On ne reste jamais longtemps
devant soi, pour autant qu'on y parvienne
Antoine Emaz - Lichen, lichen |
Présentation |

Cécile GUIVARCH est une auteure
franco-espagnole née en 1976 près de Rouen. Elle vit
à Nantes depuis 2003. Elle anime le site de poésie
contemporaine Terre à ciel.
|
Cécile
Guivarch - extraits de Le cri des mères |
elle va mettre au monde sur un lit de paille
elle hurle crie appelle ses vieux les très vieux
(on ne sait même plus leur nom)
elle les appelle tous pour leur dire qu’elle va mettre au
monde
elle crie sa douleur son sang qui la fracasse lui sort par le bas
elle s’accroupit attrape le corps qui s’échappe
de sa chair
elle l’attrape le met sur sa poitrine pour en sentir l’odeur
écoute le premier cri
pleure sa douleur
dans un tas de paille
***
elle a crié aussi la mère de Zélie la deuxième
Zélie l’arrière-arrière-petite-fille
de l’arrière-grand-mère
elle a crié pour la sortir du corps
elle a crié comme jamais elle a crié
ça lui a donné le souffle
ça a aidé l’enfant dans le passage
ça a guidé l’enfant à quitter le corps
à rencontrer la lumière
à naitre sur le corps de sa mère
touchée par son premier cri
|
Cécile Guivarch
- extraits de Coups portés |
ils me racontent leurs histoires je suis toute pourrie gâtée
si ça leur fait du bien c’est pas la mer à boire
ni le calva
enfermé à double tour faut pas y toucher sait-on jamais
s’il
y aura demain faut entasser du merdier des amas de
souvenirs
ces petits fagots allumés pour propager chaleur et brûler
là
toutes ces bricoles qui ne font rien nous revenir de là-haut
***
fait pipi partout ne sait plus trop où coin
seau ou terreau
se trifouille tord sa robe les déchirures en manger un bout
boit l’apéro s’en rend pas trop compte n’a
jamais bu de vin
la fugue fuite vers où aller le chemin de fer va tout train
s’griffe les mains baies d’airelles un peu d’eau
la rivière
nulle part où aller si ce n’est demi-tour car par où
passer
surgit fatiguée un bout du monde se faire fœtus et attendre
|
Cécile Guivarch
- extraits de Planche en bois |
Ton portrait grand-mère. Tu étais bien
jeune et je ne sais dire combien de fois plus belle. Jusqu’où
vas-tu aller à ne pas te laisser te reconnaître ? Il
a du se passer deux ou trois siècles. Ton visage changé
à ce point.
***
Le silence de ta mémoire les détails
de toi petite. Bouche ouverte tu aurais rêvé à
ce point de ton immobilité. Tu ne cesses pas grand-mère
d’oublier que mes doigts s’agitent devant toi. J’ai
crié crié pour que tu reviennes encore juste encore
à la frontière de ta respiration. Dans le vide d’avant
ton absence tu luttes pour rouler vers ton enfance. Les vieux chemins,
les amis disparus, ton cartable oublié sur un banc d’école.
Tu répètes ta réalité lointaine sans
même plus savoir compter. Le début et la fin se confondent
au point rupture. Grand-mère morte de ta naissance.
|
Cécile
Guivarch - extraits de Terre à ciels |
En fin de compte
ce sont les feuilles qui parlent le plus aux arbres entre
eux
nous ne sommes qu’un grain de sable
et ce n’est peut-être pas plus mal
***
Le mouvement dans les branches
est fait de silences
seules les feuilles se font entendre
toi
tu cherches l’ombre
|
Cécile
Guivarch - extraits de Te visite le monde |
faudrait que tu cesses dans ta bouche
fourrer les mains car tu n’avaleras pas
le monde le goutant comme pas deux
***
finalement aucune interdiction
tes yeux billes pour tout boire
pas assez trop le monde est grand
|
Cécile
Guivarch - extraits de La petite qu'ils disaient |
idiots charlots des manque une case fous laissés
pour compte
cinglés barjos tapés sonnés piqués timbrés
toc-toc maboul dingo
s’ajoutent :
démence aliénation malades mentaux
égarement
siphonnés déraisonnés incapables détraqués
assommés complètement cachetons décharges camisoles
machins trucs
les abrutir encore
fêlés éperdus transportés étourdis
marteaux sans raison déboussolés
mais ça oui ils le sont
sans famille sans rien ni personne ni visite ni noël ni même
une pièce une lettre un coup de fil une poignée de
main un bonbon un baiser
fous sont fous idiots du village mon village et même un peu
plus
mon cœur mes yeux premiers gestes gazouillis pas sourires mots
fous
***
ma sœur coiffe la grand-mère
la vieille ne bouge plus
un nourrisson la caresse de sa mère
elle avait oublié
la brosse passe dans les cheveux part du haut descend
dans le dos la brosse passe lentement lisse les fils blancs
la grand-mère ne parle pas occupée
à frémir sous la soie de la brosse
ce serait un peu de douceur
|
Cécile Guivarch
sur internet |
|
Bibliographie
|
Terre à ciels, les carnets du dessert de lune, 2006
Planche en bois, Contre-Allées, 2007
Coups portés, Publie.net, 2009
Te visite le monde, les carnets du dessert de lune, 2009
La petite qu’ils disaient, Contre-Allées, 2011
Le cri des mères, La porte, 2012
Participation à des anthologies et recueils collectifs :
Avec tes yeux, éditions en forêt,
em verlag
La fête de la vie n°5, éditions
en forêt, em verlag
Creuser les voix, éditions Samizdat, 2012
Métissage, L'arbre à paroles, mars
2012
Publication en revues : N4728, Contre-Allées,
Décharge, Verso, In-fusion, Mots à maux,...
|