TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Terre à ciel des poètes - Sylvie Durbec

 

Sur Sylvie Durbec
Présentation
Extrait de in 3
Extrait de Marseille, éclats et quartiers
Extrait de Comme un jardin (BLEU)
Extrait de PRENDRE PLACE, une écriture de Brenne
Extrait de Chaussures vides Scarpe vuote
Extrait de La Huppe de Virginia
Extrait de Ce rouge qui brillait/SOUTINE
Extrait de Le Paradis de l’oiseleur
Sur internet
Bibliographie

Les fiches des poètes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On ne reste jamais longtemps devant soi, pour autant qu'on y parvienne

Antoine Emaz - Lichen, lichen

Présentation



Sylvie Durbec est née à Marseille en 1952.
Elle a reçu le prix Jean Follain en 2008 pour son recueil Marseille éclats et quartiers publié aux éditions Jacques Brémond et le prix du conseil général 13 pour La huppe de Virginia.
Elle traduit également des auteurs italiens.
Elle a crééla petite librairie des champs.
En résidence à Rennes, elle écrit :

Le temps, la résidente et le vide
(extrait)


Le temps ne manque pas en résidence.
Il déborde.
Non pas autour de soi comme une corde qui enserrerait jusqu’au cou vos chevilles et l’esprit. Non.
Lorsque je suis ainsi invitée à entrer dans un autre paysage que le mien, dans une autre maison que la mienne, j’expérimente des sommeils nouveaux, des appétits et des mouvements qui ne me sont pas habituels.
Et un verbe se met à clignoter devant mes yeux comme un os pour le chien : partir.
J’en suis reconnaissante. Oui.
Car partir ouvre la porte de la maison mieux qu’une clé d’or.
Ouvre aussi la langue en soi à une nouvelle manière.
Peut-être (ridiculement ?) convaincue aussi de ne pas être tout à fait la bonne personne, le bon auteur, de ne pas être digne de la résidence proposée.
Ridicule certainement. Impossible de ne pas rire devant tant de crédulité. La mienne.
J'aspire souvent à être délivrée. Du temps. De l’espace. Du poids de mon corps.
Être loin.
Mais loin, de quoi ? De moi, de mon ordinaire manière d’enfiler une nuit à un jour, ou plutôt de coudre avec maladresse l’une à l’un ou l’autre à l’une ?
Surtout loin de ma langue habituelle, des mots usités chaque jour.
Je ne crois pas que mon temps soit si précieux que je ne puisse lui laisser la bride sur le cou. Ici je reste souvent de longs moments inactive. Et puis je fais ce qu’on me demande.
Souriant parfois en imaginant Robert Walser en résidence de commis.
Commis à écrire. A commettre ce crime d’écrire qui nous est instamment demandé.

Sylvie Durbec - extrait de in 3


UNE,

ALCESTE

de tout ce qui, un jour ou l’autre,
pourrait servir à la construction
des souvenirs ou à la reconstruction du passé perdu –

un bol plus un verre plus un bloc et ainsi de suite
de sorte que ce qui n’avait jamais pu exister ensemble
allait se mettre debout

         une famille
         un père
         une mère
         leur enfant,

et ne jamais disparaître tout à fait
comme si cette disparition première
la sienne et celle du père,
ils l’avaient si précisément prévue

que le bol, le verre et le bloc ensemble
rendraient au monde un peu de sa fragilité tendre
un peu de tremblement un peu de chaleur aussi
celle du lait versé dans le bol et puis bu Ecrire

sur le bloc et sur le verre
leurs trois noms ensemble

 

Sylvie Durbec - extrait de Marseille, éclats et quartiers


J'habite Marseille, porte de l'Orient. On me l'apprend à l'école et je découvre les énormes seins des cariatides coloniales sur la Canebière. Je meurs de plaisir.

En ces temps de dure merveille, je découvrais la pauvreté immobile tandis que le chant s'ouvrait en moi, Shéhérazade lilliputienne, assise dans la pénombre d'un divan, au quatrième étage sans ascenseur d'une achélème de la cité des Tilleuls.

Mais ce chant était rude. Il me laisse aujourd'hui sans mémoire.

Le mot magnolia a besoin de la fleur.
A-t-elle une odeur aussi blanche que sa chair?

L'immobilité vient des voyages accomplis dans l'enfance
Entre magnolias, tilleuls et cerisiers.
Toute une Chine, une Arménie de papier,
Un Japon blanc et tremblant
Qui tenaient entre les mains du maître des histoires.


Sylvie Durbec - extrait de Comme un jardin (BLEU)


La trace du soulier de Dieu
fait-il de lui
un mortel comme les autres
dont les chaussures vides
remplissent la penderie ?

Recoudre le pied à la terre
le bleu à l’encre
le soulier au corps

travail de couturière
de cordonnier
ou de jardinier ?

Sylvie Durbec - extrait de PRENDRE PLACE, une écriture de Brenne


DOUADIC

Ecrire sur un lieu disparu
dont ne reste que terre nue
et des ronces
une stèle
un peu triste
c’est étrange et un peu encore

comment dire une manière de ne pas dire
ou bien de trop Enfin personne ne sait
exactement où finit
et commence
un lieu
comme celui-là


ou une écriture dite de Brenne c’est-à-dire une manière
d’encrer un lieu dans une page noir/blanc
et personne à la ligne pour nommer le lieu
appelé sur la stèle camp de triage de Douadic
et ce n’était pas des bêtes ni des chevaux
mais des êtres ceux humains qu’on disait étrangers
et personne ne savait dire le sens exact de ce mot
et moi/à côté des barbelés et du roncier
je ne voyais que ce qui n’était pas là-
ou encore j’apercevais ce qui était absenté
entre les caractères gravés dans la stèle

comment être étrangers en ce pays d’étangs


Sylvie Durbec - extrait de Chaussures vides Scarpe vuote
La cavalière

« Il aimait vraiment le soleil qui pourpre descendait la colline,
les chemins de la forêt, l’oiseau noir qui chantait
et la joie de la verdure… »

Georg Trakl

,
Je veux devenir un cavalier
dit la petite à sa grand-mère
je veux descendre le soir
sur un grand cheval noir

nous ouvrirons des combes
mon pas écartera les ombres
ma main guidera les arbres
j’aime vraiment la nuit

Tu étais une petite fille
dit le père à son enfant
je ne savais plus quoi lire
pour changer ta chanson

Pour aimer bêtes et buissons
je veux devenir un cavalier
qui court dans les halliers
et balafre son visage de sang

j’aime vraiment la nuit
elle découpe un vrai pays
et le feuillage et les étoiles
nous feront un bel habit

La petite a grandi femme
elle marche elle court
elle devale des montagnes
je veux devenir un cavalier

Dans la chambre des rêves
s’asseoit la cavalière
elle tisse une prière de soie
dans le Tibet de sa voix

et s’endort toute petite.

Sylvie Durbec - extrait de La Huppe de Virginia


Prière de Virginia à tous les petits dieux

Au petit dieu de la prise électrique un peu énervé
au dieu de la vaisselle des verres et des couteaux
au petit dieu si tendre de la machine à laver
qui lave toutes les erreurs dans son tambour

Au petit dieu de la serrure et de la clé
au dieu des fenêtres
au dieu des parkings
au dieu du petit porte-monnaie perdu
au dieu du genou qui saigne et de la dent qui tombe
au dieu du mal au ventre et de la toux qui fait mal

A tous ces dieux ce soir :
poursuivez votre petit travail
comme nous poursuivons le nôtre
et tout ira bien


Sylvie Durbec - extrait de Ce rouge qui brillait/SOUTINE

Ce rouge qui brillait…

Boire suffit à un squelette pour tenir droit devant le chevalet, leur dirait-il dans sa langue, et puis il y a ce rouge, qui brille dans le torrent.
Et ce serait assez pour eux, ce rouge, et pour lui, ce torrent qui brillait rouge sous ses pieds.
Il pouvait revenir vers la remise, redescendre vers Céret, se remettre au combat.
Seul avec ce rouge qui brillait, là, dans la colline.
Brutalement.

Sylvie Durbec - extrait de Le Paradis de l’oiseleur

AUTRES PAYS MATERNELS

I, La Chine

Je suis en Chine ce matin.
Pas besoin de dire où.
Ca n’existe pas ici.
Il y a trop de vide dans ce genre de maison.
Donc ils enlèvent tout ce qu’ils peuvent.
Aucune raison de chercher sous la langue.
Assieds-toi plutôt.
Chercher pour trouver un pays de rien.
Vieille Chine, ce matin.
Ne cherche pas ici. Ni dans les mains ni ailleurs.
La Chine, c’est très grand comme langue.
La nôtre est bien petite, elle tient facilement dans la bouche.

II, les renards

Les renards ont rejoint la forêt cette nuit.
Il n’y en a plus un seul dans la chambre.
Tu n’en trouveras aucun dans ma bouche.
Même les très petits sont partis.
Assieds-toi. Repose-toi un peu.
Chaque fois qu’ils viennent,
c’est pas qu’ils sont…mais ils ne veulent pas
que d’autres que moi les mangent.
Malheureusement, des gens périmés, il y en a.
On oublie parfois de les remplacer.
Et alors, après avoir mangé des saletés, ils meurent.
Oui, comme moi.
Les renards aussi.

III, la langue maternelle

Si je te demande comment va ta petite femme,
tu me réponds : j’ai un mari.
Et moi je te dis qu’il est ravi. Et toi, tu ris.
Mari/ravi rime à quoi, rime à rien.
De l’œil, celui qui voit les renards, descend une pantoufle.
On peut y boire dedans, elle est en verre.
De l’autre descend cette voix qu’on entend sous le fauteuil.
Il paraît qu’une huppe habite là. C’est comme ça.
D’autres, c’est l’oreille ou l’œil, elle, c’est le fauteuil.
Tu dis que ta mère aime rire.
Mais tu oublies :
ça donne un brave travail les mots dans une bouche,
comme les enfants,
quand on en a beaucoup.

 

Sylvie Durbec sur internet
Bibliographie

  • Le nom du roi, éditions Grandir, 1995
  • Territoires de la folie, Cousumain, 2008
  • Comme un jardin (bleu), éditions Potentille, 2009
  • Marseille éclats et quartiers, éditions Jacques Brémond, 2009, prix Jean Follain
  • Prendre place, éditions Collodion, 2010
  • Chaussures vides/carpe vuote, Les Carnets du Dessert de Lune, 2010
  • La huppe de Virginia, Jacques Brémond, 2011
  • Ce rouge qui brillait, Atelier du Hanneron, 2011

    Ames inquiètes et J’entends des voix, traduction de l’italien de deux recueils de textes autour de la folie, Les Etats Civils, 2011.
    Avril 2012 : traduction de poèmes D’Elena Jurissevitch, Que les paroles retrouvent leur souffle ! aux éditions du Murmure
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