Pieds nus caressant l’ourlet marron
des bonzes passent
sourires pensifs
l’arôme du riz gluant
dans les feuilles de bananier.
Sans augures
ni mélancolie
les nuages s’effilochent
fin du repas.
Aucun désir d’oiseaux
ne ride les fronts.
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Des monstres marins à tête gonflée
dérivent dans ses nuits sans nuit.
Seule dès qu’un pied touche
la terre-mère mouvhantée
elle lutte contre les draps-mues
du lit qui coule nuit après nuit
matin après matin elle échoue
carrelage mordant
berge de ses insomnies précoces.
Shan Sa est partie pour renaître
mais renaît-on jamais ?
Duras a écrit pour apprendre
à écrire
c’est comme apprendre à marcher
avec le mal de mère
tant de pages parcourues
autant d’ailes battues
pour se débattre dans le ressac
un rivage en vue.
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Et si la source de mon être
était ailleurs
que dans l’effarement
de l’arrachement ?
Se jeter dans l’Amazone
de cet appel irrésisitible.
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De gauche à droite à gauche
sur ma page migrent
des mots vagabonds
poches vides et or terni
au fond de rétines décollées.
De haut en bas en bandes
ou en zigzags solitaires
à pied à la nage par bonds
dans la marge face au vent
plomb dans l’aile sang
sur les doigts palmés larmes
baignant le bec serré.
D’un temps à l’autre
ils tombent
à travers les lignes interminables
ciel terre ciel terre sans retour
semant des cicatrices-ratures
de batailles amours familles
perdues accrochées décharnées
aux branches racornies
de l’arbre de la vie.
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Hortensia chinois
le soleil te fuit
le long de couloirs inondés
de thé amer
tu grimpes après tes regrets
retombes
tes pieds s’enlisent dans la boue
de ton Mékong qui coule à plat.
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En moi des battements
de cœur
deux cœurs
de paupières peut-être
de mains prochains.
En moi tu vis
dors bouge grandis
pourtant
tu n’es pas encore là
ton profil solitaire
se love
dans l’ailleurs interne.
Le temps se dissipe
aussi vite que tu pousses
la vie brûle
aussi brève que ton pied
minuscule.
Ton soupçon d’oreille
mettra encore
trois mois
à m’entendre
chanter pour toi.
En attendant
entre nous
il n’y a rien.
Nous sommes
sur le seuil
de notre séparation.
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Mini entretien par Cécile Guivarch
D'où viens l'écriture pour toi
?
Je crois que chez moi l’écriture remonte à l’enfance
et provient de trois choses dont je ne pouvais me passer pour (sur)vivre
: se raconter des histoires, se sentir en confiance, et se sentir aimée.
Je m’aperçois en disant cela que l’écriture
pour moi est très liée à l’espace, à
la position et à la place de l’être dans l’espace
qui l’entoure.
J’ai pris très tôt conscience du fait que les mots
étaient de la matière, et cela en partie grâce aux
langues étrangères. Je pense que comme j’en ai entendu
beaucoup dans mon enfance – exil oblige – j’ai compris
qu’on pouvait peindre la parole de différentes couleurs,
que cela pouvait modifier son impact, et que les langues véhiculaient
des mondes différents mais pas hermétiques, qu’on
pouvait passer de l’un à l’autre, et qu’ils
pouvaient être créés avec des mots... C’était
grisant d’entrevoir toutes ces combinaisons, ces associations,
ces agencements possibles, un véritable pays des merveilles !
De plus, j’ai saisi très tôt que les mots peuvent
remplir une pièce, donner des coups ou des caresses, créer
des émotions fortes, transformer l’air qu’on respire,
et changer le monde finalement.
J’aimais me raconter des histoires dans ma tête puis les
écrire, ou me narrer mentalement des histoires que j’avais
lues ou vues à la télévision, en modifiant parfois
la fin... Je me fabriquais aussi des livres miniatures, un peu comme
les “livres pauvres”, mais dans un format minuscule car
je devais pouvoir les cacher au fond du tiroir d’une commode “à
secrets” lilliputienne et en carton que je m’étais
confectionnée (elle n’était pas plus grande que
la moitié de la paume de la main d’un adulte).
Enfant, je luttais continuellement contre une timidité maladive,
tout en ayant bien conscience de la loi du plus fort (j’adorais
les Fables de La Fontaine) et j’ai compris que ma force
pouvait sortir de mon stylo. Je suis donc devenue le nègre de
certains de mes camarades d’école primaire, en leur écrivant
ou ré-écrivant leurs rédactions et leurs poésies,
m’en faisant ainsi des amis. J’écrivais pour plaire
aux autres mais aussi pour me plaire à moi-même, je crois
que je m’aimais si peu que si je n’avais pas écrit,
je n’aurais jamais appris à aimer.
Écrire vient donc de la vie. C’est un acte vital pour moi,
un refuge, une respiration, LA respiration, puisque quand je n’écris
pas, je suis en apnée et je fais de l’asthme...
Aujourd’hui, je puis dire que j’écris principalement
autour de ce que je peine à comprendre, que ce soit lié
au monde qui m’entoure ou à mon histoire personnelle et
familiale. Plus j’écris, moins j’y comprends quelque
chose et cela me plaît, car ainsi je continue à écrire.
Comment travailles-tu tes écrits ?
J’ai toujours écrit mentalement, je le
fais encore. Je peux soit former des phrases dans ma tête, et
me les réciter à voix basse (sous la douche, dans le bus
ou quand je marche dans la rue), soit les écrire dans des carnets
(j’ai des boîtes remplies de carnets), puis les ressasser
mentalement. Je laisse les mots décanter pendant des jours, voire
des mois, ils s’agitent dans un coin de ma tête et de temps
à autre ils brandissent leur clochette, jusqu’à
ce que je ressente le besoin pressant de les voir sur une page. C’est
à ce moment-là que je les tape, d’une seule traite,
dans une espèce de transe. Le contenu est là, il me reste
à l’organiser sur la page et c’est en effectuant
ce travail de mise en page que je suis amenée à retravailler,
à sculpter la matière brute.
Je lis autant que je peux aussi, parce qu’écrire c’est
aussi lire les autres, c’est une discipline essentielle mais pas
contraignante, car elle s’apparente au recueillement. Le temps
de la lecture est précieux car il est aussi temps de réflexion,
nécessaire durant l’écriture.
Enfin, je traduis, de la poésie surtout, et ma tâche de
traductrice enrichit mes écrits dans la mesure où non
seulement elle m’ouvre d’autres horizons, mais elle m’offre
également des lieux supplémentaires où réfléchir
sur la langue, et des lieux où “me faire la main”.
Quelle est ta bibliothèque idéale
?
C’est une question difficile, mais aussi très
belle, très généreuse pour ce qu’elle ouvre.
J’avoue avoir beaucoup de mal à me séparer des ouvrages
glanés çà et là, de pays en pays. J’ai
toujours voyagé avec des dizaines de kilogrammes de livres, je
suis tellement attachée aux pavés de papier, j’ai
construit mes maisons avec, je m’y sens en sécurité...
Ma bibliothèque idéale est immense. Je ne peux pas vivre
sans livres, beaucoup de livres. Heureusement, en ces temps où
l’on est amené à voyager de plus en plus, il existe
des tablettes, des liseuses, qui permettent de transporter dans son
sac à main une bibliothèque de choix. Cela me convient
parfaitement, dans la mesure où je peux transporter avec moi
aussi bien les classiques que j’aime que tout ce qui s’écrit
de mieux en littérature contemporaine, et cela pour un prix fort
modique (il faut dire que la maison d’édition Publie.net
me facilite grandement la tâche).
Ma bibliothèque idéale contient les livres que je rachèterais
de pays en pays si je ne pouvais pas les prendre avec moi, les indispensables
étant : Le Ton Beau de Marot, du génial Douglas
Hofstadter – ce livre est sans conteste l’un de mes préférés
–, À la recherche du temps perdu de Proust, Don
Quichotte de Cervantès, Moby Dick de Melville et
Le Livre de l’intranquilité de Fernando Pessoa.
Ensuite viennent aussi : l’intégrale des pièces
de Shakespeare, des livres de Virginia Woolf, de Henry James, de Jane
Austen, de Marguerite Duras, de Georges Perec, Raymond Queneau, Jacques
Roubaud, Italo Calvino, Paul Auster, Haruki Murakami, Bernard Malamud,
Alice Munroe, Mark Twain, Antonio Tabucchi, António Lobo Antunes,
Erri de Luca, Michel Tremblay, Alessandro Barrico, Uri Orlev, Aharon
Appelfeld, Primo Levi... Tous ces auteurs dont je ne me lasse pas.
Ma bibliothèque idéale est aussi bien achalandée
en livres de poésie (lecture absolument essentielle puisque la
poésie réinvente la langue et l’usage qu’on
en fait), je pense aux livres de Jacques Prévert, de René
Char, de Paul Celan, de Sylvia Plath, de Borges, de Federico García
Lorca, d’Yves Bonnefoy, de Leah Goldberg... Elle contient également
des livres sur la peinture, la photographie, la sculpture, ainsi que
les biographies des gens que j’admire : tous ces ouvrages me sont
indispensables car j’ai besoin de m’entourer par l’intermédiaire
des livres de personnes qui vivent leurs passions et leurs rêves.
Bref, ma bibliothèque idéale, en miniature, est... la
mienne, assez classique finalement, et si je vois grand, c’est
la bibliothèque du congrès américaine !
Sabine Huynh est née à Saïgon en 1972 et a grandi
à Lyon, avant de partir vivre en Angleterre, aux États-Unis,
en Israël et au Canada. Elle vit aujourd'hui à Tel Aviv.
Elle a fait des études en littérature et linguistique
anglaises à l’université de Lyon, en sciences du
langage et sciences de l’éducation à l’université
de Cambridge, un doctorat en linguistique à l’université
hébraïque de Jérusalem et un post-doctorat en sociolinguistique
à l’université d’Ottawa. Après des
années consacrées à l’enseignement de la
langue et la littérature françaises aussi bien aux enfants
(école, collège, lycée) qu’aux adultes (centres
culturels français et universités), et à la recherche
en milieu universitaire, elle décide de se consacrer entièrement
à l’écriture (en anglais et en français)
et à la traduction littéraire (principalement de l’anglais,
l’hébreu et l’italien vers le français). Son
travail (poèmes, nouvelles, traductions) est publié depuis
l’an 2000 en revues et en anthologies, en Europe et en Amérique
du nord (poèmes et nouvelles en français dans : Art
le Sabord, Virages, Zinc, Diptyque,
Dissonances, d’ici là, Terres de
femmes...). L’année 2012 voit la parution de l’anthologie
poétique pas d’ici, pas d’ailleurs aux éditions
Voix d’encre (un projet qu’elle a conçu et mené
à bien avec l’aide d’Andrée Lacelle, d’Angèle
Paoli et d’Aurélie Tourniaire). 2013 s’annonce comme
étant une année productive, puisque les éditions
Galaade publieront son premier roman, La Mer et l’enfant,
et elle travaillera sur des traductions, des romans, et des projets
en collaboration avec d’autres artistes, dont le peintre André
Jolivet, et les photographes Louise Imagine et Anne Collongues (entre
autres pour la maison d’édition Publie.net). 2013 s’annonce
comme étant une année productive, puisque les éditions
Galaade publieront son premier roman, La Mer et l’enfant ; les
éditions Voix d'encre publieront son premier recueil de poèmes,
Les Colibris à reculons ; et elle travaillera sur des traductions,
des romans, et des projets en collaboration avec d’autres artistes,
dont le peintre André Jolivet, et les photographes Louise Imagine
et Anne Collongues (entre autres pour la maison d’édition
Publie.net).
www.sabinehuynh.com
Des contributions de Sabine Huynh sur Terre
à Ciel dans la rubrique Voix
du monde