Borislav
Radovic ~ PEV IZ KALEVALE ~ Le chant de Kalevala |
Vrlo davno, gradeci camac,
do kosti zasece vrac sekirom, i vrisnu;
zapeva o rani što se crveno smeje,
o plavom celiku što je na smeh nagna,
ali ne padoše mu na um
najvanije reci za pesmu:
kako je prispelo na svet to ljuto gvode.
Ne hte se rana zatvoriti ni krv stati,
te on krenu sve iz pocetka;
opeva najpre vazduh, pa redom potomke,
vodum vatru i najmladeg im brata, gvode
koje nedostajaše zemlji
kad se promolila iz mora.
Cerila se rana a krv liptala dalje.
Da bi pesma mogla da prui prvu pomoc
i sastavi posekotinu,
valjalo je preci sa rude na secivo;
gorelo mu je pod nogama,
pa udari najzad u sr citave stvari
topionicarskim i kovackim jezikom.
A melem je mazao posle. |
Jadis, en construisant une barque,
le devin s’entailla avec la hache jusqu’à
l'os et hurla ;
se prit à chanter la plaie, qui riait en rouge,
l’acier bleu qui la força à rire,
mais ne lui vinrent à l'esprit
les paroles qui étaient essentielles pour le chant
:
comment ce fer mordant est-il venu au monde.
La plaie ne voulut pas se fermer ni le sang s'arrêter,
et il recommença tout ;
d’abord il chanta l’air, puis ses descendants,
par ordre,
l’eau, le feu et leur frère cadet, le fer
qui manquait à la terre
après avoir surgi de la mer.
La plaie ricana et le sang gicla encore.
Pour que le poème puisse prêter le premier
secours
et refaire l’entaille,
il fallait passer du minerai à la lame ;
le sol lui brûlait sous les pieds,
enfin il aborda l’essence du problème
par la langue des fondeurs et des forgerons.
Et ne s’enduit de baume qu’ensuite.
(Cetrdeset dve izabrane pesme,
Rad, 2007)
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Rasa
Livada ~ NEZNANAC ~ L'inconnu |
1. Ko je pekao zanat-pamcenja:
I ostao zaboravljen?
2. Ko je osnovao domovinu i zakon:
I osuden-na-domovinu po zakonu?
3. Ko je izridao slova i jezike:
I cuo psovke i pokore?
4. Ko je u vladarima spoznao Milost:
A oni u njemu bitangu?
5. Ko ne misli na omcu oko vrata:
Ako se pojavi kometa?
6. Ko je uzdigao-ene toliko visoko:
Da ne mogu da sidu?
7. Ko je hitnuo svaki kamen u zvezde:
I ostao bez-krova-nad-glavom?
8. Ko je podmetao-poare u tuda srca:
I postao led?
9. Ko je izmislio lice-Gospodnje:
A presvisne kad ga vidi?
10. Ko je posrkao svu mesecinu-s-Dunava:
I ostao edan?
Raša Livada
(u: Karantin, Pesme, Prosveta, 2006)
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1. Qui se forgeait le-métier-de-se-souvenir
:
Pour rester oublié ?
2. Qui a fondé la patrie et la loi
:
Pour être condamné-à-la-patrie
selon la loi ?
3. Qui a gémi les lettres et les langues :
Jusqu'à entendre l'écho de
jurons et de repentirs ?
4. Qui reconnut la Grâce dans les
souverains :
Qui le prirent pour un vaurien ?
5. Qui ne songe pas à la corde autour
de son cou :
Si surgit une comète?
6. Qui a placé-les-femmes dans une
telle hauteur:
Qu'elles ne daignent plus descendre ?
7. Qui a lancé chaque pierre vers
les étoiles:
Pour rester sans-toit ?
8. Qui mettait-les-feux dans les cœurs
d'autrui :
Au point de se transformer en glace?
9. Qui a inventé le visage-Divin
:
Et succombé à sa vue ?
10. Qui a siroté toute la clair de
lune-de-Danube :
Sans pouvoir se désaltérer
?
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Jovan
Zivlak ~ OBRETENJE~ La conversion |
logori nisu postojali.
nije postojao ni delat. ni mucitelj.
naše rane su lane.
jauci nestvarni. nebo niko nije prizivao
niko otišao na put bez povratka.
sestre
majke
lana su srodstva.
naša je patnja privid. opomena izlišnost.
po stratištima su likovi iz prica
pitanja su prastare gatke
svuda su samo senke promena
koje se nisu dogodile
i dogadaja koji nece otpoceti.
ubice nema. ni islednika
ni razmene izmedu ivota i smrti
ni andela ni njegovog tamnog brata
ni oca ni sina
ni sestrinskog pokrova pod zidinama
ni molitvi pod hrastom i placa na vodi
ni ropca na kamenu.
ni tame u blatu.
nema ni talaca ni svedoka
ni deteta razapetog u košmarnoj pustoši
ne tece voda ni sunce ne sija
ne postoje reci koje ce nas razrešiti smrti
ni obracenik koji pamti obretenje
ni izgnanik koji huli na izgnanstvo.
o andeli cutnje
o baštinice mera
ako ništa nije postojalo ako se ništa nije dogodilo
zašto tvoje srce dubi secivo nicega
zašto se osvrceš za senkama u ovoj crnoj vecnosti
i kome ceš zahvaliti što si još uvek iv.
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Les camps n’existaient pas.
Le bourreau non plus. Ni le tortionnaire.
Nos blessures sont feintes.
Nos plaintes factices. Personne n’a invoqué
le ciel
Personne n’est parti pour un voyage
sans retour.
Sœurs
et mères
sont une parenté feinte.
Notre souffrance n’est qu'apparente. Avertissement
superflu.
Des personnages de contes sont sur les échafauds
Les questions sont des fables antiques
Partout ne sont que les ombres de changements
Ne s’étant pas manifestés
Et d’événements qui ne vont pas débuter.
Il n’y a pas d’assassin. Ni de juge d’instruction
Ni d’échanges entre la vie et la mort
D’ange ni de son sombre frère
De père ni de fils
De linceul d’une sœur sur les murs
Ni de prière sous le chêne et de pleur sur
l’eau
De râle sur la pierre.
De ténèbres dans la boue.
Il n’y a ni d’otages ni de témoins
Ni d’enfant crucifié en un désert de
cauchemar
L’eau ne coule pas le soleil ne brille pas
Il n’est pas de mots pouvant nous dispenser de la
mort
Ni de converti se souvenant de la conversion
Ni d’exilé maudissant l’exil.
O ange du silence
Héritier de la mesure
Si rien de cela n’a été si rien ne s’est
passé
Pourquoi ton cœur creuse-t-il la lame du néant
Pourquoi te retournes-tu après les ombres en cette
sombre éternité
Et qui vas-tu remercier du fait d’être encore
en vie.
Traduction: Boris Lazic
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Milutin
Petrovic ~ POKAJANJE ~ Le repentir |
Jesam li, pruajuci
ruku za plodom, samotnicki,
tu, da znam i znak, i simbole, da odredim znacaj
panje, izgovarajuci, u sebi iz prikrajka, da sam
delovao prekoracujuci granicu, nedohvatnu dubinu,
jesam li pristao da imam dno, ono što nisam ja,
naopako, iscrpljujem se, u nestvarnim uzletima,
ne silazim, vec zamišljam predeo, ne sudim vec
sam zatvorio maštu, bio sam blizan drugog tela,
kroz koje odlazim, uništio si me, išcupaj me iz
ništavila, zapocni podvajanje.
Milutin Petrovic
(1941)
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Suis-je, en tendant la main
vers le fruit, solitairement,
ici, pour faire un signe, et les symboles, pour définir
l’importance
de l’attention, en prononçant, à mi-voix,
en cachette, que
j’agissais en franchissant la limite, la profondeur
insaisissable,
ai-je accepté d'avoir un fond, ce qui n'est pas moi,
à l’envers, je m’épuise, dans
les envolées irréelles
plutôt que de descendre, j'imagine le paysage, plutôt
que de juger,
j’ai scellé l’imagination, j’étais
le jumeau d'un autre corps,
à travers lequel je m’éloigne, tu m’as
anéanti, arrache-moi du
néant, amorce le dédoublement.
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Dragan
Jovanovic Danilov - La fenêtre aveugle |
I razgovor se nastavlja kao
da nije
ni prekidan.
Moji se krilati snovi splicu visoko
u gnezdu nad ponorom.
Sve rede pišem i objavljujem pesme.
Ne ogrcem više pustoš sobom.
Putopis mi nije vaniji od puta.
More na mapi i sama mapa - nisu jedno.
Više nisam slep kao junak
okrunjen pobednickim vencem.
Devojcure zdrave kao jegulje,
što u sumrak vijaju gradom u
zenitu
svojih moci, o, nebesa, nisu nikakva
uteha.
Osecam u sebi noc i u njoj ne vidim
zvezde; svet je postao slican otvoru
kroz koji tamnicar zaviruje u celiju.
Postao sam lud od aljenja za nepoznatima.
U tebi, pustinjo, merim vreme, i ucim
da se cuvam tvog savršenstva.
Video sam sve, a propustio najvanije.
Najbolje ce tek doci kao udaljena
tutnjava
nevremena.
Šta nama, prahu, moe biti uskraceno?
|
Et la conversation continue comme si elle n’avait
même pas été interrompue.
Mes rêves ailés s’enchevêtrent
là-haut
dans un nid au-dessus de l’abîme.
De plus en plus rarement j’écris et publie
des poèmes.
Je n’orne plus le vide par moi-même.
Le récit de voyage ne m’importe plus que le
voyage.
La mer sur une carte et la carte elle-même –
ne sont pas pareilles.
Je ne suis plus aveugle comme un héros
coiffé de couronne triomphale.
Des garces saines comme les anguilles
qui rôdent au crépuscule autour de la ville,
au zénith
de leurs pouvoirs, ô les cieux, ne me consolent aucunement.
Au dedans, je ressens la nuit où je ne vois pas
d’étoiles ; le monde commence à ressembler
à un trou
à travers lequel le geôlier jette un coup d'oeil
vers le cachot.
Je suis devenu fou d’avoir regretté les inconnus.
C’est en toi, le désert, que je mesure le temps,
et que j’apprends
de me protéger de ta perfection.
J’ai tout vu et raté l’essentiel.
Le meilleur n’est qu’à venir comme un
grondement lointain
des intempéries.
De quoi pouvons-nous, les cendres, être privés
?
Le nid au-dessus de l’abîme
(2005)
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BORISLAV RADOVIC
Né en 1935 à Belgrade. Il a publié
les recueils poétiques: Poeticnosti (Poéticités,1956),
Ostale poeticnosti (Les autres poéticités,
1959), Maina (1964), Bratstvo po nesanici (La fraternité
d’insomnie, 1967), Opisi, gesla (Les descriptions,
les devises, 1970). Depuis 1979 il publie régulièrement
les choix de ses poèmes avec les poèmes nouveaux
(Pesme, 1971-1991).
Parallèlement essayiste (Citajuci Vergilija, En lisant
Virgile, 2004) et traducteur, Radovic a traduit les Amers
de Saint-John Perse (en 1963 et en 2003, une nouvelle traduction),
un choix de poèmes de Paul Eluard (1971) et Le Spleen
de Paris de Charles Baudelaire (1975). Il traduisait la
prose aussi: Louis Lambert de Balzac. Rédacteur de
la revue Poezija en collaboration avec M. Petrovic.
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MILUTIN PETROVIC
Né en 1941 à Kraljevo. Ancien rédacteur
des revues Knjievna rec, Relations et Knjievne
novine. Actuellement rédacteur en chef du magazine
Poezija, depuis 1996. Ses recueils importants sont: Kako
ona hoce (Comme elle veut), 1968, Drznoveno rodestvo
(La naissance audacieuse), 1969, Glava na panju, 1971 (traduction
en français: La tete sur le billot, 1982), Promena
(Le changement), 1974, Svrab (La démangeaison), 1977,
Stihija, izabrane i nove pesme, 1983. Un choix bilingue
récent, intitulé Choix (1971-2007), publié
à Cacak (éditeur: Gradac), est traduit sous
la direction de Kolja Micevic et Eugène Guillevic.
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RAŠA LIVADA (1948-2007)
est né à Subotica. Auteur de trois recueils
poétiques: “Poprskan znojem kazaljki”,
“Atlantida” i “Karantin” (publiés
en France aux éditions RSF, Horloge, L’Atlantide,
Quarantaine). Un des fondateurs de la société
littéraire „Pismo“. Fondateur de quelques
revues littéraires. Ancien président de la
section belgradoise de l'Association des écrivains
de Serbie. Auteur des anthologies importantes “Svetska
poezija danas” (La poésie de monde d’aujourd’hui,
1981) et “Moderno svetsko pesništvo” (La
poésie mondiale moderne, 1983). Traducteur de Robert
Graves, Juan Ramon Himenez, Yehuda Amichai et de T. S. Eliott.
Il est mort à Zemun en 2007.
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JOVAN ZIVLAK (Nakovo 1947),
a étudié la littérature yougoslave
à la Faculté de philosophie de l'Université
de Novi Sad. Ancien rédacteur en chef de la revue
littéraire "Polja (Champs)", de 1976 à
1983. Directeur de la maison d'édition "Svetovi
(Mondes)" de Novi Sad, il publie régulièrement
des poèmes et des critiques littéraires. Il
a publié les livres suivants : Le marin (1969), L'école
du soir (1974), Fourré (1977), Trépied (1979),
Treuil (1983), Un air (1989), Rapport hivernal (Poèmes
choisis 1989), Le crotale (1991) et La découverte
(Poèmes choisis 1995). (En français: Trépied,
1981; Poèmes choisis, 1999).
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DRAGAN JOVANOVIC DANILOV est né
en 1960 en Serbie. Poète et essayiste, il a publié
les recueils suivants: "Eucharistie", 1990, prix
"Branko"; "Enigmes de la nuit", 1991;
"Pentagramme du cœur", 1992; "Maison
de la musique de Bach", 1993, 1994, prix "Branko
Miljkovic", "Jazzbina"; "Parchemin vivant",
1994, 1995, prix "Mécha Sélimovitch";
"Europe sous la neige", 1995; "Un profond
silence, poèmes choisis", 1996; "Pantocr(é)ator",
1997; "Maison de la musique de Bach, trilogie",
1998, Gnezdo nad ponorom (Un nid au-dessus l’abîme,
2005, le prix de Vital Vrbas); le roman "Almanach des
dunes de sable", 1996; Iconostase à la fin du
monde. En français: Maison de la musique de Bach,
1999; Passager de la terre, Voix de l’encre, Paris,
2000; Le vestibule du ciel (Paris, 2003). Danilov vit et
travaille à Poega, sa ville natale.
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NOTES SUR LES TRADUCTEURS
Boris Lazic est né en 1967, à
Paris. Poète et traducteur du serbe et du croate,
diplômé en théologie, en littérature
serbe et croate à la Sorbonne, il a obtenu un DEA
en littérature comparée à la Sorbonne
Nouvelle en 1995. Son premier recueil de poésie "Chancellement",
écrit en serbe, a été publié
aux Ed. Saint Sava à Belgrade en 1994. Il a publié
chez le même éditeur son second recueil de
poésie "Océanie" en 1997. Suivirent
« Terrible musique de l'infini » (1999) et «
Psaume de l'Infidèle » (2002), ainsi qu'un
récit de voyage, « Notes su l'Arcadie »,
Belgrade, 2000. En tant que traducteur, il a publié
un livre de poésie de Yovan Zivlak, "Poèmes
choisis", L'Age d'Homme, 1999 et "La lueur du
microcosme", de Pierre Petrovitch Niegoch, 2000. Des
textes traduits en français des poètes serbe
Niegoch et croate Tine Ouyévitch dans la revue Dialogue,
ainsi que des poèmes du poète serbe Radivoï
Stanivouk dans les revues "Caravanes", "Europe",
"Méditerranéennes", "Variable",
"Voix d'encre" et "Sud". Publication
de « Six poètes de Serbie », «
Europe », janvier 2001. Il a été rédacteur
littéraire au trimestriel parisien "Dialogue"
; il est rédacteur permanent du journal littéraire
belgradois "Parole littéraire". Vit à
Paris.
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Bojan Savic Ostojic (1983) est poéte
et traducteur. Comme poète, il a publié un
poème, Stvaranje istine (Création de la Vérité,
SKC, Kragujevac, 2003). Il a traduit une oeuvre biographique,
Kafka, écrite par un biographe français, Gérard-George
Lemaire, (Clio, Belgrade, 2007). Il traduit notamment la
poésie française contemporaine et lpublie
ses traductions dans les revues littéraires.
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