on tisse l’air encore pour tendre ce qui
entre nous
s’offre lentement à l’usure
mais l’été n’attend pas
son jour est trop long
l’usure trop lente
on d’un geste brusque alors
dans le déchirement se rejoint
mot à mot
la main vers la main
|
comme une éclipse non
un clin seulement
d’œil le monde
retombe et monte
à nouveau
de notre lac d’obscurité
notre laps d’insouciance
|
ça siffle partout le monde
vrombit en roulant dans l’air dans l’herbe
à l’envers
à l’endroit
comment savoir quand se perdre
est la seule obsession du matin
quand même l’heure on l’ignore à force
de tout pousser tout jeter
dans un trou de mémoire
ce seront se dit-on nos réserves d’avenir mais il reste
encore
à oublier
où se trouve le trou
|
on ne se voit pas le fond
est trop noir
c’est ainsi sans doute que
goutte à goutte comme
deux instants de l’eau
la même et pas
à pas on change
et se ressemble le mieux
|
c’est au cadran du puits
au cadran de ton visage que je demande
de compter ma vie
mais chaque goutte et chaque sourire
disparaît dans un grand remuement
on perd le fil
on recommence toujours mais le compte
n’y est pas
si bien que nous n’avons d’autre choix qu’encore
s’oublier maintenant vers demain
défaire
entre nous le cercle on tire sur le fil
toute la vie vient
de nous mettre à nu
|
on se lève le matin on se lègue
le soir
à qui vient
à peine de disparaître et qui va
dans un avenir proche
nous rendre tout le passé amassé
dans nos bouches
quand juste évoqué le voici
à nouveau parmi nous on parle nuit
dans le jour
on perle blanc
à la commissure des heures
au commencement des lèvres
|
les lignes
de nos mains on entend
quelqu’un dit c’est écrit
on referme le livre on marche
ensemble à l’aveuglette
on ne voit
que ce qui est devant nous
illisible et lisse
comme la nuit
comme une promesse qu’on tient
sans le dire
moite
entre nos mains nos mots
|
on ne se tient pas coi
on s’étonne de tout comme si
une main toujours venait de nous lâcher on sent
comme c’est bon de tomber
dans un inconnu fait d’ouate
dans l’herbe fraichement coupée
dans un monde où il n’y a plus
que des questions c’est comme ça
qu’on marche
de chute en chute
de quoi en comment
comme au début de vivre
|
avec la vie on pourrait attendre longtemps
des siècles
en silence
immobile
qu’elle vienne
vers nous mais c’est nous
on fait le premier pas
|
Philippe PAÏNI est né en 1974. Il vit et travaille à
Marseille. Il a participé aux ouvrages suivants : Le Rythme
dans la poésie et les arts (Honoré Champion),
Ghérasim Luca à gorge dénouée (Revue
Triage, Tarabuste), Avec Bernard Noël toute rencontre est l’énigme
(Rumeur des Ages), au numéro de la revue Faire-part consacré
à Henri Meschonnic, à celui de la revue Méthode
! consacré à Bernard Vargaftig, à celui de la revue
Continuum consacré à Paul Celan, ainsi qu’à
Serge Pey et l’Internationale du rythme (Atelier des
brisants / Dumerchez). Des poèmes ont paru dans les revues Sezim
et Poésie/Première. Un livre de poèmes, La
somme du feu, a paru en 2007 aux Editions de L’Atelier du
Grand Tétras qui publieront en 2011 La vie des morts.
Il anime, avec Serge Martin et Laurent Mourey, la revue Résonance
générale, cahiers pour la poétique, qui travaille
ensemble écriture du poème et théorie.
http://revue-resonancegenerale.blogspot.com/
http://latelierdugrandtetras.com/