igrec ou bien, aux éditions
Contre-Allées, 2012. Vinca Minor, livre pauvre en collaboration
avec Lou Raoul, pour la collection Ko:ra des éditions du Pentamino,
en novembre 2012.