DEBOUT
debout sur l’herbe dans cette ville cette
région ce pays
sur ce continent cette planète tournant dans l’espace
infime parcelle de vivant
reliée au ciel et à la terre oscillant un peu
calme grand calme au dehors
au-dedans éboulement
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QUELQUES MOTS
Quelques mots seulement. Chuchotés près du mur.
Quelques mots quelque part ailleurs. A voix inaudible. Cela suffira.
Quelques mots des choses qui s’étaient passées.
Qui avaient paru à peine réelles toutes ces choses
du monde physique de la nuit que l’on ne comprend pas mais
qui vous entrent dans le corps et le façonnent d’une
autre pâte ces pensées à peine effleurées
si vite oubliées et qui pourtant ont construit ensuite
un mur infranchissable un mur béton.
La phrase interdite. Tu l’as dite et oubliée. Voici
qu’elle revient avec la même intensité et même
exaltation. Tu la chuchotes de nouveau à voix blanche et
voici que l’écho te la renvoie en « plus
jamais ». Rappel du bonheur explosé. Et toutes
les petites pierres de ta mémoire s’éboulent
…
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ROUGE-GORGE
Où le rouge-gorge peut-il se cacher quand je bouge derrière
la vitre bien que je ne puisse savoir comment il détecte
ma présence, s'il me voit à travers la double vitre
ou s'il m'imagine seulement, petit cœur affolé petit
corps affamé
Pas de mal non je voudrais seulement le glisser
dans une toile de mots l'enfermer entre les fils tissés
serré de mon poème le rouge-gorge qui sautille sur
la table en marbre là dehors parce qu'à force de
patience j'ai réussi à l'attirer patience tout l'hiver
à force de graines de tournesol sur l'assiette à
force de boules de graisse suspendues à une branche de
l'olivier alors depuis il vient tous les matins à l'heure
où je bois un café ce que je voulais c'était
qu'il vienne de lui-même se cacher là dans le poème
que je lui tends comme un miroir où il pourrait se/me voir
Un poème dans lequel il pourrait aller
et venir et ainsi ni lui ni moi ne saurions plus où se
trouvent les limites cette frontière si fine celle de la
vitre bien sûr et celle du réel nous ne saurions
plus où se trouvent les graines et où les mots de
part et d'autre de la vitre
Lui les graines et moi les mots à moins
que je traverse la vitre et que moi les graines et lui les mots
et qui piège qui et qui a attrapé l'autre suis-je
rouge-gorge et lui moi ?
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QUATRE HEURES VINGT
C’est l’heure de nuit la plus grise
L’heure du réveil le cœur battant
L’heure du petit jour, celle des regrets.
Mais c’est aussi l’heure de clairvoyance
L’heure des visions, des décisions
Où le monde se laisse pénétrer. Ses desseins.
Sa terrible indifférence.
C’est l’heure où entrer dans
l’ombre du labyrinthe
Celle des visions, du combat avec les ombres,
C’est l’heure obscure où les erreurs viennent
vous parler tout-bas,
Où le monde est parfois vide creux et mort.
C’est l’heure où le cœur
bat sa chamade
Où des cœurs s’affolent et s’arrêtent
Où les mirages se déchirent soudain
Où ce qui est vient vous mordre au visage
Tandis que les gorges s’étranglent.
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entre deux eaux - entre deux fièvres - flotter
ou plutôt s'enfoncer dans de la ouate - les sons s'éloignent
pourtant un mot surnage obstiné - longtemps - longtemps
- longtemps
émerger en sursaut - le corps courbatu
comme battu - l'air manque
la tête dans un sac - un sac étroit qui serre les
tempes
s'asseoir en sursaut - bouche ouverte pour un cri - chercher l'air
dans la gorge il y a un bouchon - comme de papier râpeux
il faudrait arriver à l'expulser - mais rien ne sort -
il faut accepter de partir
se faire une place entre les draps trop chauds
soulagement du frais de l'oreiller
retourner dans l'indifférencié - ce n'est pas le
sommeil
c'est une flottaison entre des rives boueuses
une espèce de lent fleuve qui emporte vers les limbes du
pays noir
retourner dans les eaux primitives
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MINI ENTRETIEN avec Roselyne SIBILLE
D’où vient l’écriture
pour toi ?
Ça vient de très loin, je pense parfois
que c'est depuis avant moi, cela vient de mon pays d'enfance, de souvenirs
opaques, taches colorées, sensations..., déclenchées
par un événement-choc du présent, un mot, un air
de déjà-vu. Cela vient souvent de l'exil, de la perte.
Comment travailles-tu tes écrits ?
Souvent je ne suis pas satisfaite, donc beaucoup de
retravail. Après un premier jet, je laisse reposer, parfois longtemps,
en restant en pensée dans ce texte. Puis quand je le reprends,
je le lis à haute-voix, je le chante, je le hurle... et c'est
cette lecture, cette écoute du chant du texte qui me permet de
barrer, changer un mot, un rythme, une ponctuation. Grande importance
des blancs dans le texte, de son dessin sur la feuille blanche.
Que t'apporte l'écriture ?
Je suis née étonnée, c'est à
dire le cordon autour du cou et presque étranglée. J'en
ai gardé une posture intermédiaire entre l'autre monde
et un besoin de vie. Je vais de l'un à l'autre. Ecrire c'est
tirer un trait d'union entre ces deux mondes.
Quel lien fais-tu entre ton écriture
poétique et ton écriture de nouvelles ?
Tantôt je suis dans l'écriture poétique,
ce monde venu d'ailleurs qui s'impose à moi, tantôt je
suis dans le quotidien et l'observation des gens et j'écris des
nouvelles. Il n'y a pas de lien apparent mais deux postures complémentaires,
l'une me permettant de me reposer de l'autre.
Quel lien fais-tu entre ton écriture
personnelle et l'animation d'ateliers d'écriture ?
Au début des ateliers d'écriture, quand
nous étions en train de les inventer en France, j'essayais sur
moi toutes les propositions avant de les donner. Depuis une dizaine
d'années c'est plus séparé. J'ai un projet (j'en
ai même plusieurs, commencés, abandonnés, laissés
en suspens... comme Perec qui fut un maître spirituel pour notre
génération années 70) et je vais de l'un à
l'autre avec un fil rouge constant, l'écriture poétique,
qui est le lieu où je me sens « comme un poisson dans l'eau
».
Quelle serait ta bibliothèque idéale
?
En vrac : François Bon, Pascal Quignard, Proust,
Olivier Adam, Echenoz, Tabucchi, Virginia Woolf et Katherine Mansfield.
Côté Poésie : Antoine Emaz, Yannis Ritsos, Basho
et Kenneth White, Michaux, Danielle Collobert et Pessoa.
Tous sont autour de moi quand j'écris. Je me
tiens dans l'espace de leurs œuvres.
Parmi les jeunes, les récentes découvertes,
le monde d'Emmanuelle Pagano me fascine, Mathias Enard, Laurent Gaudé.
Pour les ateliers il faut sans cesse trouver des auteurs solides sur
qui s'appuieront les textes d'atelier.
Nicole VOLTZ, née le 29 mars
1938 à Oran. Professeur de Lettres Modernes, CAPES, a enseigné
en collège à partir de 1965. De 1968 à 1975, participe
au Mouvement Freinet. De 1975 à 1985 :
- enseigne comme Chargée
de Cours au secteur Didactique du Français de l'Université
de Provence 1 (UP1).
- Participe aux travaux
du Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur l'Enseignement du Français
(GIREF) dans cette même Université.
- Parallèlement se
forme à l'Animation de Groupes avec l'IFEPP (Paris) durant deux
ans. Diplôme de Formateur.
De 1985 à 1998, assure comme Chargée
de Cours des Ateliers d'Ecriture dans des optiques de :
- Formation personnelle et à l'imagination
pour des étudiants en Théâtre
- Ecriture Journalistique pour des étudiants
de Communication
- Ecriture de fiction pour des étudiants
en DEUST Métiers du Livre
- Ecriture personnelle et littéraire en
U.V. optionnelle pour des étudiants de Lettres et des autres
secteurs de l'Université.
- Ecriture personnelle et à dominante théâtrale
pour des étudiants de théâtre de l'UP1.
Parallèlement, hors université, animatrice
à Aleph à Paris. Contribue à lancer les stages
Autobiographie, Nouvelles, Recueil de Nouvelles, Poésie, Fragments.
Depuis huit ans, anime en co-animation avec JF. Gehant un groupe de
Formation à l'animation. Depuis 1994, sous
l'impulsion d'Anne Roche, mise en place du Diplôme Universitaire
de Formateur en Atelier d'Ecriture dont elle assure durant dix ans la
responsabilité pédagogique.
BIBLIOGRAPHIE
1977 - Jachères, écriture de l'expérience
(Mémoire d'obtention du Diplôme de Formation de Formateurs
de l'IFEPP)
1979 - L'Age de la Pierre Taillée (Article
in Cahiers de l'IDP AIX, Ecriture/Ecole)
1981 - Un domaine paradoxal : la formation des
adultes à l'expression (Article de synthèse sur le Colloque
organisé par Langage et Société en 198O)
1983 - Quelque part entre 0 et 20, pour réfléchir
à la notation des productions en atelier d'écriture à
l'école. (Article in Le Français Aujourd'hui n° 64
: "Nous écrivons, vous écrivez, ils écrivent")
1988 - L'Atelier d'Ecriture (en collaboration
avec Anne Roche) (1ère édition) - Editions Bordas
1989 - "Ecrire des Haïku à l'école"
(Contribution au Colloque sur le Haïku, Aix-Marseille) - Publications
de l'Université de Provence
1990 - Des places respectives de l'artiste, de
l'œuvre, et du spectateur (Texte du catalogue d'exposition du peintre
Jean Paul LEMARQUIS) - Golden Gallery Nice
1992 - Les poètes dans la classe (Colloque
"Enseignement et Poésie" organisé par le CIPM
(Centre International de Poésie) de Marseille
1994 - Un métier ambigu, formateur en Ecriture
: réflexions sur les contenus d'une formation de formateur en
écriture à la faculté d'Aix (Actes du Colloque
"Ecrire à l'Université" CEDITEL 1996)
1996 - Ateliers d'Ecriture, outils d'insertion
? (Colloque organisé par Carrefour-Famille à Nimes)
1998 - 2e édition de l'Atelier d'Ecriture
chez Bordas
1998 - Un atelier d'écriture à l'Ecole
(Participation au cycle de débats "Connaître les Ateliers
d'Ecriture" organisé par la BPI au Centre Pompidou à
Paris)
Avril 1998 - Première heure, premier Je
(Article pour les Cahiers Pédagogiques n°363 "Lire et
Ecrire à la 1ère personne")
2002 - Pourquoi ouvrir des ateliers d'écriture
en milieu scolaire ? (Article paru dans la revue du SNES, édition
ADAPT)
2003 - L'Ecriture des adolescents (Participation
à un livre en collaboration avec Anne Clancier, psychanalyste)
- A paraître chez In Press (Projet avorté par faillite
de l'éditeur !)
2005 - 3e édition revue et augmentée
de l'Atelier d'Ecriture chez Bordas
2009 - Abîme du temps (Recueil de poèmes)
2010 - Lecture publique de Abîme du temps
à La Garde Freinet (Var)
2012 - Entailles (Recueil de textes 2000-2012)
- Editions du Transat