Retour aux voix du monde
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YA'ABURNEE
Quand il est distant
quand elle coupe
quand c'est le désert
quand ils font tout exploser
alors,
Quand le soleil attendrit
quand la neige scelle
quand la lune dénoue
quand la terre lève l'ancre
alors,
Quand le bleu commence
quand la langue est un abri
quand les rêves grandissent
quand je suis de retour
alors,
Quand le souffle est loin, parfois déserteur, vieux prétendant
déloyal
quand la peau fait sécession -me submergeant en souvenirs
quand le sang abandonne, courant vers le grand plein air
quand les cellules explosent et éparpillent la poitrine
en météorites
Quand le soleil fond en ruisselets sur juillet
quand la neige emballe janvier dans un cellophane brillant
quand la lune se démêle par-dessus le Marais (et
je la reconduis chez elle d'une main décidée)
quand le sol lève l'ancre à Séoul, donnant
naissance aux cerisiers
Quand le bleu commence à tacher le noir, courtise Soulages,
envahit le vernis
quand la langue est le chez moi avec qui faire de l'autostop
quand les rêves deviennent plus grands que les plates-bandes
ou les peurs qui grimpent comme des mauvaises herbes
quand je suis de retour, vieille chaussette retournée :
dessus-dessous, raccommodée, ravaudée, un pied gonflé
emballé dans de la glace, peut-être repassé
alors, et alors, et alors, est-ce que j'atteins le monde pour
m'envelopper dans ta voix.
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Ya’aburnee
When he is distant
When she secedes
When it deserts
When they detonate
Then.
When the sun melts
When snow seals
When the moon unravels
When land lifts anchor
Then.
When blue begins
When tongue is home
When dreams grow
When I am returned
Then.
When breath is distant, sometimes awol: that old, faithless swain
When skin secedes – submerging me in memory
When blood deserts, racing for the great outdoors
When cells detonate and strobe chests with meteorites
When the sun melts in rivulets on July
When snow seals January in glazed cellophane
When the moon unravels over the Marais (and I lead him home by
unspun hand)
When land lifts anchor in Seoul, birthing cherry trees
When blue begins to stain the black, woo Soulages and eclipse
shellac
When tongue is the home that hitchhikes with me
When dreams outgrow flowerbeds or fears climb unweeded
When I am returned, an old sock turned: inside out, holes darned,
yarn trimmed, a
swollen foot ice-packed, maybe ironed
Then, and then, and then, do I reach out to wrap myself in your
voice.
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QUITTANCE
Pour tes cieux
pour mes nuits
pour nos arbres
pour les rues
tu
Pour Manhattan
pour Macao
Pour Avignon
Pour Anvers
je
Pour le temps
pour l'espace
pour les mots
pour la danse
nous
Parce que tes cieux se promènent, sales, leurs nuages
emmêlés de doutes
parce que mes nuits frissonnent dans des allées humides
à la recherche d'étoiles déchues
Parce que nos arbres empourprent les murs de la ville de blessures
fraîches
parce que les rues fuient, aveugles, fugitives
Parce que Manhattan bombarde toujours King Kong
parce que Macao en mai est devenu une tour de colère et
de chrome
parce que les arches d'Avignon se courbent sous les questions
des rois morts
parce qu'Anvers réclame les entrelacs de tes membres
Parce que le temps me teint plus tôt : je vieillis, et
mes yeux se fanent de noir en brun
parce que l'espace bondit de travers, étouffant la vérité
dans ta poitrine
parce que les mots portent des armures, des tridents, et frappent
désormais au premier bruit
parce que la danse, la danse -ta terre, mon air- parce que la
danse doit survivre
tu ordonnes de désaxer le soleil et la lune, tu sectionnes
les orbites avec tes mains balafrées
j'abandonne les futurs aux feux de joie : des mots enflammés
de musique et de souvenirs
nous décidons de renoncer à
l'au-delà : ne pas faire de veillée funèbre
pour les constellations disparues.
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Quittance
For your skies
For my nights
For our trees
For the streets
You will.
For Manhattan
For Macau
For Avignon
For Antwerp
I will.
For time
For space
For words
For dance
We will.
For your skies walk unwashed, their clouds matted with doubt
For my nights shiver in damp alleys, seeking fallen stars
For our trees purple city walls with fresh hurt
For the streets flee sightless, fugitives from home
For Manhattan always blitzed king-kong
For Macau in May became a tower of anger and chrome
For Avignon’s arches curve into questions from dead kings
For Antwerp reclaims the tracery of your limbs
For time dyes me sooner: I grow old, and eyes fade from black
to brown
For space lunges sideways, smothering truths in your thorax
For words wear armour, bear tridents and now strike at the first
sound
For dance, for dance – your earth, my air –, for dance
must survive
You will the sun and moon unhinged, you sever orbits with scarred
hands.
I will futures to a bonfire: words, kindled with music and memory.
We will renounce hereafter: hold no wakes for dead constellations.
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Les habitudes : retours
Douloureuse à perdre, beaucoup
trop facile à retrouver. Tourne autour,
et là, à nouveau, impassible,
elle attend. Inévitable, immanente,
cette chose que tu fuirais mais qui semble coincée
pour toujours, presque.
Presque.
Presque un zézaiement, moins qu'un bec-de-lièvre
?
Il y a habitudes et habitudes.
Respirer est une habitude que j'essaie de prendre.
Tu es celle que j'essaie de perdre.
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Habits: return
Painful to lose, far
too easy to recover. Turn around,
and there once again, unblinking,
it waits. Inevitable, immanent,
that thing you would flee but seem stuck
with forever, almost.
Almost.
Almost a lisp, less than a hare lip?
There are habits and there are habits.
Breathing is a habit I try to acquire.
You are the one I try to shed.
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"Ya'aburnee" figurera dans l'anthologie
de poésie indienne que publie le Sahitya Akademie (l'Académie
des Lettres indienne) dont la directrice d'édition est Arundhati
Subramoniam (en cours de publication). Il paraîtra également
dans l'Anthologie de poésie féminine indienne que publie
Zubaan Books (idem).
"Quittance" a paru dans PIX, un journal de photographies,
en mai 2011.
"Habits" sera publié dans une anthologie de poésie
féminine indienne que prépare la maison d'édition
Women Unlimited.
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