L'exercice
soudainement limité de la présence
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“Vivre toujours en retrait de la vie” . Et
écrire dans ces instants dérobés de la vie
quotidienne, instants d’abrupte solitude. Le retrait est
ici une nécessité de l’écriture, la
tension qui inscrit le regard. Le regard est ici finalement dépossédé
du regard dans l’angle mort des yeux, de la couleur ou de
la lumière. Le regard finit toujours par s’absenter
du regard. Et son absence nous est proche. “Toujours
s’achève, le même toujours”. Le
dernier regard ne peut plus être pour les yeux.
À perte de vue, dans le retrait, le regard reste aveuglément
adossé à la couleur ou à la lumière.
Nomades, nous ne pouvons rester alors dans le terre la plus haute
ou la plus basse du regard.
Sur ces pentes, il y a l’exercice soudainement limité
de la présence: l’écriture dessaisit la vie,
la vie dessaisit l’écriture. “Des faits
discontinus”. L’oubli de l’origine du regard
est là, l’immédiat des mots, pour ne pas finir.
Toute figure se tient dans le dessaisissement. Toute histoire,
toute anecdote y sont brisées. La poésie de l’expérience
est à la lettre l’exercice soudainement limité
de la présence, à partir du nom perdu de la mémoire.
Du nom perdu de la mémoire, l’origine du retrait,
du regard.
Sur ces pentes, il y a alors aussi l’exercice soudainement
illimité d’une écriture nomade (paysages urbains
ou ruraux états d’âme…), traversant la
couleur et la lumière. Même en retrait, l’écriture
tient de la vie, des matières de la vie, de la mémoire
de la vie. Au-dehors, au-dedans, peu importe, le dehors et le
dedans finissent ici par se confondre et se perdre dans l’immédiat
des mots. Restent « des lignes/ que la pensée
/ poursuit encore » et la « présence
juste des limites / édifiant l’air ».
Parfois, lisant Miguel Casado, nous pensons aux épiphanies
dépouillées de Wang Wei.
Ici, comme chez Wang Wei, la couleur ou la lumière est
peut-être un nom encore pour la mémoire.
Jean Gabriel
Cosculluela
7 Août 1999 – 7 Août 2005
Préface de "Théorie de la couleur"
aux éditions Propos2, juin 2006.
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Quelques
Extraits |
MOSTEIRO DOS JERONIMOS
Le regard efface la promenade,
si lointains
le vent frais du fleuve,
l’odeur des toutes petites fleurs
les couleurs passées peu à peu.
Il n’y a rien de tranquille dans toute cette tranquillité.
De tant de risques dûs,
la beauté est fragile en cette fin d’après-midi.
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MOSTEIRO DOS JERONIMOS
La mirada apaga el paseo,
tan distantes
el viento fresco del río,
el olor de las flores diminutas,
una por una desvaídas.
No hay nada quieto entre tanta quietud.
Deudora de tantas apuestas
la belleza es frágil en este atardecer.
*~*~*
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Avec le temps, la couleur
change
et reste à définir; on cherche ses secrets,
ses règles, ses mesures, ses retards,
parfois ses échecs.
Les yeux incertains et le regard,
le passage des glacis, des noms,
des lointains. Reste la tension du regard, la fragilité
de la pensée dans le vif désir du réel,
dans le risque même
d’inventer, avec des visions, les réponses.
*~*~* |
A través de los años,
el color
de manera cambiante
se define; se buscan sus misterios
y leyes, sus medidas, sus demoras
y en parte sus fracasos.
Variables son los ojos que lo miran,
las gradación de veladuras, nombres,
distancias. Tensa es la actitud, es frágil
el juicio del que ansía lo real,
de quien se atreve incluso
a inventar, como en sueños, las respuestas.
*~*~* |
La couleur ne s’inquiète pas du regard;
elle est enfermée et présente
dans son retrait, dans son espace de silence,
dans sa source secrète d’air.
Et le regard reste présent
glissant à la surface de la couleur,
dans l’inconnu
d’un frôlement, dans l’abîme lisse
de murs insaisissables.
*~*~* |
No se inquieta el color con la mirada;
permanece encerrado y manifiesto
en su retiro, en su despliegue mudo,
en su latencia de burbuja igual.
Y la mirada permanece fija
sobre su superficie resbalando,
sin el conocimiento
de la caricia, en un abismo liso
de inasibles paredes.
*~*~* |
Avec le temps, la couleur
peut être l’évidence
où repose le rien ou terre
alluviale, oubli
de l’origine. Et les yeux de la couleur
sont toujours incertains, peut-être
est-il impossible de voir
si ce sont les mêmes yeux, ou le travail
de l’affouillement, de l’abandon, de l’eau
somnambule de l’image, avec le temps.
*~*~* |
A través de los años,
el color
puede ser la fijeza
que es sostén de la nada, o territorio
aluvial, desmemoria
de origen. Y los ojos que lo miran
siguen siendo variables, o quizá
no es posible saber
si son los mismos ojos, o un proceso
de erosiones, de arrastres, de sonámbulas
aguas de espejo, a través de los años.
*~*~* |
La branche sous le regard,
nue, comme dans l’arbre,
le vent la fait osciller
de haut en bas avec le vent,
elle cingle avec le vent, mystérieuse
vue du sous –sol,
au bas de l’escalier.
*~*~* |
La rama en el ojo,
como en el árbol, desnuda,
que el viento bambolea.
Sube y baja con el viento,
azota, misteriosamente
se la ve desde un sótano,
al pie de una escalera.
*~*~* |
Les matins de peu de lumière
la branche, sans contraste, reste
comme l’ombre, là en bas,
nous obligeant à lever les yeux,
à chercher en quelque lieu caché
l’éclat de la couleur.
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En las mañanas de poca luz
la rama, sin contraste, queda
como sombra, ahí abajo,
obligando a levantar los ojos,
buscar en alguna parte negada
la nitidez del color.
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Bio-bibliographie
de Miguel CASADO |
Miguel Casado est né en 1954 à Valladolid
, en Espagne. Il vit actuellement à Toledo. Poète.
Critique littéraire (Diario 16, Espacio/Espaço Escrito,
Insula, El Pais, Revista de Occidente, Vuelta...). A fait partie
du comité de rédaction de la revue El Signo del
gorrion. Il co-dirige la revue Los Infolios avec Olvido Garcia
Valdés. Traducteur (Francis Ponge, Arthur Rimbaud, Paul
Verlaine)…Editions critiques de livres d’Antonio Gamoneda,
Vicente Nunez, José Miguel Ullan… Prix Hiperion 1987.
Parmi ses livres de poésie:
- Invernales. - Alcala la Real: Ayntamiento, 1985
- La Condicion del pasajero. - Valladolid: Ed. Portuguesas, 1986
- Inventario. - Madrid: Hyperion, 1987
- Falso movimiento. - Madrid: Catedra, 1993
- Para una teoria del color. - Oviedo: Gijon: Nomadas, 1995
- La Mujer automatica. - Madrid: Catedra, 1996
- Tienda de fieltro. – Barcelona : DVD, 2004
Et ses livres de critiques :
- Del caminar sobre hielo . – Madrid : Antonio Machado Libros,
2001
- La Poesía como pensamiento. – Madrid : Huerga &
Fierro, 2003
Vient de paraître (juin 2006)
le livre "Théorie de la couleur" aux éditions
Propos2, traduction et préface de Jean Gabriel Cosculluela,
accompagnement graphique de Claire Dumon teil. Les textes de Théorie
de la couleur sont extraits des livres suivants: Invernales,
La Condicion del pasajero, Inventario, La
Casa en derribo, Falso movimiento, Para una
teoria del color, la Mujer automatica, Tienda
de fieltro ... Outre les extraits publiés sur ce site,
vous pouvez voir d'autres extraits sur www.maulpoix.net.
Certains textes de ce livre ont paru dans la revue Le Nouveau
Recueil n° 77 (2005).
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