Entretien avec Cécile Odartchenko, par
Cécile Guivarch
Une question classique pour
commencer, mais quand et comment est née la maison d’éditions
Les Vanneaux ?
En Picardie, je faisais partie d'une
association des écrivains de Picardie créée par
Roger Wallet alors directeur du CDDP de l'Oise qui bénéficiait
de la présence dans ses locaux d'une petite imprimerie où
s'imprimaient des ouvrages scolaires. L'idée de commencer à
faire des livres m'est venue à cause de mon frère Paul,
poète aussi, qui m'avait envoyé des poèmes que
j'avais aimés pour que je les imprime avec mon imprimante pour
en faire des cadeaux de Noël, ce que je faisais déjà
régulièrement avec les miens. J'ai trouvé que son
recueil méritait mieux, j'ai cherché un éditeur
sympa dans mon entourage, j'ai pensé à Gérard Fournaison
qui a été éditeur avec des livres jolis, faits
à la main, façon chinoise (ficelle. Gérard a aimé
les poèmes et après plusieurs mois de réflexions
et plusieurs lectures (il a toujours été très lent)
il allait faire le livre mais a eu une embolie cérébrale
et patatras. Je trouvais que mon frère adoré avait déjà
trop attendu et me suis décidée à créer
une petite collection pour lui. Afin que ça ressemble à
quelque chose, j'ai pensé qu'il fallait au moins trois livres
pour débuter, j'avais Roger Wallet et Jean-Louis Rambour sous
le coude… Ensuite ça a beaucoup plu, (le concept de couverture
et le design des petits vanneaux), Butor en a tout de suite voulu un,
et d'autres, ça a "pris" très vite…
Qu’est-ce que vous aviez envie alors de mettre en avant
? Quelle poésie voulez vous défendre ?
J'ai rencontré très vite Pierre Garnier, très grand
poète Picard, et qui tout au long de sa vie célèbre
le monde, la nature, l'amour, poésie illuminée, illuminante
où il est question des ciels d'or des églises byzantines…
La grande émotion que j'ai eue en le découvrant perdure,
elle est venue à la rencontre de ma propre nature, qui veut à
tout prix "célébrer". C'est cela que je privilégie…
Un certain lyrisme moderne, celui dont Emaz parle dans des entretiens
avec Matthieu Gosztola, celui de Jean-Paul Klée qui célèbre
son bonheur d'aimer Olivier Larizza, celui de Lambert Schlechter qui
célèbre la jeune femme qu'il adore et tous les brins d'herbes,
ou les fleurs, celui de Louis François Delisse… Recevant
beaucoup de manuscrits je suis de plus en plus réticente à
publier les dépressifs…
Est-ce les manuscrits qui viennent à vous ou est-ce que
vous sollicitez parfois des auteurs ?
Les manuscrits viennent à moi, par la poste, et miracle, il arrive
que je sois très touchée, mais c'est rare. Les rencontres
surtout c'est très important !
La maison contient plusieurs collections, qu’est-ce qui les a
provoqué ?
Au début, la collection "Petits
vanneaux" c'était mon idée, puis Thierry Chauveau
qui a maintenant sa propre maison d'édition "L'herbe
qui tremble" a contribué et j'ai voulu laisser carte
blanche à sa créativité, il a créé
la collection de L'abreuvoir, ensemble nous avons eu l'idée
de créer la collection "Présence de la poésie"
qui marche très bien, mais lors du départ de Thierry Chauveau
il est apparu qu'il fallait changer la maquette et c'est Frédéric
Loeb (éditeur d'art dans une autre vie) qui s'en est chargé.
Il a beaucoup de goût et a aussi créé la maquette
"neige" qui est très simple et très
jolie, puis les "beaux" livres… Chronique de la
nature civilisée de Pierre Garnier, La forêt de
Pierre Garnier… Le travail avec une excellente imprimerie et avec
Frédéric Loeb, me pousse à faire des livres de
plus en plus beaux… Je crois que c'est nécessaire à
l'heure de la lecture sur liseuses et des éditions très
bas de gamme réalisées à l'étranger…
On croit faire des économies, mais les lecteurs de poésie
font la différence, ils sont exigeants, je vois ça sur
les marchés, TOUS les lecteurs vont vers le beau livre, d'abord…
Pierre Garnier a édité beaucoup de recueil chez
vous, je suppose quelque chose dans son écriture qui vous attache
?
Oui, j'ai déjà répondu à cette question.
Mais je peux ajouter que la lumière que dégage la poésie
de Pierre Garnier ne baisse jamais, elle est même de plus en plus
intense… Son livre en préparation s'intitule "La
merveilleuse lune…" C'est pure lumière…
Quels sont vos meilleurs souvenirs dans l’édition
?
Je suis arrivée en 2006 au marché de la poésie
avec six livres sur une petite table à roulette (pour la télévision)
table en métal… J'avais le livre de Pierre Garnier "
Heureux les oiseaux, ils vont avec la lumière". Arlette
Albert-Birot est passée, je lui ai offert le livre et elle est
partie en le brandissant et en chantant: "Un nouveau livre
de Pierre Garnier, un nouveau livre de Pierre Garnier…"
Elle a beaucoup soutenu l'aide du CNL pour l'édition de ses oeuvres
complètes et aussi pour qu'on m'accorde un stand..
Et les pires ?
L'édition d'un recueil pour un poète d'origine africaine,
qui m'a insultée tous les soirs, je devais tenir le téléphone
à distance, puis ne m'a jamais payé 100 livres qu'il a
pris… Je regrette beaucoup cette malhonnêteté et
le goût amer que cela laisse… J'avais fait son livre sans
subvention…
On dit que le secteur de l’édition n’est
pas toujours facile, pouvez vous nous en dire un peu plus ?
Oui, difficile car il y a de moins en moins de lecteurs de poésie,
les libraires sont de plus en plus réticents, ils sont submergés
par la rotation des romans, pas de place sur leurs étagères,
les loyers de plus en plus chers… même La Hune déménage
pour céder la place à Vuitton… Les fringues et le
marché du luxe envahit tout… Le profit d'abord… Du
coup les diffuseurs ne suivent pas non plus. Le grand problème
c'est la diffusion. Je ne peux malheureusement pas aller démarcher
les libraires comme certains… Cheyne, par exemple… Mais
ça va s'arranger, j'ai enfin trouvé un diffuseur compatible
avec mon profil ! Un cadeau des dieux !
La collection « présence de la poésie
», je crois comprendre que vous souhaitez l’élargir
encore, vous pensez à des auteurs en particulier ?
Chaque année, les auteurs se
présentent pour cette collection, je n'ai pas besoin d'aller
les chercher..
La collection a été identifiée comme ayant véritablement
pris la suite de la collection "Poètes d'aujourd'hui "
de Seghers (Article de Joubert dans la quinzaine littéraire)
J'ai en préparation: Ivar Ch'Vavar, Emaz, James Sacré,
Pascal Commère…
D’ailleurs peut-être pouvez vous nous en parler
un peu plus de cette collection, de mon côté je la trouve
vraiment intéressante.
Mon souci a été d'introduire
des auteurs par des présentations/préfaces fouillées
qui contribuent à élargir le public des lecteurs et des
jeunes lecteurs en particulier… Il fallait de jeunes auteurs très
concernés pour les préfaces… Laurent Albarracin
m'a donné deux "présences" Louis François
Delisse et Pierre Peuchmaurd, son travail est vibrant, scintillant,
Matthieu Gosztola m'a donné Ariane Dreyfus et travaille actuellement
sur Emaz… Huglo,est très familier de Serge Wellens et de
Jean Rousselot dont il saisit le journal depuis plusieurs années,
Pierre Dhainaut a été ami très proche de Jean Malrieu…
En règle générale, ce n'est jamais un travail d'universitaires
mais un "cadeau" de poètes à un poète
privilégié… Cela se sent naturellement que la collection
est portée par l'amour...
Carnets nomades, petits vanneaux bilingues… un attrait pour le
monde, les voix étrangères ?
Les carnets nomades sont nés
d'une rencontre avec le dessin de David Hébert, plume frémissante,
vivante, très poétique… Des auteurs me proposaient
des textes sur des lieux qu'ils aimaient,j'ai demandé à
David Hébert s'il était disposé à aller
à Venise, il a dit oui, et ça s'enchaîne, il y a
plusieurs poètes qui attendent leur "carnet"…
J'espère dans deux ou trois ans aller à Saint Malo avec
une belle collection… Cette collection est portée par le
dessin de David Hébert que je privilégie à toute
autre proposition… C'est SA collection.
La collection bilingue, c'est une question
de rencontres… Elle s'étoffe petit à petit! Rüdiger
Fisher, merveilleux homme et traducteur, éditeur, et qui est
malheureusement très malade, a eu beaucoup de mal avec son magnifique
travail.. Il ne vendait pas assez… Michel Volkovitch, dont la
vie a été consacrée à la poésie grecque,
sait aussi que les lecteurs sont trop rares… La collection marche
mieux dans les pays d'origine des poètes concernés qu'ici…
Si vous deviez recommander un livre en particulier, ce serait
lequel ?
Un livre de Pierre Garnier !
Quels sont vos projets, les prochains ouvrages à paraître
?
Beaucoup de livres en chantier.
Les "Présences" déjà cités.
Ivar Ch'Vavar
Emaz
James Sacré
Pascal Commère
La Lumineuse lune de Pierre
Garnier
Le caret ,d'Ivar Ch'Vavar
La rencontre avec Lucian Freud de Matthieu Gosztola
Deux ouvrages, un roman et un recueil de poèmes de Sophie Bernard
Un recueil de poèmes d'Isabelle Lévesque
Le volume 4 des oeuvres complètes
de Pierre Garnier
Quatre carnets nomades: (répartis
sur deux ans)
L'Aquila de Jean Portante
La Toscane de Lambert Schlechter
L'Ile d'Ouessant de Jeanine Baude
Le port d'Anvers de Werner Lambersy
La
fiche de la maison d'édition Les Vanneaux