Des sons que la forêt aime
Oh espoir ! Très bientôt
ces forêts ne seront plus les seules à chanter l’honneur
de la vie
Friedrich Hölderlin
La voix des forêts est un univers au-dedans.
Il n’y a que les forêts qui parlent, il n’y a qu’en
elle que se donne l’ivresse intime de la parole, le chant profond,
muet, qui s’élève tout en descendant vers son centre
invisible.
La forêt écoute le chant de l’oiseau,
la brise dans les feuilles, le murmure de l’eau, et, parfois,
le passage, presque furtif, d’un homme.
Un arbre dans l’invisible donne l’or à
un espace de soleil ; regarde la brise dans tes mains.
Il y a un dedans de l’air, lieu, où les
feuilles hautes brillent, vibrent, absentes dans la lumière de
leur infini.
Jusqu’où sais-tu ton silence ? La forêt, comme le
ciel étoilé, garde son infini.
Dans la pénombre de la forêt le soleil
nous parle.
Nous sommes à l’intérieur du monde, en son cœur
même.
Chaque geste meurt à l’intérieur
de la vie.
Chaque être doit trouver (rêver ou veiller) l’origine
de son silence, pour mourir et vivre dans son infini.
Il n’y a pas d’autre parole que celle de la forêt
muette.
A fleur de lumière
A Jean Gabriel Cosculluela
Nous vivons reclus, enfermés dans les limites de notre parole.
Les mots sont arrivés jusqu’ici, mais nous avons oublié
leur chemin. Nous parlons avec des mots sans mémoire.
Sur quel seuil de la parole naît le poème
? Quand le sens devient-il présence ?
Il y a quelque chose d’infini en nous, par peur nous ne lui donnons
pas de nom.
Dans le mirage de la lumière boit l’alouette.
Tu silences le mot qui te nomme, et tu écris
dans le vide qu’il laisse, le nuage, qui est sans aucun mot, l’oiseau,
qui trouve maintenant l’espace où voler en toi, au-dehors
de toi, dans le lieu que le mot a laissé.
Dans l’espace d’un mot muet l’univers parle.
Sur la ligne, la clarté nue ; à l’intérieur,
blanc profond, le temps.
Sur la page de la peau
A Victoria Pradilla
Tu ne pourrais pas nommer ce que tu nommes maintenant
si de l’arbre les feuilles ne tombaient pas sur les feuilles,
sur l’amour, sur la mort. La langue des feuilles, le rien du dire,
premier, la langue, rien. La langue des feuilles est sur leur tombée,
le soleil qui donne l’or à l’envers et à l’endroit,
à l’endroit et à nouveau à l’envers.
Dire qui n ‘a pas le temps, mais l’espace ouvert, qui tombe
dans son dire, à la verticale, temps donné. Le temps est
une lumière et la lumière tombe, le temps est un dire.
Dire aride et, cependant, voici l’eau sur les
pores de ta peau, dans la soif, dans le désir. La lune au-dehors
– elle attire des vagues silencieuses. Le désert seul,
l’immensité. La lumière seule, à la verticale
; blanche sur les corps, dans l’amour.
Sur la page de la peau ; ombre de lune, désert de lumière
blanche, fleur de lumière, fente obscure. La lumière muette
ouvre ma main, devient ombre pour toucher ton corps, pour silencer ta
bouche, verticale dans le signe de tes lèvres. L’amour
se silence, le silence se silence dans la nuit, le vent se silence et
se silence encore, l’eau coule dans le lit du petit cours d’eau,
elle coule dans le silence et se silence, elle court dans le dire. L’amour
de l’eau qui dit « nuit » entre les pierres. Dire
aride et transparent.
© Alfonso
Alegre Heitzmann & Jean
Gabriel Cosculluela, mars 2006. Tous droits de reproduction réservés.