Quelques lectures, mais pas autant que j’aurais
voulu (c’est ce qui arrive quand on fait la marmotte l’été).
Coup de cœur pour Les visages s’effacent
de Philippe Païni paru aux éditions Potentille.
Trois ensembles composent ce recueil, chacun d’eux est écrit
à une date différente, entre 2004 et 2009, et dans des
villes différentes (Prague, Rome et enfin Kedzierzyn, Auschwitz,
Cracovie). Il s’agit de villes, de vies, d’histoire, de
mort et de vie à nouveau.
une ville n’est / jamais finie sous
nos pas ses pavés / vivent notre histoire que chaque pas / recommence
Au départ, on pourrait croire lire les sensations de celui qui
marche dans une ville, regarde les gens, «les femmes
qui viennent de faire l’amour», les lumières
que donne le soleil sur la ville, la vie qui passe avec l’air,
le vent qui ouvre « d’autres visages dans les nôtres
». Mais il y a les morts, même si la ville «semble
respirer », car une ville c’est aussi l’histoire,
le temps et parfois l’horreur que l’on peut ressentir en
se promenant par exemple à Auschwitz. Car il est vrai «
le monde ne tourne pas rond ». Pourtant « la
vie est toujours pleine de vie ».
ici
maintenant
toutes les langues
on fait la queue devant les latrines
la vie se vide mais la vie
est toujours pleine de vie
comme hier toutes les langues
elles ne parlent pas
car dans chaque langue un homme se réveille
du cauchemar
et casse la langue en deux
comme du bois sec
un morceau pour les morts
un morceau pour les mots
le bruit du craquement pour les vivants.

Puis, le dernier livre de Fabienne Courtade aux éditions
Flammarion poésie, Le
même geste. Il semble que Fabienne Courtade a puisé
à la lisière entre le monde réel, celui de la vie,
empli de bruits et de silences, et le monde des morts ou de ceux qui
ne le sont pas encore. Il s’agit là d’un long poème,
ou plutôt d'un récit qui progresse en faisant varier les
mots, les couleurs, les personnes. Revient souvent par exemple la couleur
bleue mais avec des variantes, des significations différentes.
Il y a des chambres également, qui sont peut-être celles
de l’attente, et de l’imaginaire. Il y a de la gravité
dans ces chambres, parfois on y cherche un souffle, une respiration.
Les mains se posent sur les visages, sur les corps. Il y a des recueillements
et parfois des gestes à accomplir et des fleurs. Pourtant, tout
au long du récit, « les arbres ont continué
à pousser », il y a le dehors, les bruits de la rue,
les fenêtres avec le bleu du ciel et la lumière extérieure.
Une lecture qui m’a touchée au plus profond.
L’air manque sans cesse
Mais le mouvement de l’eau
dans la bouche continue
grande ouverte
entrée principale
avec la couleur
rouge
celle que j’ai imaginée
est d’une grande beauté
est celle que nous inventons
A
lire et à relire : Les travaux de l’infime, de
Jacques Ancet, aux éditions
po&psy. Ce livre nous interroge. Qu’est-ce que l’infime
? Quand peut-on parler d’infime ? L’infime est-il dans chaque
chose, dans la lumière, le silence, les arbres, les ombres, les
visages ? Avec les travaux de l’infime, « on
entre dans ce qu’on ne sait pas », il y a ce que l’on
voit et ce que l’on ne voit pas. « Le vide, on ne le
voit pas mais on le sent partout ». Il y a la lumière
et ce que l'on voit, ce que l’on entend, mais des choses s’effacent.
« Ce qu’on cherche, n’est pas tout ce qu’on
trouve », « on a cru voir mais on n’a rien
vu ». Une poésie toute en contradiction qui ne donne
jamais vraiment la réponse « on a beau voir, on ne
peut pas voir ».
On a beau voir, on ne peut pas voir.
On ferme les yeux : on voit quand même :
les choses très vite, comme en négatif.
puis les couleurs, un brouillard
lumineux. Quand on les ouvre
ce qu’on voit ressemble à ce qu’on ne voit pas.
Le ciel casse – la montagne tombe.
Après l’infime, viennent D’infinis
petits riens de François-Xavier Farine aux éditions
Gros Textes.
Il s’agit là de la première publication de l’auteur
qui se dit alors « le plus vieux des jeunes poètes
». Ces petits riens ont été écrits il y a
déjà dix années, mais François-Xavier Farine
a mis du temps à se décider à les faire publier.
Mieux vaut tard que jamais, et le jamais aurait été bien
dommage. L’une des originalités de ces petits riens, ces
écrits du quotidien, réside dans le titre, en gras et
parfois en plein milieu d’un texte. Le poète dans son quotidien,
souvent en vélo, nous fait découvrir sa ville, sa maison,
sa vie de tous les jours avec le temps qu’il fait, gros nuage
ou beau soleil. Puis il y sème par-ci par là des références
aux livres qu’il lit, aux auteurs qu’il aime. De juin 2002
à septembre 2003, traversant une année et les quatre saisons,
l’auteur évoque l’ouvrier municipal, le métro,
la caserne des pompiers, tout comme le rire de sa compagne, une soirée
chez un ami, sa grand-mère ou des faits de société.
C’est aussi un éloge à la terre, à la vie
qui passe, sur un ton fluide, nullement prétentieux, à
l’image de François-Xavier Farine.
Décidément,
j’aime cette Terre ;
le grand ciel d’eau claire,
ce matin, où le soleil rayonne, se gonfle
et rit à pleins poumons ;
même piqué par le froid, le bruit des marteaux-piqueurs
même
me fait tressauter de joie !
et les nuages qui partent en fumée
me font signe aussi
de m’arrêter…
Surtout depuis que tu es à mes côtés,
j’ai le temps ;
avec toi je partage le spectacle du monde
Sous mes paupières il se mélange souvent
aux couleurs de tes baisers
il s’en émeut
Tu sais bien que le monde depuis
a fière allure !
Beaucoup d’émotions en lisant Visage vive de Matthieu
Gosztola aux éditions Gros
Textes. « Il faisait un froid terrible dans le visage
de cet enfant-là ». Un enfant, un visage. Un enfant
qui n’a jamais vu la mer là où d’autres retournent
de la plage avec maillot de bain, serviette et tongs. Un enfant qui
vit et puis qu’on enterre « personne n’est venu
» « ni les fleurs ». Mais le visage demeure
dans le souvenir du poète « je te garde toujours avec
moi lorsque j’écris ». Par petites touches pleines
de sensibilité, le poème se succède, forme un récit.
C’est un livre de deuil où il est question de douleur,
pas seulement la douleur de celui qui reste mais aussi celle de celui
qui est parti, un enfant. Mais finalement, l’enfant n’est
pas tout à fait mort, il reste son fantôme et celui qui
lui raconte des histoires, lui chante des comptines et le rassure quand
il a fait un cauchemar. Il est question de visage aussi. Car le visage
ne s’efface pas, celui du disparu se superpose jusque dans le
visage de celui qui le pleure. Le « visage » reste
comme une douleur « vive ».
Ton
visage reste
Sans lendemain
Des inconnus ont envoyé des
Fleurs
Tu ne les aimais pas tu préférais les
Papillons
Les déshabiller de l’image que tu te
Faisais d’eux
En les regardant voleter autour des
Fleurs
Beau livre que Les chaussettes de l’âme
de Guillaume
Siaudeau, avec des illustrations de Magali
Planès, aux éditions
h’Artpon. Par petites touches, petits poèmes de quelques
vers, on entre dans le monde de Guillaume Siaudeau. Un monde où
l’on côtoie aussi bien les grenouilles, que le ciel, la
terre, les femmes etc. Avec des titres tels que : Brouiller les
pistes, Grenouilles et nénuphars, Joue de terre,
Amourette de cuisine, Séquestration de sommeil,
Devenir bredouille, Deux pots de yaourt, A poil
sur la banquise, Rien à signaler, Descente
en rappel, Cerise sur le gâteau, etc, etc. Finesse,
humour et même sensualité rendent la lecture agréable.
Parfois on pense à Brautigan, d’autres fois à Armand
le poète. Chaque poème est une pépite et nous étonne.
Bref, beau cocktail, sans oublier les illustrations qui sont originales
et puis l’objet en lui-même, trois livrets de 12 pages positionnés
dans une pochette et entourés d’une affiche dépliante
réalisée sur papier Elementa opaque 50g.
Bouts
de verre
Sous les paupières
Collantes du ciel
Les étoiles sont comme
Des bouts de verre
Qui font chialer
Les yeux de la nuit
Premiers pas
Des années plus tard
Entre deux conquêtes
Elle avoua que mes doigts
Avaient été les premiers
A marcher
Sur sa lune
Enfin,
le dernier numéro de la revue
303 : Ecrivain... Et à part ça, vous
faites quoi ? Numéro sous la direction éditoriale
d'Eric Pessan. 303 est une revue financée par la région
Pays de la Loire et est vouée aux arts, recherches et créations.
Eric Pessan a fait appel ici aux écrivains de la région
avec entretiens, carnets, journaux... Très beau numéro,
très belle revue agrémentée de photos d'écrivains
au travail, de photos de leurs carnets d'écriture. Avec des entretiens
De l'allégresse en littérature
avec Pierre Michon, Jean-Claude Pinson. Aimer les lettres
pour oublier les chiffres avec Cathie Barreau, Patrick
Chatelier, Sylvain Coher, Jacques-François Piquet et Sylvain
Renard. Des écrivains au travail :
Pierre Bordage, Albane Gellé, Martin Page, Laurence Werner-David,
Sébastien Brebel, Antoine Emaz, Ophélie Jaësan, Sophie
G. Lucas, Eric Pessan, Isabelle Pinçon, Martin Winckler et puis
des Chroniques : Jean-Louis Bailly, Cathieu Barreau,
Bernard Bretonnière, Eric Chevillard, Cécile Guivarch,
Gérard Lambert-Ullmann, Yaël Pachet, Emmanuel Rabu, Danielle
Robert-Guédon et Laurence Vilaine. Que de monde écrivant
dans les Pays de la Loire ! Quelle richesse !
La scène se déroule au cours d’une
soirée ou d’un week-end chez des amis, lors d’une
réunion quelconque – parents d’élèves,
riverains, club sportif –, ou bien au guichet d’une administration.
Une question vous est posée : « Quel est votre métier
? »
Il faut répondre. Mais quoi ?
« Je suis écrivain » paraît prétentieux.
« Je suis auteur » est encore pire. « Je fais des
livres » laisse planer le doute : on pourrait être imprimeur,
éditeur, ou faire de la mise en page. « J’écris
» est plus neutre mais très imprécis : les journalistes,
comme les rédacteurs de prospectus publicitaires, écrivent.
Il faut se lancer, expliquer vraiment, faire comprendre qu’il
s’agit de littérature, que l’on écrit des
poèmes, des nouvelles, des romans, des pièces de théâtre,
des essais ou des textes pour les enfants. Un instant de flottement
; votre interlocuteur répondra qu’il n’a pas le temps
de lire autant qu’il le voudrait, et il y a fort à parier
que juste après, une autre question surviendra : « Et à
part ça, vous faites quoi dans la vie ? »
La suite au prochain numéro, je pense à Celle
de Chantal Dupuy-Dunier, Ce qui, la nuit d'Emeric de Monteynard,
De loin vos silhouettes et Province ferroviaire de
Romain Fustier, exangue de Lou Raoul, A défaut de
miracle de Geneviève Peigné, Nous valsons
d'Albane Gellé, fragments 2 de Luc-André Rey,
La huppe de Virginia de Sylvie Durbec... Promis, avec toute
cette provision de noisettes, je ne vais pas passer mon temps à
ronfler cet hiver !
Cécile Guivarch ~ Novembre
2012