TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

L'arbre à parole ~ Hep ! Lectures fraîches !
(novembre 2012)

 

Retour à l'arbre à parole

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 


Quelques lectures, mais pas autant que j’aurais voulu (c’est ce qui arrive quand on fait la marmotte l’été).

Coup de cœur pour Les visages s’effacent de Philippe Païni paru aux éditions Potentille. Trois ensembles composent ce recueil, chacun d’eux est écrit à une date différente, entre 2004 et 2009, et dans des villes différentes (Prague, Rome et enfin Kedzierzyn, Auschwitz, Cracovie). Il s’agit de villes, de vies, d’histoire, de mort et de vie à nouveau.
une ville n’est / jamais finie sous nos pas ses pavés / vivent notre histoire que chaque pas / recommence
Au départ, on pourrait croire lire les sensations de celui qui marche dans une ville, regarde les gens, «les femmes qui viennent de faire l’amour», les lumières que donne le soleil sur la ville, la vie qui passe avec l’air, le vent qui ouvre « d’autres visages dans les nôtres ». Mais il y a les morts, même si la ville «semble respirer », car une ville c’est aussi l’histoire, le temps et parfois l’horreur que l’on peut ressentir en se promenant par exemple à Auschwitz. Car il est vrai « le monde ne tourne pas rond ». Pourtant « la vie est toujours pleine de vie ».

ici maintenant
toutes les langues
on fait la queue devant les latrines
la vie se vide mais la vie
est toujours pleine de vie

comme hier toutes les langues
elles ne parlent pas
car dans chaque langue un homme se réveille
du cauchemar
et casse la langue en deux
comme du bois sec
un morceau pour les morts
un morceau pour les mots
le bruit du craquement pour les vivants.


 

 

Puis, le dernier livre de Fabienne Courtade aux éditions Flammarion poésie, Le même geste. Il semble que Fabienne Courtade a puisé à la lisière entre le monde réel, celui de la vie, empli de bruits et de silences, et le monde des morts ou de ceux qui ne le sont pas encore. Il s’agit là d’un long poème, ou plutôt d'un récit qui progresse en faisant varier les mots, les couleurs, les personnes. Revient souvent par exemple la couleur bleue mais avec des variantes, des significations différentes. Il y a des chambres également, qui sont peut-être celles de l’attente, et de l’imaginaire. Il y a de la gravité dans ces chambres, parfois on y cherche un souffle, une respiration. Les mains se posent sur les visages, sur les corps. Il y a des recueillements et parfois des gestes à accomplir et des fleurs. Pourtant, tout au long du récit, « les arbres ont continué à pousser », il y a le dehors, les bruits de la rue, les fenêtres avec le bleu du ciel et la lumière extérieure. Une lecture qui m’a touchée au plus profond.

 

L’air manque sans cesse

Mais le mouvement de l’eau
dans la bouche continue

grande ouverte

entrée principale

avec la couleur
rouge

celle que j’ai imaginée


est d’une grande beauté

est celle que nous inventons

A lire et à relire : Les travaux de l’infime, de Jacques Ancet, aux éditions po&psy. Ce livre nous interroge. Qu’est-ce que l’infime ? Quand peut-on parler d’infime ? L’infime est-il dans chaque chose, dans la lumière, le silence, les arbres, les ombres, les visages ? Avec les travaux de l’infime, « on entre dans ce qu’on ne sait pas », il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. « Le vide, on ne le voit pas mais on le sent partout ». Il y a la lumière et ce que l'on voit, ce que l’on entend, mais des choses s’effacent. « Ce qu’on cherche, n’est pas tout ce qu’on trouve », « on a cru voir mais on n’a rien vu ». Une poésie toute en contradiction qui ne donne jamais vraiment la réponse « on a beau voir, on ne peut pas voir ».

On a beau voir, on ne peut pas voir.
On ferme les yeux : on voit quand même :
les choses très vite, comme en négatif.
puis les couleurs, un brouillard
lumineux. Quand on les ouvre
ce qu’on voit ressemble à ce qu’on ne voit pas.
Le ciel casse – la montagne tombe.

 

 

Après l’infime, viennent D’infinis petits riens de François-Xavier Farine aux éditions Gros Textes. Il s’agit là de la première publication de l’auteur qui se dit alors « le plus vieux des jeunes poètes ». Ces petits riens ont été écrits il y a déjà dix années, mais François-Xavier Farine a mis du temps à se décider à les faire publier. Mieux vaut tard que jamais, et le jamais aurait été bien dommage. L’une des originalités de ces petits riens, ces écrits du quotidien, réside dans le titre, en gras et parfois en plein milieu d’un texte. Le poète dans son quotidien, souvent en vélo, nous fait découvrir sa ville, sa maison, sa vie de tous les jours avec le temps qu’il fait, gros nuage ou beau soleil. Puis il y sème par-ci par là des références aux livres qu’il lit, aux auteurs qu’il aime. De juin 2002 à septembre 2003, traversant une année et les quatre saisons, l’auteur évoque l’ouvrier municipal, le métro, la caserne des pompiers, tout comme le rire de sa compagne, une soirée chez un ami, sa grand-mère ou des faits de société. C’est aussi un éloge à la terre, à la vie qui passe, sur un ton fluide, nullement prétentieux, à l’image de François-Xavier Farine.

Décidément, j’aime cette Terre ;
le grand ciel d’eau claire,
ce matin, où le soleil rayonne, se gonfle
et rit à pleins poumons ;
même piqué par le froid, le bruit des marteaux-piqueurs
même
me fait tressauter de joie !
et les nuages qui partent en fumée
me font signe aussi
de m’arrêter…
Surtout depuis que tu es à mes côtés,
j’ai le temps ;
avec toi je partage le spectacle du monde
Sous mes paupières il se mélange souvent
aux couleurs de tes baisers
il s’en émeut
Tu sais bien que le monde depuis
a fière allure !


Beaucoup d’émotions en lisant Visage vive de Matthieu Gosztola aux éditions Gros Textes. « Il faisait un froid terrible dans le visage de cet enfant-là ». Un enfant, un visage. Un enfant qui n’a jamais vu la mer là où d’autres retournent de la plage avec maillot de bain, serviette et tongs. Un enfant qui vit et puis qu’on enterre « personne n’est venu » « ni les fleurs ». Mais le visage demeure dans le souvenir du poète « je te garde toujours avec moi lorsque j’écris ». Par petites touches pleines de sensibilité, le poème se succède, forme un récit. C’est un livre de deuil où il est question de douleur, pas seulement la douleur de celui qui reste mais aussi celle de celui qui est parti, un enfant. Mais finalement, l’enfant n’est pas tout à fait mort, il reste son fantôme et celui qui lui raconte des histoires, lui chante des comptines et le rassure quand il a fait un cauchemar. Il est question de visage aussi. Car le visage ne s’efface pas, celui du disparu se superpose jusque dans le visage de celui qui le pleure. Le « visage » reste comme une douleur « vive ».

Ton visage reste
Sans lendemain

Des inconnus ont envoyé des
Fleurs
Tu ne les aimais pas tu préférais les
Papillons
Les déshabiller de l’image que tu te
Faisais d’eux
En les regardant voleter autour des
Fleurs


 

 

 

 

Beau livre que Les chaussettes de l’âme de Guillaume Siaudeau, avec des illustrations de Magali Planès, aux éditions h’Artpon. Par petites touches, petits poèmes de quelques vers, on entre dans le monde de Guillaume Siaudeau. Un monde où l’on côtoie aussi bien les grenouilles, que le ciel, la terre, les femmes etc. Avec des titres tels que : Brouiller les pistes, Grenouilles et nénuphars, Joue de terre, Amourette de cuisine, Séquestration de sommeil, Devenir bredouille, Deux pots de yaourt, A poil sur la banquise, Rien à signaler, Descente en rappel, Cerise sur le gâteau, etc, etc. Finesse, humour et même sensualité rendent la lecture agréable. Parfois on pense à Brautigan, d’autres fois à Armand le poète. Chaque poème est une pépite et nous étonne. Bref, beau cocktail, sans oublier les illustrations qui sont originales et puis l’objet en lui-même, trois livrets de 12 pages positionnés dans une pochette et entourés d’une affiche dépliante réalisée sur papier Elementa opaque 50g.


Bouts de verre

Sous les paupières
Collantes du ciel
Les étoiles sont comme
Des bouts de verre
Qui font chialer
Les yeux de la nuit


Premiers pas

Des années plus tard
Entre deux conquêtes
Elle avoua que mes doigts
Avaient été les premiers
A marcher
Sur sa lune

 

Enfin, le dernier numéro de la revue 303 : Ecrivain... Et à part ça, vous faites quoi ? Numéro sous la direction éditoriale d'Eric Pessan. 303 est une revue financée par la région Pays de la Loire et est vouée aux arts, recherches et créations. Eric Pessan a fait appel ici aux écrivains de la région avec entretiens, carnets, journaux... Très beau numéro, très belle revue agrémentée de photos d'écrivains au travail, de photos de leurs carnets d'écriture. Avec des entretiens De l'allégresse en littérature avec Pierre Michon, Jean-Claude Pinson. Aimer les lettres pour oublier les chiffres avec Cathie Barreau, Patrick Chatelier, Sylvain Coher, Jacques-François Piquet et Sylvain Renard. Des écrivains au travail : Pierre Bordage, Albane Gellé, Martin Page, Laurence Werner-David, Sébastien Brebel, Antoine Emaz, Ophélie Jaësan, Sophie G. Lucas, Eric Pessan, Isabelle Pinçon, Martin Winckler et puis des Chroniques : Jean-Louis Bailly, Cathieu Barreau, Bernard Bretonnière, Eric Chevillard, Cécile Guivarch, Gérard Lambert-Ullmann, Yaël Pachet, Emmanuel Rabu, Danielle Robert-Guédon et Laurence Vilaine. Que de monde écrivant dans les Pays de la Loire ! Quelle richesse !

La scène se déroule au cours d’une soirée ou d’un week-end chez des amis, lors d’une réunion quelconque – parents d’élèves, riverains, club sportif –, ou bien au guichet d’une administration. Une question vous est posée : « Quel est votre métier ? »
Il faut répondre. Mais quoi ?
« Je suis écrivain » paraît prétentieux. « Je suis auteur » est encore pire. « Je fais des livres » laisse planer le doute : on pourrait être imprimeur, éditeur, ou faire de la mise en page. « J’écris » est plus neutre mais très imprécis : les journalistes, comme les rédacteurs de prospectus publicitaires, écrivent. Il faut se lancer, expliquer vraiment, faire comprendre qu’il s’agit de littérature, que l’on écrit des poèmes, des nouvelles, des romans, des pièces de théâtre, des essais ou des textes pour les enfants. Un instant de flottement ; votre interlocuteur répondra qu’il n’a pas le temps de lire autant qu’il le voudrait, et il y a fort à parier que juste après, une autre question surviendra : « Et à part ça, vous faites quoi dans la vie ? »


La suite au prochain numéro, je pense à Celle de Chantal Dupuy-Dunier, Ce qui, la nuit d'Emeric de Monteynard, De loin vos silhouettes et Province ferroviaire de Romain Fustier, exangue de Lou Raoul, A défaut de miracle de Geneviève Peigné, Nous valsons d'Albane Gellé, fragments 2 de Luc-André Rey, La huppe de Virginia de Sylvie Durbec... Promis, avec toute cette provision de noisettes, je ne vais pas passer mon temps à ronfler cet hiver !

 

Cécile Guivarch ~ Novembre 2012

 
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