TERRE à CIEL Poésie d'aujourd'hui

Un ange à notre table-
Sabine Huynh ~ Extraits de Les colibris à reculons
(à paraître chez Voix d'encre en 2013)

 

Inédits d'auteurs que nous sollicitons

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Pieds nus caressant l’ourlet marron
des bonzes passent

sourires pensifs

l’arôme du riz gluant
dans les feuilles de bananier.

Sans augures
ni mélancolie
les nuages s’effilochent

fin du repas.

Aucun désir d’oiseaux
ne ride les fronts.


 


Des monstres marins à tête gonflée
dérivent dans ses nuits sans nuit.

Seule dès qu’un pied touche
la terre-mère mouvhantée
elle lutte contre les draps-mues
du lit qui coule nuit après nuit

matin après matin elle échoue
carrelage mordant
berge de ses insomnies précoces.

Shan Sa est partie pour renaître
mais renaît-on jamais ?
Duras a écrit pour apprendre
à écrire
c’est comme apprendre à marcher
avec le mal de mère

tant de pages parcourues
autant d’ailes battues
pour se débattre dans le ressac
un rivage en vue.


 


Et si la source de mon être
était ailleurs
que dans l’effarement
de l’arrachement ?

Se jeter dans l’Amazone
de cet appel irrésisitible.



 


De gauche à droite à gauche
sur ma page migrent
des mots vagabonds
poches vides et or terni
au fond de rétines décollées.

De haut en bas en bandes
ou en zigzags solitaires
à pied à la nage par bonds
dans la marge face au vent
plomb dans l’aile sang
sur les doigts palmés larmes
baignant le bec serré.

D’un temps à l’autre
ils tombent
à travers les lignes interminables
ciel terre ciel terre sans retour
semant des cicatrices-ratures
de batailles amours familles
perdues accrochées décharnées
aux branches racornies
de l’arbre de la vie.

 


Hortensia chinois
le soleil te fuit
le long de couloirs inondés
de thé amer

tu grimpes après tes regrets
retombes
tes pieds s’enlisent dans la boue
de ton Mékong qui coule à plat.


 


En moi des battements
de cœur
deux cœurs
de paupières peut-être
de mains prochains.

En moi tu vis
dors bouge grandis
pourtant
tu n’es pas encore là
ton profil solitaire
se love
dans l’ailleurs interne.

Le temps se dissipe
aussi vite que tu pousses
la vie brûle
aussi brève que ton pied
minuscule.

Ton soupçon d’oreille
mettra encore
trois mois
à m’entendre
chanter pour toi.

En attendant
entre nous
il n’y a rien.

Nous sommes
sur le seuil
de notre séparation.


Mini entretien par Cécile Guivarch

D'où viens l'écriture pour toi ?


Je crois que chez moi l’écriture remonte à l’enfance et provient de trois choses dont je ne pouvais me passer pour (sur)vivre : se raconter des histoires, se sentir en confiance, et se sentir aimée. Je m’aperçois en disant cela que l’écriture pour moi est très liée à l’espace, à la position et à la place de l’être dans l’espace qui l’entoure.
J’ai pris très tôt conscience du fait que les mots étaient de la matière, et cela en partie grâce aux langues étrangères. Je pense que comme j’en ai entendu beaucoup dans mon enfance – exil oblige – j’ai compris qu’on pouvait peindre la parole de différentes couleurs, que cela pouvait modifier son impact, et que les langues véhiculaient des mondes différents mais pas hermétiques, qu’on pouvait passer de l’un à l’autre, et qu’ils pouvaient être créés avec des mots... C’était grisant d’entrevoir toutes ces combinaisons, ces associations, ces agencements possibles, un véritable pays des merveilles ! De plus, j’ai saisi très tôt que les mots peuvent remplir une pièce, donner des coups ou des caresses, créer des émotions fortes, transformer l’air qu’on respire, et changer le monde finalement.
J’aimais me raconter des histoires dans ma tête puis les écrire, ou me narrer mentalement des histoires que j’avais lues ou vues à la télévision, en modifiant parfois la fin... Je me fabriquais aussi des livres miniatures, un peu comme les “livres pauvres”, mais dans un format minuscule car je devais pouvoir les cacher au fond du tiroir d’une commode “à secrets” lilliputienne et en carton que je m’étais confectionnée (elle n’était pas plus grande que la moitié de la paume de la main d’un adulte).
Enfant, je luttais continuellement contre une timidité maladive, tout en ayant bien conscience de la loi du plus fort (j’adorais les Fables de La Fontaine) et j’ai compris que ma force pouvait sortir de mon stylo. Je suis donc devenue le nègre de certains de mes camarades d’école primaire, en leur écrivant ou ré-écrivant leurs rédactions et leurs poésies, m’en faisant ainsi des amis. J’écrivais pour plaire aux autres mais aussi pour me plaire à moi-même, je crois que je m’aimais si peu que si je n’avais pas écrit, je n’aurais jamais appris à aimer.
Écrire vient donc de la vie. C’est un acte vital pour moi, un refuge, une respiration, LA respiration, puisque quand je n’écris pas, je suis en apnée et je fais de l’asthme...
Aujourd’hui, je puis dire que j’écris principalement autour de ce que je peine à comprendre, que ce soit lié au monde qui m’entoure ou à mon histoire personnelle et familiale. Plus j’écris, moins j’y comprends quelque chose et cela me plaît, car ainsi je continue à écrire.

Comment travailles-tu tes écrits ?

J’ai toujours écrit mentalement, je le fais encore. Je peux soit former des phrases dans ma tête, et me les réciter à voix basse (sous la douche, dans le bus ou quand je marche dans la rue), soit les écrire dans des carnets (j’ai des boîtes remplies de carnets), puis les ressasser mentalement. Je laisse les mots décanter pendant des jours, voire des mois, ils s’agitent dans un coin de ma tête et de temps à autre ils brandissent leur clochette, jusqu’à ce que je ressente le besoin pressant de les voir sur une page. C’est à ce moment-là que je les tape, d’une seule traite, dans une espèce de transe. Le contenu est là, il me reste à l’organiser sur la page et c’est en effectuant ce travail de mise en page que je suis amenée à retravailler, à sculpter la matière brute.
Je lis autant que je peux aussi, parce qu’écrire c’est aussi lire les autres, c’est une discipline essentielle mais pas contraignante, car elle s’apparente au recueillement. Le temps de la lecture est précieux car il est aussi temps de réflexion, nécessaire durant l’écriture.
Enfin, je traduis, de la poésie surtout, et ma tâche de traductrice enrichit mes écrits dans la mesure où non seulement elle m’ouvre d’autres horizons, mais elle m’offre également des lieux supplémentaires où réfléchir sur la langue, et des lieux où “me faire la main”.

Quelle est ta bibliothèque idéale ?

C’est une question difficile, mais aussi très belle, très généreuse pour ce qu’elle ouvre. J’avoue avoir beaucoup de mal à me séparer des ouvrages glanés çà et là, de pays en pays. J’ai toujours voyagé avec des dizaines de kilogrammes de livres, je suis tellement attachée aux pavés de papier, j’ai construit mes maisons avec, je m’y sens en sécurité...
Ma bibliothèque idéale est immense. Je ne peux pas vivre sans livres, beaucoup de livres. Heureusement, en ces temps où l’on est amené à voyager de plus en plus, il existe des tablettes, des liseuses, qui permettent de transporter dans son sac à main une bibliothèque de choix. Cela me convient parfaitement, dans la mesure où je peux transporter avec moi aussi bien les classiques que j’aime que tout ce qui s’écrit de mieux en littérature contemporaine, et cela pour un prix fort modique (il faut dire que la maison d’édition Publie.net me facilite grandement la tâche).
Ma bibliothèque idéale contient les livres que je rachèterais de pays en pays si je ne pouvais pas les prendre avec moi, les indispensables étant : Le Ton Beau de Marot, du génial Douglas Hofstadter – ce livre est sans conteste l’un de mes préférés –, À la recherche du temps perdu de Proust, Don Quichotte de Cervantès, Moby Dick de Melville et Le Livre de l’intranquilité de Fernando Pessoa. Ensuite viennent aussi : l’intégrale des pièces de Shakespeare, des livres de Virginia Woolf, de Henry James, de Jane Austen, de Marguerite Duras, de Georges Perec, Raymond Queneau, Jacques Roubaud, Italo Calvino, Paul Auster, Haruki Murakami, Bernard Malamud, Alice Munroe, Mark Twain, Antonio Tabucchi, António Lobo Antunes, Erri de Luca, Michel Tremblay, Alessandro Barrico, Uri Orlev, Aharon Appelfeld, Primo Levi... Tous ces auteurs dont je ne me lasse pas.
Ma bibliothèque idéale est aussi bien achalandée en livres de poésie (lecture absolument essentielle puisque la poésie réinvente la langue et l’usage qu’on en fait), je pense aux livres de Jacques Prévert, de René Char, de Paul Celan, de Sylvia Plath, de Borges, de Federico García Lorca, d’Yves Bonnefoy, de Leah Goldberg... Elle contient également des livres sur la peinture, la photographie, la sculpture, ainsi que les biographies des gens que j’admire : tous ces ouvrages me sont indispensables car j’ai besoin de m’entourer par l’intermédiaire des livres de personnes qui vivent leurs passions et leurs rêves. Bref, ma bibliothèque idéale, en miniature, est... la mienne, assez classique finalement, et si je vois grand, c’est la bibliothèque du congrès américaine !


Sabine Huynh est née à Saïgon en 1972 et a grandi à Lyon, avant de partir vivre en Angleterre, aux États-Unis, en Israël et au Canada. Elle vit aujourd'hui à Tel Aviv. Elle a fait des études en littérature et linguistique anglaises à l’université de Lyon, en sciences du langage et sciences de l’éducation à l’université de Cambridge, un doctorat en linguistique à l’université hébraïque de Jérusalem et un post-doctorat en sociolinguistique à l’université d’Ottawa. Après des années consacrées à l’enseignement de la langue et la littérature françaises aussi bien aux enfants (école, collège, lycée) qu’aux adultes (centres culturels français et universités), et à la recherche en milieu universitaire, elle décide de se consacrer entièrement à l’écriture (en anglais et en français) et à la traduction littéraire (principalement de l’anglais, l’hébreu et l’italien vers le français). Son travail (poèmes, nouvelles, traductions) est publié depuis l’an 2000 en revues et en anthologies, en Europe et en Amérique du nord (poèmes et nouvelles en français dans : Art le Sabord, Virages, Zinc, Diptyque, Dissonances, d’ici là, Terres de femmes...). L’année 2012 voit la parution de l’anthologie poétique pas d’ici, pas d’ailleurs aux éditions Voix d’encre (un projet qu’elle a conçu et mené à bien avec l’aide d’Andrée Lacelle, d’Angèle Paoli et d’Aurélie Tourniaire). 2013 s’annonce comme étant une année productive, puisque les éditions Galaade publieront son premier roman, La Mer et l’enfant, et elle travaillera sur des traductions, des romans, et des projets en collaboration avec d’autres artistes, dont le peintre André Jolivet, et les photographes Louise Imagine et Anne Collongues (entre autres pour la maison d’édition Publie.net). 2013 s’annonce comme étant une année productive, puisque les éditions Galaade publieront son premier roman, La Mer et l’enfant ; les éditions Voix d'encre publieront son premier recueil de poèmes, Les Colibris à reculons ; et elle travaillera sur des traductions, des romans, et des projets en collaboration avec d’autres artistes, dont le peintre André Jolivet, et les photographes Louise Imagine et Anne Collongues (entre autres pour la maison d’édition Publie.net).

www.sabinehuynh.com

 

Des contributions de Sabine Huynh sur Terre à Ciel dans la rubrique Voix du monde

 
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