Entretien avec Silvaine Arabo, par Cécile
Guivarch
1 - Comment les éditions
de l'Atlantique sont-elles nées ?
Elle a été un prolongement d’activités antérieures
au service de la poésie : un site internet, créé
en 1997, présentant les textes et bio-biblios d’une centaine
de poètes; une revue, initiée en 2001, Saraswati
(revue de poésie, d’art et de réflexion), etc. La
suite logique de tous ces travaux débouchait très naturellement
sur l’édition papier.
2 – Je me souviens avoir
passé de longues heures sur votre site internet, au début
des années 2000, époque où j’ai commencé
à lire de la poésie. C’était une mine d’or
pour moi. Est-ce que la maison d’édition vous la voyiez
comme une suite à ce site, quelque chose en partage ?
J’ai répondu ci-dessus à la question. Vous faites
bien de souligner la notion de partage car elle est essentielle. Ce
site avait un but largement pédagogique : il voulait bien évidemment
mettre en lumière des auteur(e)s de qualité mais aussi
sensibiliser à la poésie en tant que telle… et il
semble bien qu’en ce qui vous concerne ce soit ce qui s’est
passé. Il serait intéressant de mesurer son impact exact
sur des années, ceci n’est guère possible malheureusement.
A ce propos, j'aimerais signaler que ce site, créé en
1997 sur un espace gratuit et "neutre", est aujourd'hui hélas
gangrené par divers encarts publicitaires qui empêchent
une lecture sereine des différentes rubriques et poètes.
Quel gâchis !
3 – Qu’est-ce que
vous aviez envie de partager alors, quelle poésie souhaitiez-vous
défendre ?
Je souhaitais défendre avant tout des écritures.
A aucun moment je n’ai voulu entrer dans des querelles de chapelle
qui me semblent stériles : ainsi l’éternelle querelle
entre poésie lyrique et poésie impersonnelle par exemple.
Je le dis souvent : la poésie est comme Protée : elle
a mille visages et tant mieux ! Ce qui compte c’est la qualité
de l’écriture, ce ne sont même pas les thématiques
(là encore : les anti-spiritualistes contre les spiritualistes,
etc.). Tout le monde a le droit d’exprimer ses idées même
si c’est de plus en plus dur dans cette époque inquisitoriale
où règne la pensée unique. Mais ce qui va distinguer
le vrai poète, à mon sens, ce ne sont pas ses idées
(tout a déjà été dit), ses sensations (id.),
c’est la manière dont il va les mettre en mots (rappelez-vous
la phrase de Chateaubriand : le style c’est l’homme).
Et j’ai essayé de défendre une poésie de
qualité, avec des auteur(e)s très divers.
4 – Je sais que vous arrêtez
aujourd’hui l’édition, est-ce que vous souhaitez
révéler ce qui vous a amené à cette décision
?
Cela ne me gêne pas d’en parler en tous cas : quand l’état
subventionnera un peu moins le sport et un peu plus la culture (ça
viendra peut-être un jour, qui sait, quand les politiques seront
plus courageux et moins démagogues), alors on pourra rouvrir
les petites maisons d’édition qui ferment les unes après
les autres alors qu’elles donnaient une visibilité, modeste
mais une visibilité, à des auteur(e)s de talent qui, on
le sait, n’ont quasiment aucune chance d’être publié(e)s
par de grands éditeurs.
Mais là, imaginez que pendant 5 ans j’ai travaillé
bénévolement, jour et nuit, et que l’éditeur
Samuel Potier, quant à lui, se faisait chaque mois en net (une
fois ses lourdes charges payées) environ 300 euros ! Il ne pouvait
continuer ainsi : avec une si petite somme on ne peut subvenir à
ses besoins les plus élémentaires.
Quant à moi, il m’arrivait de donner un coup de pouce financier
aux éditions mais je n’ai pas non plus énormément
par mois… de plus je suis très fatiguée et ces éditions
étaient véritablement vampiriques de notre énergie.
Nous avons donc décidé, la mort dans l'âme, de fermer
cette maison que nous avions construite amoureusement et pierre à
pierre.
5 - Je pense que l’aventure
de l’édition doit être quelque chose de formidable.
Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
Ils sont de deux sortes :
- Le bonheur de découvrir et de mettre en lumière (donc
d’encourager à une poursuite de l’écriture)
des poètes méconnus ou peu connus.
- La qualité du rapport humain avec un certain nombre d’auteur(e)s
: des gens souvent modestes malgré leur talent, se remettant
en question et comprenant que, si l’éditeur est de son
plein gré à leur service, il n’est pas pour autant
leur esclave, taillable et corvéable à merci ! Nous avons
connu des personnes sincères, réellement sensibles, dont
la poésie était vraiment signifiante, incarnait une véritable
ascèse et pas juste une "facilité" qu’on
exploite pour se faire valoir dans la société.
6 – Peut-être que
ce n’est pas toujours très simple non plus. Quel est votre
pire souvenir ?
Le contact avec les poètes dont l’ego est si surdimensionné
et qui pensent que leur écriture est tellement oh…
que tout le monde doit les admirer et les servir avec des chaînes.
Ce sont les mêmes à qui tout est dû et dont l'arrogance,
voire la goujaterie, vous laissent pantois ! On se pince parfois...
Tout cela est bien loin de la poésie.
D’autres n’ont pas cherché à établir
avec nous une quelconque relation humaine : nous étions pour
eux juste des "utilités". C'est dommage. On retrouve
chez les poètes toute la société, ni plus ni moins.
Il faut "faire avec" et essayer de voir en toute chose ce
qu’il peut y avoir de positif… sinon on ne ferait jamais
rien. C’est pour la poésie que nous avons tant travaillé
et nous ne le regrettons pas.
7 – Une dernière
question : vous arrêtez l’édition, vous avez de nouveaux
projets ?
Oui : ma revue Saraswati va, quant à elle, poursuivre
sa route (le numéro 12 va paraître en principe courant
avril) et je vais enfin retrouver mon rapport perso à l’écriture
et à la peinture. Un peu de repos et de distanciation ne fera
pas de mal.