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Mais il y a l'écumeur
des grands chemins, et le coureur des mers.
René Guy Cadou - les liens
du sang |
Présentation |
Née en 1973 en Belgique, Florence Noël a été
membre du comité de lecture du site Ecrits-vains
et de celui de Francopolis.
Elle est l'auteur de poésies, proses, nouvelles. certains
de ses recueils sont disponibles sur son site
L'âme de fond.
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Florence Noël
- Descente aux ombres |
L'exorcisme, réaction en force, en attaque de bélier,
est le véritable poème du prisonnier. (...) Cette
montée
verticale et explosive est un des grands moments de l'existence.
On ne saurait assez en conseiller l'exercice à ceux
qui vivent malgré eux en dépendance malheureuse. Mais
la mise en marche du moteur est difficile, le presque désespoir
seul y arrive.
Henri Michaux
Il faut descendre aux ombres
jusqu’à leur moléculaire inexistence
s’y rassembler de neuf
de ciré, de reluisant
il faut crucifier l’échappée
le chemin clair des filles de mars
leur innocence clouée de grêles
et giboulée
s’enterrer tiède
puis ensevelir chaque pas semé
dans la méticuleuse obsession des vers
pardonner l’écart subtilisant le souffle
sous nos chaussures
Il faut pénétrer nu entier
connaître de la terre l’âcre
le granuleux à même la langue
persévérer
jusqu’aux racines des chevelures
aux cimes des âmes
s’embourber
tuer le cri dans l’antre sourd
Il faut dès lors oublier l’oubli
oublier l’espoir de l’ailleurs
être la quintessence du trou
du vide du manque du désespoir
et même chanter par pulsation humide
des veines garrottées
hanter jusqu’à plus soif
l’univers de l’atroce
greffé en nous
par tout cet amour étrillé
oh mère des mères
là, je suis sûre, là
oui
la raison de vivre se hurlera
irréfutable
et sans appel
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Florence
Noël - J'ai tu janvier |
j’ai tu janvier
ses vert-de-gris et saumures d’âme
à perte de vie ses champs
de courtes oraisons
tant pèse le froid sur l’épaule
et nos discours gauchis de misères minuscules
alors qu’on se surprend à pister
les ombre effritées des arbres
ou leur nudité précise
figeant les heures dépolies
encore un jour en boule
vous mes enfants vos chairs tièdes
vos mains lourdes aux draps
l’écho du duvet remué
je dis tendresse ces vestiges de rêves
sur l’oreiller
puis s’en aller
prisonnière de matins nocturnes
de retrouvailles frileuses
à la vesprée
ou alors suffoquée
par la lumière délivrée soudain
des vapes d’eaux opaques
stagnant à hauteur de cri
janvier m’a tue
tu oublieras mon tintement, ami lointain
un jour tu traverseras janvier
un oiseau tremblotant sur le doigt
et son envol seul
aura l’orbe de mon visage
mais là
à l’entre-deux de hameaux
nappes servie de givre
je stoppe claire la voiture
sur la peau rugueuse des labours
deux hérons cendrés
transgressent pour moi seule
l’allégeance tristesse
pour tant de joie
non, je ne dis rien
pas encore
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Florence Noël
- Traversée en bordure d'un chemin |
J’ai traversé un territoire de neige
à peine plus grand que mon ventre
tu sais
pas plus grand que la main suppliant le givre
de délivrer le mot sacré
gravé sous la langue de tout homme
Alors
des flocons
seraient restés amarrés à mi-chute
parmi eux, je compterais encore les oiseaux suspendus
sans balancements d’ailes
et le cri monocorde des enfants plus jamais essoufflés
pureté d’un diamant trouant la gorge d’un moineau
Ce froid s’arrimait à mes hanches
long serpent de soie blanche
séduisait mon visage pour encrer sa stupeur
au revers de mes pupilles
J’ai traversé le torse d’une
montagne
transportant sur mon dos ces phylactères criards
les auréoles brisées de saints cacophoniques,
et ces quelques dessins consumés par des soleils riants
où un enfant avait cru utile de m’inviter
comme unique fête
après la fête
J’ai traversé un pays aux lendemains
immenses
un jour pour tout espace
et pas assez de tentes pour qu’y repose toute l’espérance
prophétisée derrière mes pas
dans la transparence des glaciers
des femmes remplissaient des paniers de cerises
à chaque goutte de sang cueilli
leurs bouches se formaient sur leurs faces pétrifiées
d’amour
J’ai traversé une femme aux longs sillons
de chair
son cœur poinçonné de l’absence de mon
corps
des abeilles travaillaient à son enluminure
et ma nage si lente guérissait son giron
déserté par les anges et l’or des matins
et enfin rendue à la jouissance du plein
j'ai traversé ma naissance.
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Florence
Noël - Un goût d'éternité |
oui dire que depuis lors
nous avions l’orgasme des pauvres
la jouissance des mutismes enclavés
nos bouches parfois
préludaient aux soupirs des trépassants
salivaient les cris d’enfants à naître
oui, nous, les dépenaillés, les aphoniques,
les terreux, les légers
possédions l’or intemporel des paroles élucidées
et enfuies sous la peau
de ceux que nous étions avant,
il en restait encore et d’aussi loin,
on sentait l’odeur de leur colère
et chacun de nos refus
brusquait leurs pas
quoi ! l’infamie du silence
encore ces icônes effleurées
mais évaporées d’ambre maintenant…
le goût d’éternité obsédait leurs
papilles
il arrivait qu’ils se saisissent de nous
tenailles et tisonniers
amadouements de bouches par fers et feux
ripaille de susurrements
pour délivrer enfin
ce mot sacré gravé sous la langue de tout homme
mais quoi qu’en disaient ces sorciers d’exactitudes,
ils n’avaient du sacrement qu’une extraction faible
falotes réminiscences des puits
des abysses en cascades
et de leurs propres échouements
rien de perle ni d’incarnat
rien d’apparat ni de soie
ni des notes si juste qu’à mourir ils vivaient
rien de plus sublime que la nervure blanchie
d’un caillou de rivière
alors,
ils semaient nos langues aux tourbes
mais l’on voyait grandir des fruits putréfiés
dès la graine
ils s’enduisaient de nos souffles
millimètre par millimètre
puis gonflaient leurs hanches et renversaient leurs faces
mais une aumône de pluie remerciait invariablement
tout simulacre de sens
la pitié nous hantait plus sûrement
que la peur
en guise de rituel
nos tambours éclataient en des rixes nocturnes
pour accueillir les nôtres revenus de ces battues
enduite sur nous la suie de tant de rages stériles
et nos peaux hurlaient leur douleur d’avoir été
ceux-là
d’avoir cru s’affranchir du mystère
comme de la faim ou de la soif
parmi les forêts aériennes bruissaient
quelques fantômes
apaisant l’heure
et nous sombrions dans la couleur éviscérée
des sanglots réappris
puis le matin
toujours
nous comptait plus entier que la veille
( extrait des « Fantômes de l’infini
peu » recueil en cours d’élaboration)
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Florence
Noël - *] Rupture d'étoiles par effet
de marée |
c’est un phénomène rare,
peu connu à l’échelle d’un corps,
l’espacement des voyelles dans le gémir du feu
son accolade avide
l’étirement d’une parenthèse jusqu’à
la confusion des confins
en l’ombre identique de l’enfant à l’œuf
du sien au sein
du bang au big
il s’ensuit une certaine couleur
le bruit de l’ocre lorsqu’il lacère ses jaunes
pour autant que couleur soit de ces contrées et qu’elle
ait assez d’air nécessaire
pour être prononcée par un des nôtres énucléé
d’amour
c’est la tribulation d’un battement de chemise sur
le poitrail d’un homme figé par l’oubli
enraciné au seuil d’une maison ouverte juste comme
la sienne il y a de cela la moitié de sa vie, ou celle de
son enfant ou de son père qu’importe ; la moitié
juste
il s’ensuit un frôlement de soie, mais à l’échelle
d’une planète, la rotondité émoussée
et la consternation des ténèbres qui s’accumulent
d’un coup, uppercut de matière ramassée en noyau
d’elle pour féconder un instant immature mais éternel,
prestidigitation d’abîmes initiés
et cette couleur toujours ocre
ou brune feu molli de terre
ou l’équivalent dans la moue des gaz en fusion
c’est le suave, le grave, le délaissement du geste
sur l’accoudoir usé et ce moelleux qui conserve par
sa nature fidèle l’impression inchangée d’accueillir,
ou de consentir recevoir, simplement, la main gravelée impavide,
surprise de la lourdeur du jour puis de la légèreté
du soutien, la main d’une femme vainement brassant l’ombre
dans la chaleur d’un été anonyme
il s’ensuit tout ce charabia de théories mortes nées,
d’enthousiasme scribal sur papier soluble dans l’ignorance
des simples : une couleur ocre rouge, une ablation des bordures,
des frontières pour un ravalement de surface, un éclatement
par absorption de matière, une marée infirme d’évanescence,
la plus gravide bouchée d’étoile que l’oeil
noir ait arraché à la contemplation
c’est le bâton trouant la feuille, le battement boudeur
d’un petit bras qui défait l’ennemi végétal
dans le jardin gardé de fleurs brumeuses, dentelles de mère,
bruine rapide courant les bras les jambes, de l’herbe sous
les pieds aux cheveux frictionnés par l’ennui qui occupait
ses mains là, puis l’appel au repas et le bâton
gisant, signant la mort du soleil la déglutition des rayons
par ce grand vaisseau de charbon car la nuit, la nuit,
il s’agit d’une rupture [déglutition sèche]
dans un silence atroce mais éviscéré [un chant
d’homme à la mort]
une rupture cosmique sans émotion [une naissance inconsciente]
par effet de marée
disent-il
par effet d’amnésie [toi]
par effet de lassitude [moi]
par effet d’ennui [cet espace entre]
qui sait, le nôtre, à cause des nôtres, peut-être
[eux]
cette rupture d’étoile [l’enfant]
un ciel un peu plus noir dans un millier d’années [
*
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Florence Noël
sur internet |
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Bibliographie
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• la revue La Page Blanche, janvier 2005 (extraits du recueil
"Moments d'île" à deux voix de Florence
Noël et Stéphane Méliade
• la revue Bleu d'Encre, décembre 2004
• la revue Le Spantole, août 2004 et janvier 2005
• la revue Microbe, juillet 2004
• la revue Inédit Nouveau, février 2001 et
décembre 2001,
• la revue An plus, AN+ N°10, juin 2002, de janvier
2002),
• la revue Les Deux cadets, n° 3 et 4, voir lien ci-contre.
• le recueil "Visages", publié à
l'initiative d'Ecrits-vains.
• le Collectif « Lumières »,, publié
à l'initiative de 00h00.com, voir lien ci-contre.
• la revue "Nouveaux délits", Numéro
trois, Janvier 2004
• nouvelle "Le voyage du seuil", publiée
dans une anthologie de nouvelles aux éditions Gros textes
et Décharges, en janvier 2002 : Les belles palissades sous
la direction d'Alain Kewès.
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