TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui L'arbre à parole |
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Des textes écrits pour Thierry Metz par Jean-Gabriel Cosculluela | |
L’attente de lire et d’écrire le monde immédiat et ses moments irrémédiablement perdus dans l’épiphanie d’un visage, d’une voix et de mains. Un livre est la nécessité d’un retrait,
côte à côte un mot et un silence, puis peu à
peu d’autres ; brûlants, brûlés d’être
seuls entre un visage, une voix et des mains. Un livre. Un « abri de rien ». Un lecteur, un écrivain à l’abri de rien, du froid, comme du feu, du dedans comme du dehors. Un peu de terre au ciel, un peu de ciel à terre,
lire le monde et la mort , les écrire, plier et déplier
un livre. Il lit. Il écrit. Il lit surtout : c’est toujours un commencement, un recommencement dans « la consolation des phrases ». Il égrène chaque mot à l’air libre, autour d’une maison à venir, dans une maison, sur une table. Il égrène encore un mot dans le tremblement ou la brûlure de chaque mot : il pense peut-être que c’est le dernier. En passant de la neige au noir et inversement. Dans la consolation des phrases, l’effet de neige ou de noir. Immédiat. Chaque mot est déplacé et finalement effacé, noir ou neige. Dans sa faim, tout mot est mot du mot. Tout mot reste pauvre sur l’arête d’un autre mot, où écrire est encore lire. Nous, neige ou noir. Lire ou écrire est chaque jour nu, intense, plus nu, plus intense. Un livre, une terre, une demeure, à creuser, habiter
et quitter, un passage, des limites et cependant des ouvertures. Un abandon
sur un seuil ou un ciel. Allumer un mot, un autre mot, et encore, mais sans trop,
le froid et le feu des phrases, avec un dernier souffle. Le mot se tient en retrait, dans la prière, le
tremblement du froid et du feu. Se retrouver dans un mot, seul, un mot brûlant,
brûlé. Un livre borde alors le seul, le sol, le seuil, le ciel. Ecrire ou lire, la terre en soi, et creuser. Un livre emporte quelque chose d’un visage, d’une
voix, des mains, il emporte et retourne l’oubli, il emporte et retourne
le manque. Un livre est seul, après le froid, après
le feu et après la neige ou le noir. Un livre est seul au jour.
Que reste-t-il de l’oubli et du manque ? Et du premier et du dernier
mot ? N’ouvrir le livre que sur ses limites, au bord de
tout, pour qu’il touche l’invisible d’un visage, d’une
voix, l’invisible des mains. Rien d’autre qu’une errance de mots et de lumière.
Il y a toujours une image, un son dans un mot. Il y a
toujours un mot, un son dans une image. Il y a toujours un mot, une image
dans un son. C’est dans un livre. Et c’est toujours maintenant.
A demeure. A passage. Dans le mot, comme dans un silence, la présence finit par être introuvable. Nous, neige ou noir, un secret. Au bord.
En italiques
L'ATTENTION … et nous ne savons rien, nos
jours sur la terre ne sont qu’une ombre. L’écrivain est dans l’approche incessante de la matière, et en premier lieu de la matière terre, de la matière mot, et la terre, le mot ne tiennent pas longtemps dans les yeux, dans les mains. La contemplation laisse nu. Dans cette approche, l’écrivain
s’écarte de toute maîtrise, il se tient et retient
l’attention dans L’écrivain s’abandonne au risque, à
la perte, à la brûlure, au tréfonds de l’être
et de l’autre. Il ne retient rien d’autre que le nu, que le
simple. Il se retire, il rature et mêmement il cisèle la
terre et le mot pour aller à la verticalité de la lumière
(chute et élévation). La lumière haute que composent la terre et le mot n’est jamais dans l’oubli du monde, dans l’oubli du bruit du monde, dans l’oubli du manque. La lumière est intense, ou tente de tenir une intensité. Elle tient et retient l’attention à l’extrême et c’est un soubresaut. L’écrivain pointe et porte alors notre manque
imaginal, notre manque du manque : c’est le manque qui nous vient
à manquer le plus. L’écrivain intensifie la moindre image qui lui reste. Cela revient à naître et à n’être qu’autre. Cela revient, cela retient en bord de terre, en bord de mot. Cela revient, cela retient une vie d’erre, une vie silencieuse, qui nomme minutieusement l’attention, qui la provoque, les couleurs de la vie et de la mort immédiatement nouées. Dans le creux de vivre et de mourir où le livre s’écrit et se lit, la culpabilité de manquer à l’enfance et au monde, de manquer au manque est la plupart du temps présente. Il y a cette touchée immédiate de l’attention,
lorsqu’il écrit et que nous le lisons, absents l’un
à l’autre. Reste la silhouette de l’ homme qui penche, dans le livre où il disparaît. De l’un à l’autre.
Par Jean-Gabriel Cosculluela |
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Thierry Metz dans Terre à ciel des poètes | ||
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