TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Un ange à notre table-
Georges Guillain ~ même plus comme

 

Inédits d'auteurs que nous sollicitons

Biographie de Georges Guillain et entretien

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


même plus comme


ça ne commence pas ça recommence (bis)
tu
te détaches même plus com

comme des vers

mes vers heureux de fonctionnaire mais
déjà comme des syllabes comme les timbres d’un car
d’un carnet c’est l’exemple
qu’ils donnent là dans le diction
le dictionnaire

et moi moi
je n’ai même pas de colère je m’use
me musèle

j’use
ton souvenir contre ma paume
ton parfum

et

si
tu me tranches dans
le vif
( as tranché en guerrière )

ou
te retranches dans un ailleurs électro-
nique je
sais tu m’avais préve-
nu dans une longue file devant
le musée Pluie Crachin
puis rassurée
calmée

tu

t’étais isolée à dix pas –
moi affectant de regarder devant vers
l’homme-orchestre
des joies mouillées…mouillées…

un peu plus tard passant ta main
sous mon
bras tes cheveux
glissant
l’épaule ou le visage tes lèvres
leurs mots très doux puis le dernier men-
songe et puis encore encore

je

sais j’emmêle tout j’essaie
simplement de m’ajuster aux choses avec
le ciel qui maintenant navigue
en moi tous
feux
éteints

quand m’aime même

je
me souviens
des paravents que je m’
use aujourd’hui à vouloir repousser
le sombre des boiseries le grillage
des bibliothèques
je
m’use

MUSE

à mélanger mon regard avec le tien
sur des gouaches anciennes
ou des estampes ou simplement du blanc
du

vide

je

perds le fil
troué cloué brouillé tout traversé
de petits blocs de passé comme des balles et ce malin
plaisir que prend la vie
faire souffrir jouir tout retenir ombre silence
comme on marchait
au long du canal Saint-Martin sans voir
l’eau sous nos pieds
que des jardins
si proches
à les frôler
avec
du vent du froid du bleu pluie de graviers
plus tard sur une vitre
ton ventre
sous mes doigts comme un papier buvard

ça passe

j’ai
d’autres souvenirs encore
dont je ressasse la douceur les isolant
ailleurs dans la pénombre d’une chambre
redessinant tes jambes
et leur boucle dorée ta bouche
tout un ballet de signes
de portes moulurées de tentures
aussi des rues des bruits d’immeubles
des bruits de gares des soubresauts
le passage rapide des heures
un courant d’air
le thé brûlant
sous le panneau des départs
l’attente après de nous serrer
l’un contre l’autre dans la cage étroite
heureuse et qui grinçait de l’ascenseur
car c’était une simple fois fête
et pas la fête pour la vie fête
juste pour ce moment là et pour
toutes les fêtes
comme un pari incroyable

et merveilleux

qu’un simple câble qu’on voyait
en même temps descendre
ait pu nous hisser

si haut
plus clair
l e t t r e a p r è s l e t t r e

même
si nous sommes tombés
après
comme une pierre et bien trop viiiiiiite

dans ce coin d’ombre qui m’arrête

alors cette vie
cette envie que nous nous redisons
aujourd’hui l’un à l’autre mais enfermés
chacun dans nos illusions respectives
le souvenir peut-être encore
d’une chanson dont on a martelé
nos mémoires quand on avait 15 ans
pas à la même époque je sais
cette vie comme on dit crois-tu
qu’elle est toujours la nôtre
plus assurée réelle
que celle que je dessine ici
sans m’arrêter aux contours d’un trait
flou et sans plus essayer de faire
des phrases avec au bout des images
qui séduisent qui te réduisent tellement
que tu reviennes

entends-moi entends-moi

sans doute il faut que je redouble
te redouble et que je marque tout
au rouge tant pis pour le mauvais goût
je n’ai pas l’éternité comme le père
noël à t’offrir dans ma hotte pas non plus
de destinée mes jours claquent plutôt
du bec en ce moment surtout que
c’est
tant de la beauté du monde en moi qui
périclite tant du sentiment d’harmonie
tant d’aveugle confiance que j’avais
tout au fond depuis l’enfance
qui désormais s’éreinte insupportablement
s’épuise

et

toi comme le ciel des gaulois tu
me retombes sur la tête sans que je
sache bien ce que signifie cette image
sinon que je m’initie avec toi au
précaire
à sortir de mes certitudes n’ajoutant
plus pierres à pierres ou présomption
sur présomption mais simplement
me découvrant jour après jour plus nu
si vulnérable et désirant désarmé plus étroit

tellement que

je te vois bleue d’ici comme du verre
et bleue
fragile et délicate au coin des lèvres
et comme en deuil
d’un très ancien sourire ou trop
longtemps promis d’un bleu pas
maintenant comme la mer et la couleur
des volets d’hôtel dont je me souviens à
Wissant
pas non plus du bleu de l’ombre
sous les arbres et des collines
dans le goûter de Matisse ou luxe calme
et volupté mais d’un bleu juste oui
juste et juste assez mêlé d’un reste
de tristesse d’enfant comme une case
de marelle à la craie dans la cour
que la pluie a lavée

mais

arrivé à ce point les yeux me piquent
de remuer la matière lyrique ô bien sûr
je ne vais pas pleurer pleurer pas
tenter de t’échanger un cœur de midinette
contre deux de mes bras et te jouer
les sanglots longs je n’aime pas
Verlaine non si ça pique c’est à cause
de cet écran sur lequel je te fixe
ou fixe plutôt mes paroles en attendant
que tu les lises et pas par dessus
mon épaule faut pas rêver même si
je te laisse des rimes paroles épaule
on n’est pas si bien accordés dans la
vie que je puisse t’imaginer maintenant
me frôlant te penchant changeant
d’un seul coup tous les mots de la
phrase m’allégeant d’âge et de disgrâce
allez retour à maintenant
et

passez par la case départ
recevez cinquante ans

c’est qu’il n’y a pas que l’attente
qui s’use à frotter sans arrêt
sur le temps ou la parole à rebondir
sur du silence le corps aussi
têtu pourtant le corps si
rapidement tendu bandant et si
parfaitement en veine en muscle en verge
en ton verger s’engorgeant dans ta gorge
retenu salivé corps à comprendre puis
à tout prendre à tout apprendre le sucré
le salé le dur le tendre sa langue
à mordre et à sucer

oui ce corps aussi s’use s’est usé
tu le verrais tout fagoté là dans sa
peau vieille mal ficelée tout passager
qu’il est encore d’une longue journée

toute vidée de toi

tu le verrais tu le verrais
que tu saurais peut-être encore
à la minute magiquement lui ordonner
de ne plus grimacer laisser pendre
cette viande indigente indigeste
restée

mais
non ma sœur humaine
aux oreilles bouchées grande bouchère
qui me verrouilles en chambre froide
là regardes mon nom s’imprimer
sur l’écran laisses répondre ta voix
lisse et congelée d’ordinateur tandis
qu’à d’autres crocs d’autres escrocs
tu laboures tes reins suspends tes pluies tes
nuits tes rages et que reviennent
ces paroles d’enfant des rues contre
les filles
et tout ce rose en elles impensable
à passer goulûment sur sa langue alors
échappant sur les lèvres en mots crus
dis est-ce possible ainsi seulement par
le désespoir le manque de retrouver
ce gamin qu’on était les bras sortant
trop longs pour des jours trop étroits
quelle allure étriquée serré dans son
chandail ses pantalons sommaires
traitant ses petites amoureuses - ô lui
Rimbaud déjà - de pute ou de salope
tournant et retournant ses mots en
secret dans sa tête pour mieux se
vidanger le cœur
de ce qu’il aime

non
rien ne reste du moins rien
ne reste physiquement présent en lui
tout se sépare c’est la vie son fil
d’Ariane cette image de sapin croulant
sous les guirlandes les cadeaux mais le
tronc fraîchement scié la jambe perdant
partout ses épines Eden Aden c’est pour
cela que les fêtes vraiment sont tristes
leur lendemain les avale un coup
de glotte hop et c’est parti vomie
la fête
même au réveil il n’est jamais midi
certes il envie un moment tous ces rires
il croit remonter à la source c’est Noël
c’est le Nil il parle
à toutes les passantes
les choses et leurs voyelles sonnent
comme un sonnet de Théodore de Banville
ou de José Maria de Hérédia
il fait très clair très clair mais vite
un peu de noir tombe culbute
dans ses yeux il rentre seul pousse
la porte allume la lampe de chevet
reprend son livre à la page marquée
il ne fait pas l’effort de tout relire
il tourne il tourne se retourne
entre une nuit trop large et des
lumières et des pays auprès desquels il
a passé mais que la vie tranquillement
éloigne sans qu’il en sente la secousse
sans que la vitesse du son
qui nous parvient encore des étoiles
éteintes suffise à lui transmettre
enfin distinctement
leur nom

le matin
je redescends dans la cuisine
je sais qu’il pleut que la boue rentre
du jardin que le monde aujourd’hui
ne se prête plus comme autrefois
aux métaphores à de faciles
enchantements d’images mon bol est un
vrai bol je verse le café tartine
lentement mon pain avec du beurre Saint-
Hubert industriel j’écoute la radio de
la terre indifférente à nos trafics
d’esclaves
nos combats d’intérêts au débordement
partout de notre vanité je vis
dans la prose déracinée des choses
sans faire erreur sur les saisons
il y a une dizaine de jonquilles
qu’on voit pencher dans le bout du
jardin certaines ont perdu leur couleur
il y a dans l’herbe qu’il faudrait
depuis longtemps couper des pâquerettes
lourdes d’eau et des merdes de chien des
merles il y a ce fragment d’espace qu’on
habite et qu’on ordonne comme on peut
comme une adresse à autre chose
qu’on pourrait appeler la grâce ou bien
l’accord l’humilité merveille de verdir
exister d’avoir malgré tout ce qui meurt
oublie trahit nous abandonne
noué nos mains nos rêves posé nos vies
un court instant
contre le cours des choses
nous épuisant du vain ( ? ) désir
de chant de ciel ou de parole
qui nous creuse ou divise mais aussi
nous maintient.

 

georges guillain
vendredi 6 avril 2001

 
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