On
dit que la traduction est un art difficile. Quel est ton avis ? En quoi
est-ce que cela est-il difficile ?
Oui, la traduction poétique est un art difficile
pour toutes sortes de raisons.
D'abord parce que la langue poétique contourne
la syntaxe et associe les mots de façon inhabituelle afin de
créer des images nouvelles, des rythmes inattendus qui créent
un choc sensible. L'émotion et l'ambiance d'un poème tiennent
aux mots employés et comment ils s'agencent entre eux (rapport
de sens et de sons). Ce travail d'écriture joue avec les assonances,
allitérations et musicalité de la langue d'origine et
il n'est parfois pas possible de trouver un équivalent dans la
langue d'arrivée sans détourner trop le poème.
Il y a forcément une perte. L'enjeu est, au delà du sens
bien sûr, de rester le plus possible dans l'atmosphère
du poème.
Un poème traduit ne doit pas être l'ombre
déformée du poème d'origine à cause d'une
traduction trop littérale, mais un nouveau poème dans
la langue de traduction. Un nouveau poème le plus proche et fidèle
possible à "l'essence" du poème d'origine. Or,
les langues n'ont pas les mêmes "consistances". Le poème
a les réactions les plus sensibles à ces modifications
de consistance dues à la traduction. C'est pourquoi les grands
traducteurs sont poètes eux-mêmes.
Enfin, la traduction poétique demande une proximité
de sensibilité entre le traducteur et l'auteur. C'est pourquoi
il est intéressant pour les deux -quand ils sont contemporains-
de se connaître !
Est-ce qu'en tant que poète la traduction
est pour toi une nécessité pour ton propre travail d'écriture
?
La traduction me permet de m'interroger sur chaque mot
et d'observer comment il interagit à l'intérieur du poème
d'origine. Je découvre des ouvertures et des profondeurs dans
ma propre langue confrontée aux possibilités d'une autre
langue. Ou bien j'aperçois les limites de ma langue et cela m'emmène
vers la recherche d'autres passages pour l'écriture.
De plus, les images utilisées par le poète
appartiennent parfois spécifiquement à sa culture. Rencontrer
ces images est comme un voyage. Les glissements de sens se font entre
les mots du poète, et un autre vocabulaire qui ne correspond
pas exactement à ce qu'il sous-entendait dans sa langue. Chaque
langue porte un monde culturel… C'est passionnant.
Comment choisis-tu les auteurs que traduis ?
J'ai été invitée en décembre
2010 à participer à un atelier de traduction poétique
en Inde, organisé par "Literature across frontiers",
et le German Book office. J'ai donc traduit les poètes indiens
qui faisaient partie de cet atelier et écrivent en anglais (et
d'autres poètes que j'ai ensuite rencontrés en Inde).
Nous avons passé dix jours ensemble pendant lesquels nous parlions
des traductions pour les préciser et les ajuster ensemble.
Une anecdote concernant un de mes poèmes : lors
de l'atelier de traduction, Arjun Bali traduisait un de mes poèmes
en hindi. Il a buté sur ce vers ""Une araignée
hésite son tiret d'or dans l'invisible" en me disant : "En
hindi, nous n'avons pas de ponctuation : le mot "tiret" n'existe
pas. C'est à l'arrivée des anglais en Inde que nous avons
découvert la ponctuation de l'Occident." Il a cherché
avec la poète Sampurna Chattarji comment rendre cette image du
tiret qui hésitait dans la lumière.
Lorsque l'on traduit, comment cela se passe
au niveau de l'édition ?
Je ne sais pas. Nos traductions de l'atelier feront
l'objet d'une édition en Inde mais je suis incompétente
dans ce domaine.
A lire aussi : Trois poètes
indiens, traduits par Roselyne Sibille