TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Un ange à notre table-
Georges Guillain ~ biographie et entretien

 

Inédits d'auteurs que nous sollicitons

poème même plus comme

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Biographie

Principalement occupé depuis une dizaine d’années à promouvoir la littérature contemporaine, comme chargé de mission à la Direction Académique des Arts et de la Culture de Lille, il a formé, entre autres, un grand nombre d’enseignants à l’accueil des écrivains, à la réflexion sur l’écriture et a fondé le Prix des Découvreurs, devenu en 2000 un prix national visant à faire lire, au plus grand nombre possible de lycéens, la poésie qui s’écrit de leur temps. Il collabore à la Quinzaine littéraire où il a signé quelques dizaines d’articles sur les auteurs les plus variés, d’Ariane Dreyfus au poète américain W.S. Merwin, en passant par Michaux et Aragon.
Il vit actuellement dans le Pas-de-Calais.

 

même plus comme est un long texte, on y rencontre aussi bien des éléments du quotidien, les souvenirs, la relation charnelle, etc. comment tout cela s’imbrique sous ta plume ?

Tu sais, l’écriture poétique comme toute activité artistique reste une chose fondamentalement mystérieuse, sinon pour les professeurs d’Université qui savent tout sur tout, du moins pour ceux qui la pratiquent de l’intérieur.Je me souviens d’avoir lu un jour une histoire où un écrivain célèbre après avoir reçu une étude concernant la structure de ses phrases et ses choix de vocabulaire se retrouvait d’un seul coup dans l’incapacité totale d’écrire du fait qu’il était devenu conscient de plusieurs de ses tendances profondes, voire de ses tics d’écriture. Même chose sans doute avec le peintre du Cri, Edward Munch après sa psychanalyse.Il était devenu un autre. Moins intéressant pour la peinture.
Alors pour ne pas fuir quand même ta question, disons que ces poèmes lâchés que je t’ai confiés, à la différence de ceux que j’appelle les poèmes tenus viennent d’un jet. Ils sont d’ailleurs beaucoup plus rhétoriques, tiennent sur la longueur davantage que sur la ligne. Ils me semblent qu’ils répondent d’abord à une plus grande pression émotionnelle. C’est le cas de Même plus comme. Et on voit bien laquelle. L’émotion, c’est une certaine couleur du monde. L’intérieur et l’extérieur se répondent étroitement, on l’a clairement compris depuis les grands romantiques. Tout comme le vécu et l’imaginaire. L’effectif et le fantasmé. Le détail prosaïque et vrai avec le roman littéraire. Mais il n’y a pas que des matières. Il y a l’oreille aussi qui joue. Les entraînements rythmiques. Les constructions phonétiques. La poésie en moi travaille sur l’émotion et le sensible. Il me faut des images. Il me faut une musique. Il me faut aussi une pensée mais une pensée qui ne soit pas abstraite, qui soit parvenue à s’arracher au logique, au rationnel. En prenant forme et poids dans le sensible, par le sensible. Je m’appuie sur une pensée qui n’est pas illustrative mais donne à voir l’existence comme imbrication - pour reprendre ton mot- d’éléments, de mouvements que le poème vient orchestrer - un peu à la façon des collages cubistes - par la conscience et par la langue. Langue qui se résumera à du « J’ai mal, je souffre » voire à des pleurs, à une dépression chez les uns. Qui donnera « Même plus comme » chez moi, comme elle a donné, sans comparaison possible, La Chanson du Mal-Aimé chez Apollinaire. Chez lui aussi le souvenir du rouge des façades dans la nuit londonienne où il s’est fatigué à rechercher celle qu’il aime agit avec autant de puissance et de vérité que le sentiment d’abandon qu’il éprouve. Comme tout le poids de sa culture que ces souvenirs et ce sentiment réveillent : les rois aimés, la vois lactée, le cul des dames damascènes…toute cette invention, cette convocation d’imaginaire, cette magnifique dramatisation qui ne nous touche peut-être en profondeur que par la qualité intime de sa musique et sa résonnance mystérieuse. Seule façon de tenir, à mon sens et par le haut face à tout ce qui écrase.


A plusieurs reprises tu cites des auteurs lus, connus, aimés certainement, viennent-ils souvent à ton secours lorsque tu écris ?

Oh ! Tous ces poètes que j’aime effectivement, ne viennent pas seulement à mon secours quand j’écris. Ils font comme ils peuvent partie de moi. Ils m’ont nourri. Ils sont devenus moi. Comme ils sont devenus encore cet autre qui les lit. Et puis cet autre là. Arrachés à chaque fois à eux-mêmes, ils constituent en partie, eux dispersés, l’instance rassemblée qui écrit. Dans une forme singulière de survie, de prolongement d’être.
La langue et les formes et la hauteur de pensée que chacun d’eux a contribué à enrichir, j’ai une parfaite conscience d’en avoir hérité. Conscience aussi que cela compose l’élément, le véritable cinquième élément dans lequel le poète que je m’efforce d’être trouve modestement à exister à son tour.
Maintenant, il faut aussi dire que cet appui considérable, cette présence secourable, n’agit pas sans ambiguité. Elle paralyse aussi. Car l’art ne vit que d’invention. Pas de répétition. De ruptures plus que de révérences. Et sur ce plan j’ai bien conscience de mes insuffisances. Et des limites du seul petit talent d’écrire. Encore que là aussi j’ai envie de nuancer. Car je me méfie des idéologies simplistes de la rupture quand elles ne font que masquer une ignorance de l’héritage. Tabula rasa ! Laisse moi rire. Pleurer plutôt. Non au retour des barbares !Des jobards ! Des jocrisses !

Et donc pour finir, j’ai bien envie de poser la question « bateau » mais ça me titille alors, quelles sont tes influences littéraires ?

Chère Cécile, je viens de répondre à ta question sur le fond. Tout m’est influence. Du moins tout ce que je suis parvenu à connaître, ce qui est malheureusement très peu à l’échelle du monde. Tout ce qui a stimulé mon imagination, m’a fait un jour regarder autrement les choses. M’a découvert un nouveau tour de phrase. Un emploi inconnu ou mal connu d’un mot. S’il faut répondre alors par des noms en composant mon Panthéon personnel, je dirai que c’est une question cruelle à laquelle je vais tenter de répondre en te disant que j’y répondrai sûrement un peu différemment demain. Si je prends les lointains, ceux que j’ai découverts à l’école et qui me restent les plus proches, il y aura François Villon et Du Bellay dont je sais toujours des poèmes entiers depuis le collège. Ronsard pour sa musique incomparable. Baudelaire surtout pour La Servante au grand cœur qui est devenue pour moi comme une allégorie de la Poésie, oui, avec un grand P. Jules Laforgue et sa distance ironique. Apollinaire. Apollinaire et encore Apollinaire. Pour la façon dont il a su plus qu’aucun autre allier tradition et modernité : une forme d’intelligence poétique infiniment supérieure qui me fait bien rire quand j’entends certains obscurcis lui reprocher parfois son manque d’intelligence. Après il y a Pessoa pour l’impermanence du moi. Et T.S. Elliot de qui j’ai beaucoup appris quand je l’ai découvert il y a une grosse vingtaine d’années. Les Quatre Quatuors, c’est énorme de modernité. Mais de modernité ouverte pas de cette modernité niaise dont je parlais tout à l’heure.
Et puis il y a tous ces vivants vivants qui ouvrent toujours des pistes: Jude Stefan, Franck Venaille, Eugène Savitzkaya…. plus un bon nombre d’autres que je ne peux te citer tous. Je ne te donnerai plus qu’un nom celui de Pascal Commère dont la fille Zoé qui s’intéresse à l’Histoire de l’Art, a le même âge que la mienne, Flora qui étudie les paysages !




 
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