TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Un ange à notre table-
R oland Cornthwaite ~ Carnet de Loire (extraits)

 

Inédits d'auteurs que nous sollicitons

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Carnet de Loire... Le 13 novembre 2009

... Elle est plus résistante que moi, plus obstinée, plus certaine d’elle-même. Elle se maintient là depuis longtemps, bien avant que je n’arrive. Elle ne m’a pas attendu. Elle est plus souveraine, plus insistante... Et je ne peux qu’opposer ma faible obstination à cette force que je domine de la vue. Maigre consolation...
Et c’est de ce point de vue que je reprends ces mots et qu’il faut bien en découdre... Découdre ? Coudre, découdre, découdre le motif avant qu’il ne disparaisse. Découdre cette légèreté là, éphémère, ce long silence...
Ces lignes de vent, ces ondulations, ces pâtes vitrifiées et sans cesse mouvantes, ces ventres et ces dos, ces rondeurs tendues...
Reprendre cette diction du quotidien, varier les heures, les lumières.
La prendre à rebrousse vague. Pour le style, il viendra bien, il sortira de la pointe de ce styl-o, Oh ! Le style que donne cette fluidité de l’écriture. Oh ! La fluidité de l’eau que délivre le style – Oh ! Fluidité, écrire liquide, enlever ces consonnes qui, comme des piles de ponts, enjambent l’eau, bloquent le débit, créent des remous de mots, qui tournent sur eux-mêmes, se noient dans la masse liquide, et qui pourtant perdurent...
Combien de temps résiste le tourbillon ? Quelle distance faut-il pour que, tout à fait, il soit entièrement absorbé par la totalité du fleuve ? Quelle mémoire garde l’eau de ces agitations ?

Je reprends pied : salle de café. J’étais dans le fleuve, dans le courant, dans les mots... La lumière est blanc-jaune, impersonnelle. Une musique fait bruit de fond, pas de silence, couvrir les voix, occuper l’espace... Je n’ai pas beaucoup de mots pour les passants, ils passent remplis d’eux-mêmes, de leurs pensées, de leurs soucis, remplis, pleins, pleins de chair, de sang, de cavités, de tuyaux et de carrefours, d’une ingénierie très sophistiquée qui finit par être cela : Le vivant.

Qu’est-ce qui favorise la formation d’eau, la création de l’eau ? Y a-t-il plus ou moins d’eau ? Le nombre de molécules sur notre terre est-il permanent, infini, ou simplement indénombrable ? Par manque de temps ? Par manque de patience ?

Et ce miroir d’eau, que conte-t-il pour moi ? Le silence, la vacuité... Un miroir ne conte pas ? Il compte pour ce qu’il est, il compte pour lui-même. Il m’interroge, mais en quelle langue ? Il m’interroge sur le temps, sur ce qui l’agite, sur ce que nous pouvons avoir de commun... Quelle Alice pourra dire le dedans de l’eau ? Il faudrait être eau pour enfin dire « eau », alors, sans mot, tout serait dit. C’est donc la différence que les mots disent, ils tentent l’impossible communication de l’objet aux mots, de ma pensée à l’objet... De l’intérieur de l’objet le mot est vain. Le mot, c’est la béquille, le handicap de la différence.

Sur l’arbre, toutes les feuilles sont semblables mais non identiques. Les accidents, les insectes, la position, les nervures, chaque instant creuse la différence, ride différemment le lisse du limbe, et chaque feuille devient roman, destin. Les mots nommant la différence, mots impossibles, mots dans l’entre de ce qui distingue, mots dans la tension... Mais entre l’arbre et la feuille, quels mots ? L’arbre dont elle procède, la connait-il, le connait-elle ? « Pardon, Monsieur, Je voudrais manger – me poser, pondre sur, cueillir... ) la quinzième feuille, troisième rameau, deuxième branche... » L’arbre la connait-il par son nom ? Quels sont les noms que portent les feuilles ? Nom de verdure, de forme, qu’est-ce qu’un nom ?

En pensée, l’écriture n’est qu’ultra légèreté, un courant dont rien ne reste, rien que l’absence, rien qui tienne. Face à la page, la pensée s’écrit à la vitesse de la plume, dans le temps de l’écriture. Elle saute aussi du coq à l’âne, de la plume aux poils. Temps de pause, pause dans le temps sur cette page des mots de la pensée, libère ces sautes dans le courant, du lisse, du grenu, de l’agrégé-aggloméré, puis du diffus, du distendu... Courant de pensée comme fleuve

 

Carnet de Loire...


Retour, nuit du fleuve, nuit, reflet de nuit, noir du ciel, noir de l’eau et ces failles de lumière, ces tentatives de traversée, cet élan de la lumière qui voudrait bien, qui tente, que tente l’idée de l’autre rive, l’idée de l’autre, cette lumière qui marche sur l’eau, lumière réfléchie de la ville, eau marchepied, la lumière, les diffractions. Ces brisures de lumières comme une enjambée vers le milieu de l’eau, rythme, bruissement de lumière,
Pris dans le faisceau le motif du fleuve se dissout, se dilue, se noie... L’eau se noie dans le reflet du réverbère ?
La diction hachée du fleuve...


 

Carnet de Loire... Le 15 novembre 2009


Le léger tremblement continu de la surface ne parvient pas à dissoudre le reflet des platanes que le vent en tempête a éclairci, ajouré, épuré, dépouillé, délesté, laissant visible les axes sombres des branches et des troncs. Dans l’eau ceux-ci se distinguent, laissant en réserve le gris du ciel. Puis les feuilles, distinctes, séparées, chacune variant la gamme des verts ocres jaunes bruns... chacune venant ajouter un pigment à l’ensemble qui peu à peu se constitue (se dessaisit) en vert rouillé. Dans le reflet, tout disparaît au profit de masses brun-vert indistinctes. L’immobilité de l’air affine le trait, peu à peu, sur la page du fleuve à marée montante.
Parfois, un espace de fripures serrées vient effacer les cimes couchées sur le milieu du courant. Ces palpitations infimes sont-elles cela par quoi l’eau cherche prise dans le présent ? Sont-ce mains, doigts, papilles d’eau goûtant l’air, ridules lisses, eau lisse, cherchant prise ? Quels mots l’eau pourrait-elle employer pour nommer ces fragiles contacts ?


 


Carnet de Loire... Le 16 novembre 2009


Lent courant descendant, le fleuve s’écoule avec bon sens, le sens de la source à l’océan... (Bon ? Le sens que ma raison me dicte et que deux fois par jour la marée contredit. Ma fascination tient-elle de cette contre-diction ?) De légères concrétions blanches et moussues descendent sur le tapis gris aluminium de l’eau. Un vent léger remonte de l’estuaire (Quelle réalité pour moi que cette bouche d’eau par laquelle se soude le fleuve à l’océan ?) Des linéaments, blancs, distendus, sinuent, serpentent, ondoient, comme traînées. Quel fauve en amont nourrit ces laisses ? Traînées de poudre aux yeux. Ecume arrachée aux bouillonnements de quel monstre tapit ? Ancré comme pollution, comme centrale nucléaire...
Cette eau qui lave, nettoie, draine, est aussi une eau qui refroidit, condense, protège, eau dont nous usons... Est-ce que l’eau s’use ? A force d’usage se fatigue-t-elle ?
Le bruissement de chaque vagule ne dit pas le reflet. Aujourd’hui la Loire ne s’occupe que d’elle-même... En profite-t-elle pour un moment d’introspection ?

 


 
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