TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Voix du monde

 

Retour aux voix du monde

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 


Un petit sommaire de la poésie serbe contemporaine présenté et traduits par Bojan Savic Ostojic

 

Borislav Radovic ~ PEV IZ KALEVALE ~ Le chant de Kalevala

Vrlo davno, gradeci camac,
do kosti zasece vrac sekirom, i vrisnu;
zapeva o rani što se crveno smeje,
o plavom celiku što je na smeh nagna,
ali ne padoše mu na um
najvažnije reci za pesmu:
kako je prispelo na svet to ljuto gvožde.
Ne hte se rana zatvoriti ni krv stati,
te on krenu sve iz pocetka;
opeva najpre vazduh, pa redom potomke,
vodum vatru i najmladeg im brata, gvožde
koje nedostajaše zemlji
kad se promolila iz mora.
Cerila se rana a krv liptala dalje.
Da bi pesma mogla da pruži prvu pomoc
i sastavi posekotinu,
valjalo je preci sa rude na secivo;
gorelo mu je pod nogama,
pa udari najzad u srž citave stvari
topionicarskim i kovackim jezikom.
A melem je mazao posle.


Jadis, en construisant une barque,
le devin s’entailla avec la hache jusqu’à l'os et hurla ;
se prit à chanter la plaie, qui riait en rouge,
l’acier bleu qui la força à rire,
mais ne lui vinrent à l'esprit
les paroles qui étaient essentielles pour le chant :
comment ce fer mordant est-il venu au monde.
La plaie ne voulut pas se fermer ni le sang s'arrêter,
et il recommença tout ;
d’abord il chanta l’air, puis ses descendants, par ordre,
l’eau, le feu et leur frère cadet, le fer
qui manquait à la terre
après avoir surgi de la mer.
La plaie ricana et le sang gicla encore.
Pour que le poème puisse prêter le premier secours
et refaire l’entaille,
il fallait passer du minerai à la lame ;
le sol lui brûlait sous les pieds,
enfin il aborda l’essence du problème
par la langue des fondeurs et des forgerons.
Et ne s’enduit de baume qu’ensuite.

(Cetrdeset dve izabrane pesme, Rad, 2007)

 

Rasa Livada ~ NEZNANAC ~ L'inconnu

1. Ko je pekao zanat-pamcenja:

I ostao zaboravljen?

2. Ko je osnovao domovinu i zakon:

I osuden-na-domovinu po zakonu?

3. Ko je izridao slova i jezike:

I cuo psovke i pokore?

4. Ko je u vladarima spoznao Milost:

A oni u njemu bitangu?

5. Ko ne misli na omcu oko vrata:

Ako se pojavi kometa?

6. Ko je uzdigao-žene toliko visoko:

Da ne mogu da sidu?

7. Ko je hitnuo svaki kamen u zvezde:

I ostao bez-krova-nad-glavom?

8. Ko je podmetao-požare u tuda srca:

I postao led?

9. Ko je izmislio lice-Gospodnje:

A presvisne kad ga vidi?

10. Ko je posrkao svu mesecinu-s-Dunava:

I ostao žedan?


Raša Livada

(u: Karantin, Pesme, Prosveta, 2006)

 


1. Qui se forgeait le-métier-de-se-souvenir :

Pour rester oublié ?

2. Qui a fondé la patrie et la loi :

Pour être condamné-à-la-patrie selon la loi ?


3. Qui a gémi les lettres et les langues :

Jusqu'à entendre l'écho de jurons et de repentirs ?

4. Qui reconnut la Grâce dans les souverains :

Qui le prirent pour un vaurien ?

5. Qui ne songe pas à la corde autour de son cou :

Si surgit une comète?

6. Qui a placé-les-femmes dans une telle hauteur:

Qu'elles ne daignent plus descendre ?

7. Qui a lancé chaque pierre vers les étoiles:

Pour rester sans-toit ?

8. Qui mettait-les-feux dans les cœurs d'autrui :

Au point de se transformer en glace?

9. Qui a inventé le visage-Divin :

Et succombé à sa vue ?

10. Qui a siroté toute la clair de lune-de-Danube :

Sans pouvoir se désaltérer ?



Jovan Zivlak ~ OBRETENJE~ La conversion

logori nisu postojali.
nije postojao ni dželat. ni mucitelj.
naše rane su lažne.
jauci nestvarni. nebo niko nije prizivao
niko otišao na put bez povratka.
sestre
majke
lažna su srodstva.
naša je patnja privid. opomena izlišnost.
po stratištima su likovi iz prica
pitanja su prastare gatke
svuda su samo senke promena
koje se nisu dogodile
i dogadaja koji nece otpoceti.
ubice nema. ni islednika
ni razmene izmedu života i smrti
ni andela ni njegovog tamnog brata
ni oca ni sina
ni sestrinskog pokrova pod zidinama
ni molitvi pod hrastom i placa na vodi
ni ropca na kamenu.
ni tame u blatu.
nema ni talaca ni svedoka
ni deteta razapetog u košmarnoj pustoši
ne tece voda ni sunce ne sija
ne postoje reci koje ce nas razrešiti smrti
ni obracenik koji pamti obretenje
ni izgnanik koji huli na izgnanstvo.
o andeli cutnje
o baštinice mera
ako ništa nije postojalo ako se ništa nije dogodilo
zašto tvoje srce dubi secivo nicega
zašto se osvrceš za senkama u ovoj crnoj vecnosti
i kome ceš zahvaliti što si još uvek živ.


Les camps n’existaient pas.
Le bourreau non plus. Ni le tortionnaire.
Nos blessures sont feintes.
Nos plaintes factices. Personne n’a invoqué le ciel

Personne n’est parti pour un voyage sans retour.
Sœurs
et mères
sont une parenté feinte.
Notre souffrance n’est qu'apparente. Avertissement superflu.
Des personnages de contes sont sur les échafauds
Les questions sont des fables antiques
Partout ne sont que les ombres de changements
Ne s’étant pas manifestés
Et d’événements qui ne vont pas débuter.
Il n’y a pas d’assassin. Ni de juge d’instruction
Ni d’échanges entre la vie et la mort
D’ange ni de son sombre frère
De père ni de fils
De linceul d’une sœur sur les murs
Ni de prière sous le chêne et de pleur sur l’eau
De râle sur la pierre.
De ténèbres dans la boue.
Il n’y a ni d’otages ni de témoins
Ni d’enfant crucifié en un désert de cauchemar
L’eau ne coule pas le soleil ne brille pas
Il n’est pas de mots pouvant nous dispenser de la mort
Ni de converti se souvenant de la conversion
Ni d’exilé maudissant l’exil.
O ange du silence
Héritier de la mesure
Si rien de cela n’a été si rien ne s’est passé
Pourquoi ton cœur creuse-t-il la lame du néant
Pourquoi te retournes-tu après les ombres en cette sombre éternité
Et qui vas-tu remercier du fait d’être encore en vie.


Traduction: Boris Lazic




Milutin Petrovic ~ POKAJANJE ~ Le repentir


Jesam li, pružajuci ruku za plodom, samotnicki,
tu, da znam i znak, i simbole, da odredim znacaj
pažnje, izgovarajuci, u sebi iz prikrajka, da sam
delovao prekoracujuci granicu, nedohvatnu dubinu,
jesam li pristao da imam dno, ono što nisam ja,
naopako, iscrpljujem se, u nestvarnim uzletima,
ne silazim, vec zamišljam predeo, ne sudim vec
sam zatvorio maštu, bio sam blizan drugog tela,
kroz koje odlazim, uništio si me, išcupaj me iz
ništavila, zapocni podvajanje.

Milutin Petrovic
(1941)


Suis-je, en tendant la main vers le fruit, solitairement,
ici, pour faire un signe, et les symboles, pour définir l’importance
de l’attention, en prononçant, à mi-voix, en cachette, que
j’agissais en franchissant la limite, la profondeur insaisissable,
ai-je accepté d'avoir un fond, ce qui n'est pas moi,
à l’envers, je m’épuise, dans les envolées irréelles
plutôt que de descendre, j'imagine le paysage, plutôt que de juger,
j’ai scellé l’imagination, j’étais le jumeau d'un autre corps,
à travers lequel je m’éloigne, tu m’as anéanti, arrache-moi du
néant, amorce le dédoublement.





Dragan Jovanovic Danilov - La fenêtre aveugle

I razgovor se nastavlja kao da nije
ni prekidan.

Moji se krilati snovi splicu visoko
u gnezdu nad ponorom.

Sve rede pišem i objavljujem pesme.
Ne ogrcem više pustoš sobom.
Putopis mi nije važniji od puta.
More na mapi i sama mapa - nisu jedno.

Više nisam slep kao junak
okrunjen pobednickim vencem.
Devojcure zdrave kao jegulje,
što u sumrak vijaju gradom u zenitu
svojih moci, o, nebesa, nisu nikakva uteha.

Osecam u sebi noc i u njoj ne vidim
zvezde; svet je postao slican otvoru
kroz koji tamnicar zaviruje u celiju.

Postao sam lud od žaljenja za nepoznatima.
U tebi, pustinjo, merim vreme, i ucim
da se cuvam tvog savršenstva.

Video sam sve, a propustio najvažnije.
Najbolje ce tek doci kao udaljena tutnjava
nevremena.

Šta nama, prahu, može biti uskraceno?

 



Et la conversation continue comme si elle n’avait
même pas été interrompue.

Mes rêves ailés s’enchevêtrent là-haut
dans un nid au-dessus de l’abîme.

De plus en plus rarement j’écris et publie des poèmes.
Je n’orne plus le vide par moi-même.
Le récit de voyage ne m’importe plus que le voyage.
La mer sur une carte et la carte elle-même – ne sont pas pareilles.

Je ne suis plus aveugle comme un héros
coiffé de couronne triomphale.
Des garces saines comme les anguilles
qui rôdent au crépuscule autour de la ville, au zénith
de leurs pouvoirs, ô les cieux, ne me consolent aucunement.

Au dedans, je ressens la nuit où je ne vois pas
d’étoiles ; le monde commence à ressembler à un trou
à travers lequel le geôlier jette un coup d'oeil vers le cachot.

Je suis devenu fou d’avoir regretté les inconnus.
C’est en toi, le désert, que je mesure le temps, et que j’apprends
de me protéger de ta perfection.

J’ai tout vu et raté l’essentiel.
Le meilleur n’est qu’à venir comme un grondement lointain
des intempéries.

De quoi pouvons-nous, les cendres, être privés ?


Le nid au-dessus de l’abîme
(2005)


BORISLAV RADOVIC

Né en 1935 à Belgrade. Il a publié les recueils poétiques: Poeticnosti (Poéticités,1956), Ostale poeticnosti (Les autres poéticités, 1959), Maina (1964), Bratstvo po nesanici (La fraternité d’insomnie, 1967), Opisi, gesla (Les descriptions, les devises, 1970). Depuis 1979 il publie régulièrement les choix de ses poèmes avec les poèmes nouveaux (Pesme, 1971-1991).
Parallèlement essayiste (Citajuci Vergilija, En lisant Virgile, 2004) et traducteur, Radovic a traduit les Amers de Saint-John Perse (en 1963 et en 2003, une nouvelle traduction), un choix de poèmes de Paul Eluard (1971) et Le Spleen de Paris de Charles Baudelaire (1975). Il traduisait la prose aussi: Louis Lambert de Balzac. Rédacteur de la revue Poezija en collaboration avec M. Petrovic.


------

MILUTIN PETROVIC

Né en 1941 à Kraljevo. Ancien rédacteur des revues Književna rec, Relations et Književne novine. Actuellement rédacteur en chef du magazine Poezija, depuis 1996. Ses recueils importants sont: Kako ona hoce (Comme elle veut), 1968, Drznoveno roždestvo (La naissance audacieuse), 1969, Glava na panju, 1971 (traduction en français: La tete sur le billot, 1982), Promena (Le changement), 1974, Svrab (La démangeaison), 1977, Stihija, izabrane i nove pesme, 1983. Un choix bilingue récent, intitulé Choix (1971-2007), publié à Cacak (éditeur: Gradac), est traduit sous la direction de Kolja Micevic et Eugène Guillevic.

-----

RAŠA LIVADA (1948-2007) est né à Subotica. Auteur de trois recueils poétiques: “Poprskan znojem kazaljki”, “Atlantida” i “Karantin” (publiés en France aux éditions RSF, Horloge, L’Atlantide, Quarantaine). Un des fondateurs de la société littéraire „Pismo“. Fondateur de quelques revues littéraires. Ancien président de la section belgradoise de l'Association des écrivains de Serbie. Auteur des anthologies importantes “Svetska poezija danas” (La poésie de monde d’aujourd’hui, 1981) et “Moderno svetsko pesništvo” (La poésie mondiale moderne, 1983). Traducteur de Robert Graves, Juan Ramon Himenez, Yehuda Amichai et de T. S. Eliott. Il est mort à Zemun en 2007.

----

JOVAN ZIVLAK (Nakovo 1947), a étudié la littérature yougoslave à la Faculté de philosophie de l'Université de Novi Sad. Ancien rédacteur en chef de la revue littéraire "Polja (Champs)", de 1976 à 1983. Directeur de la maison d'édition "Svetovi (Mondes)" de Novi Sad, il publie régulièrement des poèmes et des critiques littéraires. Il a publié les livres suivants : Le marin (1969), L'école du soir (1974), Fourré (1977), Trépied (1979), Treuil (1983), Un air (1989), Rapport hivernal (Poèmes choisis 1989), Le crotale (1991) et La découverte (Poèmes choisis 1995). (En français: Trépied, 1981; Poèmes choisis, 1999).

-----


DRAGAN JOVANOVIC DANILOV est né en 1960 en Serbie. Poète et essayiste, il a publié les recueils suivants: "Eucharistie", 1990, prix "Branko"; "Enigmes de la nuit", 1991; "Pentagramme du cœur", 1992; "Maison de la musique de Bach", 1993, 1994, prix "Branko Miljkovic", "Jazzbina"; "Parchemin vivant", 1994, 1995, prix "Mécha Sélimovitch"; "Europe sous la neige", 1995; "Un profond silence, poèmes choisis", 1996; "Pantocr(é)ator", 1997; "Maison de la musique de Bach, trilogie", 1998, Gnezdo nad ponorom (Un nid au-dessus l’abîme, 2005, le prix de Vital Vrbas); le roman "Almanach des dunes de sable", 1996; Iconostase à la fin du monde. En français: Maison de la musique de Bach, 1999; Passager de la terre, Voix de l’encre, Paris, 2000; Le vestibule du ciel (Paris, 2003). Danilov vit et travaille à Požega, sa ville natale.

-------
NOTES SUR LES TRADUCTEURS

Boris Lazic est né en 1967, à Paris. Poète et traducteur du serbe et du croate, diplômé en théologie, en littérature serbe et croate à la Sorbonne, il a obtenu un DEA en littérature comparée à la Sorbonne Nouvelle en 1995. Son premier recueil de poésie "Chancellement", écrit en serbe, a été publié aux Ed. Saint Sava à Belgrade en 1994. Il a publié chez le même éditeur son second recueil de poésie "Océanie" en 1997. Suivirent « Terrible musique de l'infini » (1999) et « Psaume de l'Infidèle » (2002), ainsi qu'un récit de voyage, « Notes su l'Arcadie », Belgrade, 2000. En tant que traducteur, il a publié un livre de poésie de Yovan Zivlak, "Poèmes choisis", L'Age d'Homme, 1999 et "La lueur du microcosme", de Pierre Petrovitch Niegoch, 2000. Des textes traduits en français des poètes serbe Niegoch et croate Tine Ouyévitch dans la revue Dialogue, ainsi que des poèmes du poète serbe Radivoï Stanivouk dans les revues "Caravanes", "Europe", "Méditerranéennes", "Variable", "Voix d'encre" et "Sud". Publication de « Six poètes de Serbie », « Europe », janvier 2001. Il a été rédacteur littéraire au trimestriel parisien "Dialogue" ; il est rédacteur permanent du journal littéraire belgradois "Parole littéraire". Vit à Paris.

-----

Bojan Savic Ostojic (1983) est poéte et traducteur. Comme poète, il a publié un poème, Stvaranje istine (Création de la Vérité, SKC, Kragujevac, 2003). Il a traduit une oeuvre biographique, Kafka, écrite par un biographe français, Gérard-George Lemaire, (Clio, Belgrade, 2007). Il traduit notamment la poésie française contemporaine et lpublie ses traductions dans les revues littéraires.

 
Textes et photos - tous droits réservés