La leçon sur le cube
On prend une pierre
on la taille avec un ciseau de sang,
on la polit avec l'oeil de Homère
on la racle avec des rayons
jusqu'à ce que le cube devienne parfait.
On embrasse ensuite plusieurs fois le cube
avec sa bouche, avec la bouche des autres
et surtout avec la bouche de l'infante.
Après quoi on prend un marteau
avec lequel on écrase vite un angle du cube.
Tous, mais absolument tous diront d'une même voix:
- Quel cube parfait aurait été ce cube
s'il n'avait pas eu ce coin brisé!
Nichita Stãnescu
http://www.romanianvoice.com/poezii/poeti_tr/stanescu_fra.php
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SUR UNE CHAISE
Ecrire des poèmes sur des objets –
commencer par
exemple par une chaise, parler d’elle en tournant tout
autour, ou même en s’asseyant dessus, ou au contraire
en la repoussant du pied – dire ce qu’elle peut être,
ce qu’elle peut signifier, et comment de l’intérieur
s’explique cet assemblage de bouts de bois qui forme
un meuble, et puis glisser imperceptiblement (mais
est-ce à dire alors que tu t’es assis sur la chaise
dont
tu parles ? ou que tu t’es simplement arrêté
la main
appuyée sur son dossier ? ou que, modestement, tu
t’es assis par terre près d’elle ?) vers d’autres
choses
plus importantes, plus personnelles, plus humaines
que la chaise.
A partir de cette poésie des objets, au mois par des sous-
entendus, finir toujours par en arriver à ce qui
t’intéresse – c’est-à-dire toi
– (croire que c’est
normal, mais en réalité quelle gâterie cette
vie en eau
tiède qui est la tienne, par commodité, accepter
les
clichés et conserver néanmoins l’impression
d’avoir
une grande responsabilité poétique ; et croire que
tu
fais ainsi de la poésie réelle).
Autrement dit ceux qui ont écrit des poèmes –
ou si
vous préférez ceux qui ont souffert en cet endroit,
en leur personne maculée, purifiée (ils ne pouvaient
savoir si oui ou non ils étaient sauvés) –
n’étaient
pas assis sur des chaises.
Il déambulaient – Dante le dit – en tenant
leur propre
tête entre leurs mains, comme on tient une lanterne,
ils allaient et ils venaient – et s’ils avaient rencontré
une chaise ils ne l’auraient même pas renversée
d’un
coup de pied.
Ils l’auraient évitée.
Traduits par Bernard Noël et Dimitru Tsepeneag.
Mircea Ivanescu dans Quinze poètes roumains,
choisis et présentés par Dumitru Tsepeneag, éditions
Belin, page 57
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Je n’avais rien à perdre, sinon,
sinon l’ombre d’une corde sur le mur de ma maison,
sinon sur mes épaules de femme la cicatrice du mépris,
sinon sur mes vers en la page alignés la risée qui
pèse lourd…
Je n’avais rien à perdre, sinon,
sinon le vent de la terreur dans les branchages de mes nerfs,
sinon l’oiseau de la solitude aux yeux crevés,
sinon l’insigne de la confusion, sinon les préjugés…
Non, je n’avais rien à perdre,
sinon des âges et des âges marqués par le joug
et les nuques pliées…
J’avais tout un monde à gagner !
Nina Cassian dans Introduction à la poésie
Roumaine, éditions Club des amis du Livre Progressiste
(1961) page 149
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