Biographie
Principalement occupé depuis une
dizaine d’années à promouvoir la littérature
contemporaine, comme chargé de mission à la Direction
Académique des Arts et de la Culture de Lille, il a formé,
entre autres, un grand nombre d’enseignants à l’accueil
des écrivains, à la réflexion sur l’écriture
et a fondé le Prix des Découvreurs, devenu en 2000 un
prix national visant à faire lire, au plus grand nombre possible
de lycéens, la poésie qui s’écrit de leur
temps. Il collabore à la Quinzaine littéraire où
il a signé quelques dizaines d’articles sur les auteurs
les plus variés, d’Ariane Dreyfus au poète américain
W.S. Merwin, en passant par Michaux et Aragon.
Il vit actuellement dans le Pas-de-Calais.
même plus comme est un long
texte, on y rencontre aussi bien des éléments du quotidien,
les souvenirs, la relation charnelle, etc. comment tout cela s’imbrique
sous ta plume ?
Tu sais, l’écriture poétique
comme toute activité artistique reste une chose fondamentalement
mystérieuse, sinon pour les professeurs d’Université
qui savent tout sur tout, du moins pour ceux qui la pratiquent de l’intérieur.Je
me souviens d’avoir lu un jour une histoire où un écrivain
célèbre après avoir reçu une étude
concernant la structure de ses phrases et ses choix de vocabulaire se
retrouvait d’un seul coup dans l’incapacité totale
d’écrire du fait qu’il était devenu conscient
de plusieurs de ses tendances profondes, voire de ses tics d’écriture.
Même chose sans doute avec le peintre du Cri, Edward Munch après
sa psychanalyse.Il était devenu un autre. Moins intéressant
pour la peinture.
Alors pour ne pas fuir quand même ta question, disons que ces
poèmes lâchés que je t’ai confiés,
à la différence de ceux que j’appelle les poèmes
tenus viennent d’un jet. Ils sont d’ailleurs beaucoup plus
rhétoriques, tiennent sur la longueur davantage que sur la ligne.
Ils me semblent qu’ils répondent d’abord à
une plus grande pression émotionnelle. C’est le cas de
Même plus comme. Et on voit bien laquelle. L’émotion,
c’est une certaine couleur du monde. L’intérieur
et l’extérieur se répondent étroitement,
on l’a clairement compris depuis les grands romantiques. Tout
comme le vécu et l’imaginaire. L’effectif et le fantasmé.
Le détail prosaïque et vrai avec le roman littéraire.
Mais il n’y a pas que des matières. Il y a l’oreille
aussi qui joue. Les entraînements rythmiques. Les constructions
phonétiques. La poésie en moi travaille sur l’émotion
et le sensible. Il me faut des images. Il me faut une musique. Il me
faut aussi une pensée mais une pensée qui ne soit pas
abstraite, qui soit parvenue à s’arracher au logique, au
rationnel. En prenant forme et poids dans le sensible, par le sensible.
Je m’appuie sur une pensée qui n’est pas illustrative
mais donne à voir l’existence comme imbrication - pour
reprendre ton mot- d’éléments, de mouvements que
le poème vient orchestrer - un peu à la façon des
collages cubistes - par la conscience et par la langue. Langue qui se
résumera à du « J’ai mal, je souffre »
voire à des pleurs, à une dépression chez les uns.
Qui donnera « Même plus comme » chez moi, comme elle
a donné, sans comparaison possible, La Chanson du Mal-Aimé
chez Apollinaire. Chez lui aussi le souvenir du rouge des façades
dans la nuit londonienne où il s’est fatigué à
rechercher celle qu’il aime agit avec autant de puissance et de
vérité que le sentiment d’abandon qu’il éprouve.
Comme tout le poids de sa culture que ces souvenirs et ce sentiment
réveillent : les rois aimés, la vois lactée, le
cul des dames damascènes…toute cette invention, cette convocation
d’imaginaire, cette magnifique dramatisation qui ne nous touche
peut-être en profondeur que par la qualité intime de sa
musique et sa résonnance mystérieuse. Seule façon
de tenir, à mon sens et par le haut face à tout ce qui
écrase.
A plusieurs reprises tu cites des auteurs lus, connus, aimés
certainement, viennent-ils souvent à ton secours lorsque tu écris
?
Oh ! Tous ces poètes que j’aime
effectivement, ne viennent pas seulement à mon secours quand
j’écris. Ils font comme ils peuvent partie de moi. Ils
m’ont nourri. Ils sont devenus moi. Comme ils sont devenus encore
cet autre qui les lit. Et puis cet autre là. Arrachés
à chaque fois à eux-mêmes, ils constituent en partie,
eux dispersés, l’instance rassemblée qui écrit.
Dans une forme singulière de survie, de prolongement d’être.
La langue et les formes et la hauteur de pensée que chacun d’eux
a contribué à enrichir, j’ai une parfaite conscience
d’en avoir hérité. Conscience aussi que cela compose
l’élément, le véritable cinquième
élément dans lequel le poète que je m’efforce
d’être trouve modestement à exister à son
tour.
Maintenant, il faut aussi dire que cet appui considérable, cette
présence secourable, n’agit pas sans ambiguité.
Elle paralyse aussi. Car l’art ne vit que d’invention. Pas
de répétition. De ruptures plus que de révérences.
Et sur ce plan j’ai bien conscience de mes insuffisances. Et des
limites du seul petit talent d’écrire. Encore que là
aussi j’ai envie de nuancer. Car je me méfie des idéologies
simplistes de la rupture quand elles ne font que masquer une ignorance
de l’héritage. Tabula rasa ! Laisse moi rire. Pleurer plutôt.
Non au retour des barbares !Des jobards ! Des jocrisses !
Et donc pour finir, j’ai
bien envie de poser la question « bateau » mais ça
me titille alors, quelles sont tes influences littéraires ?
Chère Cécile, je viens de
répondre à ta question sur le fond. Tout m’est influence.
Du moins tout ce que je suis parvenu à connaître, ce qui
est malheureusement très peu à l’échelle
du monde. Tout ce qui a stimulé mon imagination, m’a fait
un jour regarder autrement les choses. M’a découvert un
nouveau tour de phrase. Un emploi inconnu ou mal connu d’un mot.
S’il faut répondre alors par des noms en composant mon
Panthéon personnel, je dirai que c’est une question cruelle
à laquelle je vais tenter de répondre en te disant que
j’y répondrai sûrement un peu différemment
demain. Si je prends les lointains, ceux que j’ai découverts
à l’école et qui me restent les plus proches, il
y aura François Villon et Du Bellay dont je sais toujours des
poèmes entiers depuis le collège. Ronsard pour sa musique
incomparable. Baudelaire surtout pour La Servante au grand cœur
qui est devenue pour moi comme une allégorie de la Poésie,
oui, avec un grand P. Jules Laforgue et sa distance ironique. Apollinaire.
Apollinaire et encore Apollinaire. Pour la façon dont il a su
plus qu’aucun autre allier tradition et modernité : une
forme d’intelligence poétique infiniment supérieure
qui me fait bien rire quand j’entends certains obscurcis lui reprocher
parfois son manque d’intelligence. Après il y a Pessoa
pour l’impermanence du moi. Et T.S. Elliot de qui j’ai beaucoup
appris quand je l’ai découvert il y a une grosse vingtaine
d’années. Les Quatre Quatuors, c’est énorme
de modernité. Mais de modernité ouverte pas de cette modernité
niaise dont je parlais tout à l’heure.
Et puis il y a tous ces vivants vivants qui ouvrent toujours des pistes:
Jude Stefan, Franck Venaille, Eugène Savitzkaya…. plus
un bon nombre d’autres que je ne peux te citer tous. Je ne te
donnerai plus qu’un nom celui de Pascal Commère dont la
fille Zoé qui s’intéresse à l’Histoire
de l’Art, a le même âge que la mienne, Flora qui étudie
les paysages !