TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

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Ewa Lipska


Ewa Lipska est née en 1945 à Cracovie. Elle suit des études à L’Académie des Beaux-Arts puis devient rédactrice du domaine poésie pour les Editions Littéraires de Cracovie, l’un des plus grands éditeurs de Pologne. Elle écrit dans de nombreuses revues de poésie.
En France, deux de ses livres ont été publiés.
Ewa Lipska a publié à ce jour une vingtaine de recueils de poésie, mais également des nouvelles et des pièces de théâtre.
(éléments biographiques extraits de la postface d’Isabelle Macor-Filarska au recueil Moi, Ailleurs, L’écharde)

Livret de garantie
Cela

Notre mécanique à mariage
s’est soudain grippée

Et tout en continuant
à éplucher les tomates
hacher l’ail
farcir la soirée
de conversations sur le sexe
consommer les souvenirs
les uns après les autres

nous cherchons anxieusement
un livret de garantie
qui saurait tenir parole.

Nous sommes dans le bus de l’album
avec le chat et la nounou.

Pluie et sépia derrière la fenêtre.

Un torrent s’abat sur nous.
Douleur lancinante.

Un pâle Jésus sur un tableau.
Une luge contre un mur.

Je reste adepte du temps conifère
une chouette pieuse dit
une prière pour ma nounou.

 

Extraits de Moi

De loin
Gâteau aux prunes

De loin je regarde la maison
d’où se défait déjà la dernière trame.
Monsieur Ferek. Sa femme. Le chien.

La nounou est au ciel. Prépare des beignets à la confiture de rose.
La rivière a la gorge sèche.
Les chats sont tous partis.

Les chambres à coucher ont encore des conversations.
Ah, oui…

Une averse soudaine a lavé
les traces de nos lèvres.

De toute la palette des couleurs
il me reste le pelage rouge
des coquelicots du chemin.

J’ôte de ton visage
une miette croustillante de gâteau aux prunes
Minuscule caractère de tendresse.

Loin de toutes pensées
je la pose sur la vieille feuille de porcelaine.
Qu’elle s’inscrive à jamais.

On ne sait quand
le courant d’air a tout soufflé.
Quelqu’un a ouvert la fenêtre. Quelqu’un a ouvert la porte.

Des années après
je me promène toujours dans les confiseries.
Je regrette que tu ne sois qu’un rêve.
Même la nuit ne peut deviner
quand nous sommes ensemble.

L'après-midi
A l'oiseau

Nous parlons de la guerre.
Dans le jardin-des baïonnettes d’iris.

Nous faisons de la balançoire.
Une trompette disparaît après le virage.

Le vent nous pousse.

Vers le haut la vie.
Vers le bas la mort.

Vers le haut la vie.
Vers le bas la mort.

Vers le haut la vie.

Rien ne nous avertit.
Les champs de pétrole d’un coucher de soleil
se consument doucement.
Le coiffeur coupe les feuilles d’un érable.

Tu me regardes
comme si tu en savais plus.

Extraits d’Ailleurs


Je dis à l’oiseau
il faut que je m’envole.

L’oiseau agite
le mode d’emploi.

Extrait de L’écharde.


Le recueil Moi, ailleurs, L’écharde est paru aux Editions Grèges en 2008, dans une traduction d’Isabelle Macor-Filarska et d’Irena Gudaniec-Barbier.

Isabelle Macor-Filarska écrit dans sa postface : « (…) dans ses trois derniers recueils intitulés Moi, Ailleurs, L’écharde et réunis ici, Ewa Lipska développe un thème qui apparaissait moins dans ses précédents recueils, lesquels mettaient au premier plan l’angoisse existentielle ; il s’agit du thème de l’amour. (…) Cette thématique se déploie dans certains poèmes qui mettent en avant le miracle de l’amour, la possibilité du bonheur et la joie d’exister avec tout de même en contrepoint toujours la menace, la violence, la solitude, la mort, le mal et une ironie qui met à distance tout pathos. »

Cécile Thibesard
Décembre 2008

 
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