TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Voix du monde ~
Mehrdad Arefani
(traduction française : Sabine Huynh,
version anglaise : Abol Froushan)

 

Retour aux voix du monde

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 


L’exécution

Un matin brumeux
ou bruineux sur la fleur de nuit
ensoleillé
ou sous le brouillard
les averses

je suis devant l’arbre maintenant
maintenant l’arbre
non
ce n’est pas un arbre
un poteau en bois
non
un mur de pierre
non

un arbre peut-être alors
avec la mer au fond

avant qu’ils viennent on aura
peut-être le temps
de trouver du travail
de tomber amoureux
d’ouvrir la porte
de humer le pain
de regarder par la fenêtre
la neige qui tombe

le bon goût des pommes se change en mur
le tapis de prière de grand-mère en barrage
l’odeur des grenades en barrage routier

face à la balle de plomb qui se précipite
hurlante

***

Execution


Be it a misty morning
or drizzling on the night flower
Be it sunny
or foggy with scattered showers
Having now arrived at the tree
The tree now
or no tree
but a wooden pole
No
a stone wall
No

Perhaps a tree
Perhaps with the sea behind
There is a chance before they come:
day job
falling in love
opening the door
the scent of bread or
watching snow through the window

The good taste of apples becomes a wall
Grandma’s prayer mat becomes a dam
The scent of pomegranates becomes a roadblock
to this hurried screech of lead rushing forward


***


La chambre

Personne n'appelle
et les mails sont pollués de pourriels
Londres n'est même plus Londres
et cette chambre est comme n'importe quelle chambre
Être ici ou en prison à Evin
dans un appartement à Bruxelles
ou dans une chambre de la maison paternelle
c'est du pareil au même, non ?
Qu'est-ce tu fais de beau ?
Être dans une prison en Croatie
ou dans une cabine d'avion
c'est du pareil au même, non ?
Après tout une chambre est une chambre
seul l'aspect varie
Le frigo est aussi une chambre, n'est-ce pas ?
Il en va de même pour une boîte à bijou
ou une boîte à outils
ou le micro-ondes dans lequel tu réchauffes ton sandwich


Room

No one rings
and email’s full of ads
London is not London either
and this room is like any other
What difference does it make being here or in Evin prison
in a flat in Brussels
or in a room of the father’s house?
What are you up to?
What difference does it make?
To be in jail in Croatia
or in an airplane cabin
A room is a room, after all,
only its shape is different
The fridge is also a room, isn’t it?
The same as a box of jewellery
or a tool box
or the microwave in which you reheat your sandwich

***


Le port

Retour de quelques cavaliers de Shahsavar
avec la cravate d’une potence
et des égratignures sur le front
agrafées
dans le dossier

Dois-je danser sur une grue
au-dessus de tous ces poings
ou jouer à cache-cache
avec ceux qui me cherchent ?

Je devrais me balader dans Paris
la tête à Shahsavar
grandir devant la Joconde
me frotter aux nuages
du haut de la Tour Eiffel

L’aube est plus sombre que la prostituée qui rôde au cœur du crépuscule

Un étudiant venu d’Albanie
d'Europe de l’est
ou d’Asie
peu importe
s’il devient médecin en Ouganda
ingénieur au Nigéria
ou chercheur de diamants au Congo

Le maire fait ériger des barrages routiers
le balayeur pisse derrière le mur de l’université
et fume en cachette pendant le Ramadan
Cette forêt ne sent pas le bois
mais le pétrole
aspergé sur le front
et les doigts de l’eau
caressent
les flancs du pétrolier

***

Port

He returns a few Shahsavars
with the necktie of a noose
a few scratches on the forehead
stapled in the dossier

Shall I dance on a crane above all these fists
or shall I play hide to all these seeks?

I should go to Shahsavar a little to promenade in Paris
grow tall before the Mona Lisa
rub cloud-hips against the Eiffel Tower

The dawn is darker than the prostitute loitering in the bosom of dusk

A student from Albania
Eastern Europe or Asia
makes no difference
To become a doctor in Uganda an engineer in Nigeria
or a diamond in the Congo

The mayor puts up roadblocks
The dustman urinates behind the university wall
and smokes on the sly in Ramadan
This forest does not smell of timber
it is oil
scattered on the forehead
and water’s fingers stroke the tankers’ hips

 

***

La valise

La pluie de la semaine dernière
a escorté juin avec des photos
des drapeaux
des squelettes
des dents
et des anges
aux sourcils froncés
jusqu’à la gare centrale
J’ai Téhéran sous la main
rangée dans une valise
pleine de martyres
et Paris est une prostituée en fuite
Dans la valise
la place de l’Artillerie est tellement bondée
que la liberté replie ses longues jambes
et caresse les seins froids et durs de la place de la Révolution
Il fait encore nuit

Il neige
l'été s’allonge sur les rails
et le soleil qui prend le train
s’égare dans l’hiver

***


Suitcase


Last week’s rain
escorted June with pictures and flags
skeletons and teeth
and frowning angels
to the main train station
In my hand, Tehran packed in a suitcase full of martyrs
and Paris a prostitute fugitive in herself
In the suitcase, Artillery Square is so crowded
that freedom picks up her long legs
and strokes the cold hard breasts of Revolution Square
It is still night time

It is snowing
Summer on the tracks
and the sunshine travelling on the train
gets lost in winter

***


L’ombre

ne cesse de me poursuivre
sans même blanchir dans la neige
misérable ombre
se faufile sous le train
et ressort de l’autre côté du tunnel
encore plus sombre
brandissant un doigt d’honneur
malpoli

***


Shadow
He keeps running after me
doesn’t turn white, even in the snow – wretched thing
He goes under the train
on the other side of the tunnel
He comes out again, darker
Sticks up two fingers – rude boy

***


La lettre

La lettre est au bureau de tri
une lettre qui
si elle est livrée
rassemblera les voisins
remplira les tables de tasses

Actuellement
la lettre est dissimulée
la lettre garde le lit
dans un hôpital
inconnu de tous

***

Letter

The letter is in the sorting office
A letter which, if delivered,
will gather together all the neighbours
and the tables will fill with cups
The letter is currently hidden
The letter is currently bed-bound
in a hospital of which
no one knows the name

***


Mehrdad Arefani est un poète dissident iranien né en 1963 à Shahsavar, une ville portuaire du nord de l’Iran, au bord de la Mer Caspienne. Il est emprisonné pour la première fois à l’âge de dix-huit ans, à cause de ses opinions laïques, qui déplaisent aux intégristes musulmans. Il passe plus de cinq ans à être balotté de prison politique en prison politique.
C’est à partir de l’âge de trente ans qu’il commence à écrire des poèmes. Rapidement censurés et interdits à la publication, ceux-ci paraissent néanmoins dans des revues subversives, dont Adineh, très connue parmi les dissidents.
Après avoir fui l’Iran en l’an 2000 pour Istanbul, puis Sarajevo, l’Italie et la Belgique, il s’installe à Bruxelles, où il utilise activement l’Internet et les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube) pour diffuser ses créations. Il édite également un magazine en ligne : hashtaad.com

Sa poésie est politique mais sobre, sans rhétorique, ni dogmatisme. Ses thèmes de prédilection sont l’exil, l’errance, et les lieux rencontrés en chemin, qui façonnent l’identité et les souvenirs.

Bibliographie :
Branch of Sunlight, 1992, jazma.org
From Tree to Tree, Dena, Bruxelles, 2010

Voir son site pour en savoir plus : http://www.jazma.org/

N.d.T. : Une traduction française d’un certain nombre des poèmes de Mehrdad Arefani se trouve actuellement sur son site, mais elle est très problématique (à cause notamment des nombreuses fautes de langue). Je l’ai signalé au poète, qui a suggéré que je corrige ces traductions. J’ai bien évidemment préféré retraduire les poèmes, à partir de la version anglaise proposée par le poète Abol Froushan. Lorsque des formulations étaient ambigües en anglais, j’ai fait appel à un ami iranien et nous sommes partis du persan (Reza Fathi, que je remercie pour son aide précieuse). Je remercie Mehrdad Arefani pour sa confiance.
Vous trouverez les versions anglaises et persanes des textes sur le site de Poetry International : http://www.poetryinternationalweb.net/pi/site/poet/item/21516


 
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