TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Bonnes maisons - Publie.net

 

Publie.net
Présentation
Extrait de Perle jetée au feu de Michaël Glück
Extraits de dormants de Jacques Josse
Extraits de La digue de Ludovic Degroote
Extrait de Toucher terre d'Emmanuelle Pagano
Extrait de travail au drap rouge de Yann Miralles
Extrait de En e Enku ~ Entre la mort de Ricardo Montserrat
Extraits de Cambouis d'Antoine Emaz
Extraits de Coups portés de Cécile Guivarch

Les bonnes maisons

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation


PDF, epub, mobipocket, voilà comment on choisit de télécharger des livres sur publie.net. Maison d'édition essentiellement numérique, fondée en 2008 à l'initiative de François Bon, Publie.net propose, avec plusieurs collections, un grand choix de textes contemporains (récits, poésie, notes, essais...) et participe ainsi à la diffusion de la littérature contemporaine. Le plus de la maison c'est la possibilité de s'abonner pour télécharger à volonté !
De nombreux textes incluent des extraits audio ou des textes/images. et on peut même y lire des textes classiques.
Voici le lien vers le catalogue complet et le blog Tiers Livre de François Bon source d'information.

 

Publie.net - extrait de Perle jetée au feu de Michaël Glück


perle jetée au feu ne reste que la cendre
est une phrase tombée sans prévenir,
qui tranche dans l’amorphe, coupe la main qui l’écrit, fait tâche rouge et le
vif qui coule dans les plis des lignes creusées à l’intérieur du poing fermé, faut
pas croire, une ligne – de vie ou d’amour – ne suffirait à toutes langues qui
bruissent et brûlent, à cela qui grouille du babil d’Europe, des exils, des
histoires, des frontières, des murs abattus puis maçonnés reconstruits dans
les têtes, des murs exportés hors des limites de notre farce continentale au feu
ne reste qu'


                                                                                        une phrase
tombée de la main, qui fait mal, qui tranche dans la survie, anticipe le
moment où il faudra dire, ceci n’est plus et ce que furent les derniers mots,
les derniers voeux, pour l’après, pour ce temps de l’après, du plus rien après,
sinon ce temps qui se passe de tout, de tous, ce temps qui ne se sait pas
temps, à quoi bon quelque chose, une pierre ou autre, rien qu’une phrase qui
dispose, dernier caprice, dernière volonté, vous ferez ceci, ceci vous le ferez,
creuserez dans le ciel ; perle jetée au feu ne reste que la cendre ;

Publie.net - extraits de dormants de Jacques Josse

 

L’un d’eux écarte le ciel sale. Derrière se trouvent un bar,
un resto. Des huîtres. Du vin blanc. Une table au bord de
l’Atlantique.
La mer soupire à peine. Elle ne froisse pas la nappe. Sait que
tous se préparent. Vont déguster un peu d’elle, ses fruits, ses
jus salés, à leur manière, à petites lampées, pour ne pas
risquer d’avaler de travers.
Au loin, l’autre, l’esseulé coincé dans son trou, répète une
histoire de coque empalée sur des récifs dentelés mais sa
voix, très faible, ne porte plus jusqu’ici.

*

La dernière fois qu’il l’a vu, il était étalé de tout son long,
bras en croix, manteau déplié et face contre terre, sur le
carreau froid devant l’autel.
Pierre-Yves, qui voulait entrer dans les ordres, s’aspergeait
d’eau bénite et s’offrait une énième répétition à l’église.
Trois jours plus tard, une vague devait l’emporter aux
alentours des Pierres Noires, dans des zones de turbulence
vert bouteille, entre les pics rocheux des Dames et de La
Cheminée.
On ne retrouva jamais son corps mais on vit la mère passer
le soir même avec les vêtements ficelés sur le porte-bagages
de son vélo.

Publie.net - extrait de La digue de Ludovic Degroote


Pas de sens pour faire la digue, on commence n’importe où, pas de fin, on en fait des bouts, des pans, tout y paraît sans histoire, sans mémoire, disloqué comme les choses sont en nous, avec de grands pans de vide séparés comme des digues.
Les paysages sont intérieurs. On ne connaît pas la souffrance des autres, on se contente de soi. Ce qui rend lourdes les choses s’est perdu au fond et ne pèse plus. Demeure le poids de notre présence face au monde, ce qu’on pèse soi-même sur ses propres épaules.
Peu d’étale des choses, de transparence entre elles, rien qui tienne hors de notre regard, la digue on la fait hors de tout, ça n’est qu’au-dedans que les choses apparaissent, par pans, par bouts, et c’est de là qu’on les croit isolées, alors que les espaces ne sont disloqués qu’en nous.

 

Publie.net - extrait de Toucher terre d'Emmanuelle Pagano


Parfois, il marche immobile. Il est encore dans
l’écriture. Et la poésie est à son corps ce que les
éléments, les maladies, l’isolement sont au nôtre. « La
poésie qui nous chasse, et nous prend à la gorge, elle
rase plus près elle blanchit plus noir (…) le seul
recours des lisières, des terres, des terres à l’abandon,
des fissures dans la roche, des talus à la dérive butant
contre la détresse du monde »
(4). Il serait donc là,
son paysage d’écrire, une sorte de chemin où presque
plus personne ne passe, dans le « Brouillard, linceul
aux plis reposés »
(5). Un chemin d’écriture pour au
moins nommer ceux qui ne sont plus dans aucune
bouche, des sentiers, des haltes autrefois si souvent
appelées, « la mémoire / des lieux dits / qui ne parlent
pas »
(6)


Publie.net ~ extrait de Travail au drap rouge Yann Miralles


je suis cet enfant colérique et qui crie
dans le creux du poème il y a
comme un os
dur à ronger ou qu’on casse
des deux mains d’un coup sec
ou à la scie longuement c’est la ligne
brisée mais tout se fait

en surface, sang caillé
laissé loin – suis aussi
de ces choses noueuses oubliées
ce qui les recouvre : un drap prompt
à dompter ces forces nombreuses
assaillant de toutes parts, je suis
sans poids et ses plis
me font fluide

Publie.net ~ extrait de En e enku ~ Entre la mort de Ricardo Montserrat

 

1 — L’annonciation
— Dis, Mam’, comment je suis né ?
La main de ma mère reste en suspens dans l’ombre jaune. C’est une aile de mouette qui luit dans la tiédeur de la lampe. L’aiguille étincelle. Le fil se rompt. Le sourire s’exaspère. Les paupières frémissent, le temps d’un soupir. Les lèvres pleines mouillent le fil, les doigts sont précis, le noeud sec et l’aiguille, bonne fille, ouvre l’oeil. D’une voix aussi lente que ses aiguillées sont rapides, aussi douce que ses gestes sont sans pitié pour l’ouvrage, elle finit par me répondre.

— Je me suis piqué le doigt, Nowell. Une goutte de sang est tombée sur la dentelle et tu es né quelques mois plus tard.
Quand Mam’ raconte, ne l’interromps pas, contente-toi de protester intérieurement si tu ne la crois pas, attends qu’elle reprenne son souffle pour poser une question qui ne doit servir qu’à l’aider à avancer dans l’histoire, à enfiler une nouvelle aiguillée de mots.



Publie.net ~ extraits de Cambouis d'Antoine Emaz


Le silence provoque une sorte d’implosion du mot ; il n’est
plus saisi qu’à peu près dans la suite, il pèse surtout en soi et
résonne de tous ses possibles de sens, de mémoire. En prose,
c’est l’inverse, le mot est d’abord saisi dans un continu, un lié;
il participe au flux, et de ce fait, sa bande passante est réduite
antoine emaz _ www.publie.net
5
à son sens dans la phrase. Même les procédés de mise en
relief, en prose, ne créent pas un arrêt équivalent à ce que
peut donner le mot isolé, en vers. En simplifiant, on pourrait
peut-être dire qu’en vers il y a une saisie verticale du mot,
alors qu’elle est horizontale en prose.


***

Je ne peux comprendre une poésie sans émotion parce que
l’ennui me saisit immédiatement, autant que le sentiment du
dérisoire. C’est bête à dire, mais il faut qu’un livre me touche,
qu’il me donne un surcroît de vivre autant que de langue,
sinon pourquoi veut-il me voler mon temps ?

***

Dans l’ombre, il y a beaucoup de morts avec ou sans noms,
et pas mal de vivants perdus de vue. Ce qui remonte là, et
noircit, c’est le sang de la mémoire, non pas celui d’un
souvenir précis, même s’il en est d’obsessionnels, mais une
sorte, oui, de lie de tête.
Ce motif du passé qui surgit dehors est déjà venu dans le
poème « Quelqu’un marche… » et sans doute dans d’autres.
Cela rejoint aussi Bobine et tout ce bazar de mémoire.
Mais ce qui semble interroger, ce n’est pas le souvenir précis,
l’espèce de photo logée en tête qui reviendrait, c’est la
mémoire comme lest de figures devenues indécises, illisibles
avec le temps, et remontant sans cause claire ni volonté de
retrouver.
M’intéresse moins le côté
enregistrement/empilement/palimpseste de la mémoire, que
son fonctionnement erratique : gong et marteau sans maître.

Publie.net ~ Extraits de Coups portés de Cécile Guivarch

elle y croit ce lopin de terre pas une mine d’or
ni cailloux n’y poussent pas de maisons ni
usines rien du tout vaut rien ses rêves toujours
à rabâcher beaucoup de fortune louis d’or
cherche pas l’héritage n’y a que des pommes
tonneau de calva qui boit le papier mité odeurs
poussières pendent à la gorge si ce n’est jusqu’au
nez que l’eau remonte dans les chambres

*

vieux poirier zéro fruit en a entendu des vertes
et pas mûres en bribes ça suffit leur somme
de choix puis nous aujourd’hui en partie
achevés traversés tous pores traces sans s’en
aller elle en avait des couches 7 ou 8 l’hiver
54 marque cent rides hiver à moins 15 et
mourir sans charbon la frousse aux fesses
débarquaient les allemands embarquaient le
civet de lapin zut lèvres serrées corps mouillé
tant ça fout la trouille la flip le soldat caché
encavé n’en peuvent plus de cette sale guerre

*

peau détendue comme poussée recroquevillée
et finir comment sec ou rien poussière question
vide temps mort où réfléchir on se repose juste
ça repart pour combien jusqu’où pourquoi et
toute sa peau comment s’est pliée pour en
arriver à cela on la reconnaît pas l’a pas connue
jeune et combien changée on ne sait pas c’est
peut être bientôt traîne encore un peu regarde
rien n’y voit pas le vide la peur d’y aller et part

Fiche proposée par Cécile Guivarch

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